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[ 2 avril 2019 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Les conditions de la perte de la nationalité du citoyen européen précisées

La Cour de justice confirme qu’un État membre peut retirer sa nationalité à l’un de ses ressortissants pour des motifs d’intérêt général, identifiés dans le cas présent par l’absence de résidence principale pendant une longue période dans cet État membre. Cependant, ce retrait ne peut s’opérer de manière automatique, les autorités nationales ayant obligation de réaliser un examen individuel, en considérant les conséquences que celui-ci aurait sur le développement normal de la vie familiale et professionnelle de la personne, notamment en raison de la privation des libertés de circulation.

La perte de la nationalité d’un État membre ne relève pas uniquement du droit des États membres, bien qu’ils disposent des compétences pour déterminer les conditions dans lesquelles la nationalité peut être acquise ou retirée. En effet, cette perte a nécessairement pour corollaire la perte de la citoyenneté européenne et des droits qui l’accompagnent. C’est pourquoi la Cour de justice se reconnaît compétente pour contrôler les conditions de cette décision au niveau national (CJUE, gr. ch., 2 mars 2010, Rottmann, C-135/08). 

Ici, la Cour de justice était amenée à rendre un arrêt, après avoir été saisie d’un renvoi préjudiciel par un juge néerlandais. Celui-ci s’interrogeait sur les conditions de la perte de nationalité au regard de la loi néerlandaise par rapport à l’article 20 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne notamment. En effet, la législation néerlandaise prévoit la perte de la nationalité, de plein droit, pour une personne, ayant une autre nationalité, si cette dernière a sa résidence principale pendant une période ininterrompue de dix ans au cours de sa majorité en dehors des Pays-Bas. L’application de cette loi ne donne pas lieu à un examen individuel. Le juge néerlandais avait à se prononcer dans quatre affaires où les requérants avaient été confrontés au rejet de leur demande de renouvellement de leur passeport en raison de cette absence de résidence principale. Les requérants avaient tous la double nationalité, pour l’un d'eux canadienne, pour un autre iranienne, enfin pour les deux autres, suisse.

Dans un premier temps, la Cour de justice a confirmé, en s’appuyant sur le droit international, la compétence des États membres pour régir l’attribution et le retrait de la nationalité pour des motifs d’intérêt général. La mise en œuvre de cette compétence doit toutefois s’opérer en respectant le droit de l’Union, dès lors que des incidences existent, ce qui est le cas par rapport à la citoyenneté européenne. En effet, la citoyenneté européenne est accordée uniquement aux ressortissants des États de l’Union européenne, si l’un d’eux perd cette nationalité, il perd immédiatement la citoyenneté européenne et les droits qui y sont attachés. La Cour n’entend pas priver les États de la faculté de priver une personne de la nationalité au motif qu’il est « légitime pour un État membre de vouloir protéger le rapport particulier de solidarité et de loyauté entre lui-même et ses ressortissants ». Elle admet même que ce rapport peut passer par l’exigence d’un lien effectif, qui peut être remis en cause par l’absence de résidence principale sur une longue période.

Dans un second temps, la Cour de justice insiste sur le respect du principe de proportionnalité. Pour les juges, il implique l’examen individuel des situations afin d’identifier les conséquences pour le demandeur, mais également les membres de sa famille. La perte de la nationalité ne peut être de plein droit, sauf si un contrôle peut être exercé par les autorités ou par les juges avec le pouvoir de faire recouvrer la nationalité. 

Au-delà de cette exigence, la Cour se fait plus intrusive en déterminant que la décision doit être conforme aux droits fondamentaux, ici les articles 7 et 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne portant respectivement sur le droit au respect de la vie privée et l’intérêt supérieur de l’enfant. La Cour vise plus concrètement à ce que les conséquences de la décision soient examinées en faisant le lien entre la privation des droits de circuler et de séjourner dans l’Union et la vie personnelle et professionnelle de la personne. En effet, une personne peut être dépendante de ces droits pour conserver des liens effectifs et réguliers avec sa famille ou pour exercer son activité professionnelle, ce qui justifierait le maintien de la nationalité. De même la Cour précise qu’il faut intégrer la possibilité pour la personne de renoncer ou non la nationalité du pays tiers, mais aussi les conséquences quant à sa sécurité dès qu’elle ne pourrait plus bénéficier de la protection consulaire européenne dans cet État tiers.

La Cour de justice, sans nier la compétence des États membres, confirme son attachement à maintenir la jouissance effective des droits de la citoyenneté européenne dès lors que le ressortissant peut en tirer un bénéfice évident.

CJUE, gr. ch., 12 mars 2019, M. G. Tjebbes et autres, C-221/17.

Références

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Article 20 

« 1. Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres:

a) le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres;

b) le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu'aux élections municipales dans l'État membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État;

c) le droit de bénéficier, sur le territoire d'un pays tiers où l'État membre dont ils sont ressortissants n'est pas représenté, de la protection des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État;

d) le droit d'adresser des pétitions au Parlement européen, de recourir au médiateur européen, ainsi que le droit de s'adresser aux institutions et aux organes consultatifs de l'Union dans l'une des langues des traités et de recevoir une réponse dans la même langue.

Ces droits s'exercent dans les conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci. »

■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Article 7 

« Respect de la vie privée et familiale.   Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. »

Article 24 

« Droits de l'enfant.   1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.

  2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

  3. Tout enfant a le droit d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. »

■ CJUE, gr. ch., 2 mars 2010, Rottmann, C-135/08 : D. 2010. 2868, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; Rev. crit. DIP 2010. 540, note P. Lagarde.

 

Auteur :Vincent Bouhier

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