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Procédure pénale
Les contrôles d’identité sur réquisitions validés par le Conseil constitutionnel, sous deux réserves
Mots-clefs : Contrôle d’identité sur réquisition, Contrôle, Conseil constitutionnel, Étranger, Procureur de la République
Par une décision QPC du 24 janvier 2017, le Conseil constitutionnel a validé, sous deux réserves d’interprétation, les dispositions du Code de procédure pénale et du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui autorisent les contrôles d’identité sur réquisitions du procureur de la République et permettent le contrôle du titre de séjour d’un étranger.
Quelques semaines seulement après la salve d’arrêts de la Cour de cassation venus rappeler l’illégalité des contrôles d’identité « au faciès » et l’engagement de la responsabilité de l’État (Crim. 3 nov. 2016, n° 15-85.548; Civ. 1re, 9 nov. 2016, n° 15-24.210, 15.25.873, 15-24.212, 15-25.872), le Conseil constitutionnel, saisi sur QPC, était amené à se prononcer sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du sixième alinéa de l'article 78-2 du Code de procédure pénale, de l'article 78-2-2 du même code, et des articles L. 611-1 et L. 611-1-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
Les dispositions contestées des articles 78-2 et 78-2-2 du Code de procédure pénale permettent que soient engagées des procédures de contrôle d'identité, sur réquisitions écrites du procureur de la République, pour la recherche et la poursuite d'infractions, dans des lieux et pour une période de temps qui doivent être précisés par ce magistrat. Le Conseil estime qu’elles ne méconnaissent pas l’article 66 de la Constitution car elles n’entrainent pas de privation de la liberté individuelle. Il juge ensuite que ces dispositions ne contreviennent pas à la liberté d’aller et venir (DDH, art. 2 et 4), sous deux réserves : 1/ que le procureur de la République ne retienne pas des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions ; 2/ que ces dispositions n’aboutissent pas, par un cumul de réquisitions sur des réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, à autoriser la pratique de contrôles d'identité généralisés dans le temps ou dans l'espace (§ 23). Le Conseil rejette également le grief tiré de la violation du principe d’égalité devant la procédure pénale (DDH, art. 6) « dès lors que toute personne se trouvant sur les lieux et pendant la période déterminés par la réquisition du procureur de la République peut être soumise à un contrôle d'identité » et que « la mise en œuvre des contrôles ainsi confiés par la loi à des autorités de police judiciaire doit s'opérer en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes » (§ 26). Le droit à un recours juridictionnel, au sens de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, n’est pas non plus atteint puisque la légalité d’un contrôle d’identité peut être contestée devant le juge judiciaire (soit dans le cadre des éventuelles poursuites pénales subséquentes, soit dans le cadre d’une action en responsabilité contre l’État) et qu’« il incombe aux tribunaux compétents de censurer et de réprimer les illégalités qui seraient commises et de pourvoir éventuellement à la réparation de leurs conséquences dommageables » (§ 29).
En ce qui concerne les dispositions des articles L. 611-1 et L. 611-1-1 du CESEDA, qui permettent aux services de police judiciaire, à la suite d'un contrôle d'identité effectué sur réquisitions, de demander aux étrangers de présenter les pièces ou documents sous le couvert desquels ils sont autorisés à circuler ou à séjourner en France et, le cas échéant, de les placer en retenue administrative, le Conseil retient que « la loi peut exiger des étrangers la détention, le port et la production des documents attestant la régularité de leur entrée et de leur séjour en France » et que « la circonstance que le déroulement des opérations de contrôle d'identité sur réquisitions […] conduise les autorités de police judiciaire à constater que la personne contrôlée est de nationalité étrangère ne saurait […] priver ces autorités des pouvoirs qu'elles tiennent de façon générale des dispositions du CESEDA » (§ 33). Il rappelle qu’« un contrôle d'identité réalisé en application du sixième alinéa de l'article 78-2 ou de l'article 78-2-2 du Code de procédure pénale doit s'opérer en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination et que le respect de cette prescription est assuré, en particulier en cas de procédure de rétention administrative faisant suite à ce contrôle, par le juge judiciaire » (§ 34) et que « le contrôle qui s'ensuit des documents relatifs à la régularité du séjour ne peut être effectué que si des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l'intéressé sont de nature à faire apparaître sa qualité d'étranger » (§ 35). Il estime ainsi que « les dispositions contestées ne sauraient autoriser le recours à des contrôles d'identité sur le fondement du sixième alinéa de l'article 78-2 ou de l'article 78-2-2 du Code de procédure pénale aux seules fins de contrôler la régularité du séjour des personnes contrôlées » (§ 36).
