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Droit des obligations
L’erreur, appréciée passé la date de conclusion du contrat
Spontanée ou provoquée, l’erreur doit être appréciée au moment où le contrat a été conclu en tenant compte des circonstances antérieures à cette conclusion.
Un professionnel spécialisé dans la vente de matériels informatiques avait concédé à une société un droit d’utilisation d’une application dédiée à l’hébergement de données et à la gestion informatique de matériels et de commandes. Rapidement, la société utilisatrice avait découvert que le logiciel était dépourvu d’une fonctionnalité à ses yeux essentielle. Assignée en paiement de la redevance et en restitution du matériel par son concédant, la société lui avait alors opposé un manquement à son obligation d’information et de conseil et demandé la nullité du contrat pour vice du consentement. Pour rejeter sa demande d’annulation du contrat, tant sur le fondement de l’erreur que sur celui du dol, et la condamner au paiement des sommes demandées par son cocontractant, la cour d’appel retint que la date du courriel émis par le professionnel, affirmant que le logiciel disposait de la fonctionnalité manquante, était postérieure de plusieurs mois à l’entrée en négociation des parties sur la définition de la prestation et qu’il ne permettait donc pas d’établir le caractère essentiel de la fonctionnalité litigieuse pour la prétendue victime d’une erreur sur une qualité substantielle du contrat conclu. Au visa des articles 1110 et 1116, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, la Cour de cassation censure la décision de la juridiction d’appel au motif qu’elle avait omis de rechercher, comme elle y était invitée, si dès lors qu’au cours des pourparlers et antérieurement à la conclusion du contrat, la société victime de l’erreur avait interrogé son cocontractant sur la possibilité d’obtenir la fonctionnalité escomptée et si elle n’avait pas été informée, de manière erronée, de l’existence d’une telle fonctionnalité, pour déterminer si l’errans n’avait pas commis une erreur déterminante ayant vicié son consentement.
En tant que condition de validité du contrat, la lucidité du consentement doit naturellement être appréciée au moment de la conclusion du contrat. Cette règle qui fixe la date d’appréciation de l’erreur, spontanée ou provoquée, au jour du contrat, est en réalité moins rigide qu’elle n’y paraît.
S’agissant de la conviction de l’errans, c’est évidemment celle qui l’habitait au jour de la vente qui doit être prise en considération. Seule compte la conviction au moment de la vente. Peu importe, dès lors, que le contractant découvre ultérieurement à la conclusion du contrat l’existence d’un logiciel plus performant, ou plus adapté à ses besoins, qui lui fasse prendre conscience de l’erreur qu’il a commise.
S’agissant de la réalité à laquelle cette conviction est confrontée, celle-ci continue d’être appréciée par le juge en fonction des qualités intrinsèques de la chose telles qu’elles existaient au jour du contrat, mais en prenant également en considération pour les établir aussi bien les éléments postérieurs au contrat que ceux qui lui étaient antérieurs ou concomitants (Civ. 1re, 13 déc. 1983, n° 82-12.237). S’il ne saurait être tenu de la « modification ultérieure de la chose », il en va différemment de la « révélation postérieure de l’existence ou de l’absence d’une qualité de la chose » (Aubert, D. 1984, préc., 342). Cette solution est, au demeurant, confortée par l’article 1144 (anc. art. 1304) du Code civil qui fixe au jour de la découverte de l’erreur ou du dol le point de départ du délai de prescription de l’action en nullité. Elle est en outre, depuis la réforme du droit des contrats, confirmée par le nouvel article 1130, alinéa 2, selon lequel le caractère déterminant des vices du consentement « s’apprécie eu égard (…) aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ». Partant, on ne peut exclure, comme en avait à tort décidé la cour d’appel dans cette affaire, l’admissibilité des preuves postérieures comme antérieures à la conclusion du contrat, dès lors qu’elles seules permettent en vérité d’établir la réalité de l’erreur commise à ce moment-là. Ainsi les juges du fond auraient-ils dû tenir compte des échanges entretenus entre les parties antérieurement à la conclusion du contrat pour les confronter à la conviction de l’errans au jour du contrat, ce dont ils auraient pu déduire que ce dernier n’avait pas contracté en connaissance de cause mais sur la base d’une information erronée sur une « qualité essentielle de la prestation » (C. civ., art. 1133 nouv.), déterminante de son consentement.
Notons enfin que si, en l’espèce, la victime avait, sur le terrain du dol, choisi de n’exercer qu’une simple action en nullité, la possibilité lui était cependant offerte de demander réparation à son auteur. En effet, en tant que vice du consentement, le dol entraîne la nullité relative du contrat (C. civ., art. 1131), mais en tant que faute civile, sa nature délictuelle fonde la responsabilité du contractant malhonnête (C. civ., art. 1240). Les deux sanctions sont librement offertes à la victime. Celle-ci peut ainsi choisir d’agir sur l’un ou l’autre des deux fondements, ou sur les deux à la fois. Le cumul des actions met en valeur l’intérêt du dol par rapport à l’erreur, qui n’ouvre droit qu’à une action en nullité.
Com. 27 nov. 2019, n° 18-15.104
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Erreur (contrat)
■ Civ. 1re, 13 déc. 1983, n° 82-12.237 P: D. 1984. 340, note Aubert ; GAJC, n° 147-148
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