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[ 17 novembre 2011 ] Imprimer

Droit administratif des biens

Les anciens propriétaires de la grotte Chauvet devant la CEDH

Mots-clefs : Droit de propriété, Protection de la propriété, Expropriation, Indemnisation, CEDH, Irrecevabilité, Art. 1er du protocole additionnel

L’indemnité d’expropriation versée aux propriétaires de la grotte Chauvet par l’État français respecte le principe du « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et la protection du droit au respect des biens a affirmé la CEDH dans sa décision d’irrecevabilité en date du 11 octobre 2011.

En décembre 1994, trois spéléologues, dont M. Chauvet, découvraient sous des terrains appartenant à 14 propriétaires une grotte avec dessins, peintures et gravures de plus de 30 000 ans, grotte appelée « grotte Chauvet ». Ce fut une découverte majeure à laquelle seule la grotte de Lascaux pouvait être comparée. À la suite d’arrêtés préfectoraux en date du mois de janvier 1995, l’accès de la grotte fut interdit et l’État put occuper le terrain pendant 5 ans. Les autorités étatiques proposèrent alors aux propriétaires d’acquérir leurs terrains à l’amiable. Ceux-ci refusèrent et une procédure d’expropriation fut engagée par l’État en vue de la détermination du montant de l’indemnisation. Un long feuilleton judiciaire commença. La question principale de la procédure était de savoir si l’indemnisation devait être limitée au prix du terrain ou si la découverte de la grotte constituait une plus-value indemnisable. (TGI de Privas, 4 févr. 1997 ; Nîmes, 19 janv. 1998 ; Civ. 3e, 14 avr. 1999 ; Toulouse, 26 mars 2001 ; Civ. 3e, 15 févr. 2006 ; Lyon 10 mai 2007 ; Civ. 3e, 18 nov. 2008). La réponse donnée par la justice conclut à la prise en considération de la présence de la grotte dans la détermination du montant de l’indemnité. Les propriétaires se virent octroyer une indemnité principale de 613 652, 50 euros et une indemnité de remploi de 153 413,13 euros, soit au total 767 065, 63 euros. Après épuisement des voies de recours internes, estimant que l’indemnisation versée par l’État français n’est pas en adéquation au regard de la valeur considérable du bien exproprié, les anciens propriétaires saisissent la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en invoquant la violation de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatif à la protection de la propriété.

Dans sa décision rendue le 11 octobre 2011, la Cour rappelle le respect du principe du « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu lorsqu’une mesure, notamment une mesure d’expropriation, porte atteinte aux biens. Les juges de Strasbourg estiment que doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Ainsi, une privation de propriété doit être accompagnée, sauf circonstances exceptionnelles, d’un versement d’une somme raisonnable en lien avec la valeur du bien exproprié afin de ne pas être considérée comme une atteinte excessive au droit de propriété. Mais la notion de somme raisonnable n’est pas toujours synonyme de réparation intégrale. En effet, lorsque l’expropriation repose sur des objectifs d’utilité publique, notamment la protection du patrimoine historique et culturel, il est possible que l’indemnité soit inférieure à la valeur du bien (CEDH 9 déc. 1994, Les saints monastères c. Grèce). Par ailleurs, le contrôle de la CEDH se borne à rechercher si les modalités choisies excèdent ou non la marge d'appréciation dont les autorités nationales disposent en la matière, ce qui s'apparente, en droit administratif, à l'erreur manifeste d'appréciation (CEDH 4 nov. 2010, Dervaux c. France).

La Cour constate, en l’espèce, que l’État français, n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation, les expropriés des terrains où se situe la grotte « ont obtenu une somme raisonnablement en rapport avec la valeur des biens dont ils ont été dépossédés ». La requête est donc irrecevable car mal fondée.

CEDH 11 oct. 2011, Helly et autres c. France, n° 28216/09

Références

Erreur manifeste

[Droit administratif]

« Théorie jurisprudentielle imaginée par les juridictions administratives pour étendre leur contrôle sur le pouvoir discrétionnaire de l’Administration, leur permettant face à ce qu’elles considèrent comme des erreurs particulièrement flagrantes de celle-ci, de contrôler l’appréciation des faits à laquelle elle s’est livrée. »

Expropriation pour cause d’utilité publique

[Droit administratif]

« Procédure permettant à une personne publique (État, collectivité territoriale, établissement public) de contraindre une personne privée à lui céder un bien immobilier ou des droits réels immobiliers, dans un but d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. Dans certains cas, elle peut être mise en œuvre au profit de personnes juridiques privées en vue de la réalisation d’un objectif d’utilité publique. Dans tous les cas, la déclaration d’utilité publique doit émaner d’une autorité de l’État. »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

Article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme - Protection de la propriété

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

Civ. 3e, 14 avr. 1999, n° 98-70.038, AJDI 1999. 1148, obs. Lévy.

Civ. 3e, 15 févr. 2006, n° 01-70.106, AJDA 2006. 780 ; AJDI 2009. 583, obs. Lévy ; RDI 2006. 121, obs. Morel.

Civ. 3e, 18 nov. 2008, n° 07-17. 240.

CEDH 9 déc. 1994, Les saints monastères c. Grèce, n° 301-A.

CEDH 4 nov. 2010, Dervaux c. France, n° 40975/07, AJDA 2010. 2493, note R. Hostiou ; AJDI 2011. 111, chron. S. Gilbert.

 

Auteur :C. G.


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