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[ 22 mai 2019 ] Imprimer

Droit des obligations

Les conseillers ne sont pas les payeurs

Les conséquences d’un engagement librement souscrit et judiciairement déclaré valable ne constituent pas un préjudice réparable.

Un notaire instrumentaire avait, avec la participation d’un confrère chargé d’assister l’acheteur dans son opération d’acquisition immobilière, rédigé un acte authentique de vente contenant plusieurs mentions, portées à la connaissance de l’acheteur et signées par lui, faisant état de divers désordres affectant le bien vendu. Un an et demi après la vente, l’acheteur avait néanmoins assigné le vendeur en résolution de la vente pour vices cachés et le notaire « en participation » en responsabilité civile professionnelle pour manquement à son obligation de conseil.

La cour d’appel rejeta l’action en garantie en raison de l’apparence des vices dont l’acheteur avait pu se convaincre lui-même, et dont le vendeur n’est, selon l’article 1644 du Code civil, pas tenu. En revanche, elle accueillit l’action en indemnisation, au motif que le notaire en participation avait manqué à son devoir de conseil et d’information en ne transmettant pas à l’acquéreur les documents afférents aux désordres litigieux, reçus du notaire instrumentaire avant la vente, et que, dès lors, il lui avait fait perdre une chance de renoncer à l’acquisition ou de conclure à un moindre prix.

Au visa de l’article 1382, devenu 1240 du Code civil, dont la Cour de cassation déduit la règle selon laquelle les conséquences d’un engagement librement souscrit et judiciairement déclaré valable ne constituent pas un préjudice réparable, celle-ci casse la décision de la cour d’appel qui, alors que selon ses propres constatations, l’acquéreur avait été informé des désordres affectant l’immeuble avant la signature de l’acte authentique, a violé le texte susvisé.

Cette décision marque une limite opportune au devoir d’information et de conseil du notaire. Alors que la jurisprudence contemporaine confère généralement un caractère absolu au devoir de conseil des notaires, qui ne sont déchargés ni par les compétences personnelles du client ni par son assistance par d’autres professionnels, la Cour de cassation considère en l’espèce que l’achat d’un bien immobilier certes vicié, mais souscrit par l’acheteur en parfaite connaissance de cause, exclut l’engagement de la responsabilité du notaire pourtant chargé de l’assister dans la réalisation de cette opération d’achat. 

Dans cette affaire, l’acheteur avait été, à plusieurs reprises et avant la conclusion de la vente définitive, informé des désordres affectant l’immeuble dont il projetait l’acquisition, dans un premier temps par le notaire instrumentaire, qui avait joint au projet d’acte plusieurs annexes en faisant expressément et très précisément état et, dans un second temps, par le notaire en participation, qui avait également transmis à l’acheteur le projet d’acte que son confrère avait établi et dont lui-même avait été, compte tenu de sa mission, le destinataire. Ainsi l’acheteur était-il parfaitement renseigné, au moment de conclure la vente, de l’existence de ces désordres, à la fois dans leur nature, dans leur ampleur, comme dans leurs conséquences. L’obligation d’information, entendue de manière objective comme l’obligation pour le débiteur de l’obligation de renseigner son créancier sur des informations proprement dites, concrètes ou techniques, concernant le bien objet du contrat, avait donc été correctement remplie.

La cour d’appel reprochait en vérité au notaire en participation de ne pas avoir rempli son obligation de conseil, qui apparaît comme la déclinaison la plus exigeante de l’obligation générale d’information en tant qu’elle revient à imposer au professionnel l’obligation d’inciter son co-contractant à agir ou à s’abstenir, celle aussi d’orienter ses choix en l’éclairant sur l’opportunité de l’acte qu’il s’apprête à conclure. En l’espèce, les juges du fond considéraient que le notaire aurait dû en conséquence conseiller à son client de ne pas acheter ou, du moins, à un prix inférieur à celui initialement prévu, pour motiver leur décision d’obliger le premier à indemniser le second de la perte de chance de ne pas contracter ou de ne pas avoir conclu à un meilleur prix. Il est vrai que l’absence d’information précontractuelle, lorsqu’elle est reconnue comme fautive, donne lieu à indemnisation au titre de la perte de chance, dès lors que celui à qui cette information était due ne se serait probablement pas engagé ou alors à des conditions plus favorables s’il avait été correctement informé (V. par ex. Civ. 3e, 7 avr. 2016, n° 15-14.888). Cette solution ne vaut naturellement que lorsque l’information n’a pas été délivrée tandis qu’en l’espèce, elle fut non seulement transmise mais, de surcroît, renouvelée en sorte que le dommage allégué, ne résultant que d’un engagement volontairement et valablement consenti, n’était pas réparable.

Civ. 1re, 10 avr. 2019, n°18-14.987

Références

■ Civ. 3e, 7 avr. 2016, n° 15-14.888: AJDI 2016. 522

 

Auteur :Merryl Hervieu

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