Comme le rappelle le commentaire de la décision, les contrôles d’identité sur réquisitions du procureur de la République ont été introduits par la loi n° 93-992 du 10 août 1993 relative aux contrôles et vérifications d’identité et sont demeurés inchangés jusqu’à aujourd’hui (si ce n’est qu’ils sont, depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, prévus à l’al. 7 et non plus à l’al. 6 de l’art. 78-2). Inspirés des opérations « coup de poing » réalisées sur le fondement de l’article L. 234-9 du Code de la route pour dépister l’alcool au volant, ces contrôles d’identité ont été conçus pour répondre à une demande de sécurité dans des zones « où les autorités savent que des infractions sont commises régulièrement mais sans en avoir précisément identifié les auteurs » (Rapport n° 259 de M. Jacques Limouzy, fait au nom de la commission des lois déposé́ le 2 juin 1993, p. 17). Dans ses réquisitions, le procureur est tenu d’indiquer les infractions qui motivent l’opération, ainsi qu’un lieu, une date et une période de temps. Ensuite, à l’intérieur du périmètre déterminé, toute personne peut être contrôlée indépendamment de son comportement. Quant aux contrôles de l’article 78-2-2, ils ont été introduits dans le Code de procédure pénale par la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001. Ils peuvent être mis en œuvre aux fins de recherche et de poursuite des infractions en matière de terrorisme, de prolifération des armes de destruction massive, d’armes et d’explosifs, de trafic de stupéfiants et de certains vols et recels et permettent, en outre, la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public (ainsi que la fouille des bagages depuis la loi du 3 juin 2016 ; V. Dalloz Actu Étudiant, 14 sept. 2016).
Les dispositions du CESEDA datent, pour leur part, de la loi du n° 93-1027 du 24 août 1993 (laquelle a repris le contenu des décrets du 18 mars 1946 et du 30 juin 1946 pris en application de l’art. 8 de l’Ord. n° 45-2658 du 2 nov. 1945), et elles ont été complétées par la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012. Elles prévoient que la qualité étrangère d’une personne peut être soit présumée par les autorités policières habilitées à procéder directement à un contrôle des titres d’entrée et de séjour, soit découverte à l’issue d’un contrôle d’identité précédant la vérification de ces documents. Avant la loi du 31 décembre 2012, ces dispositions ne précisaient pas les conditions dans lesquelles une personne pouvait être présumée étrangère. Cependant la chambre criminelle, avec ses arrêts Bogdan et Vuckovic du 25 avril 1985 (n° 84-92.916 et 85-91.324), avait exigé que les contrôles directs des documents de séjour reposent sur des « éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l’intéressé́ [et] de nature à faire apparaître [sa qualité́] d’étranger ». Et le Conseil constitutionnel lui-même, tout en admettant un contrôle direct du titre de séjour indépendamment d’un contrôle d’identité, avait émis une réserve d’interprétation suivant laquelle « la mise en œuvre des vérifications ainsi confiées par la loi à des autorités de police judiciaire doit s’opérer en se fondant exclusivement sur des critères objectifs et en excluant, dans le strict respect des principes et règles de valeur constitutionnelle, toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes » (Cons. const. 13 août 1993, n° 93-325 DC). Exigence désormais intégrée au troisième alinéa du I de l’article L. 611-1 du CESEDA.
Les articles 78-2, alinéa 6, et 78-2-2 du Code de procédure pénale ayant déjà été déclarés conformes à la Constitution respectivement par les décisions n° 93-323 DC du 5 août 1993 et n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 (Cons. const. 5 août 1993, n° 93-323 DC et Cons. const. 13 mars 2003, n° 2003-467 DC), c’est l’existence d’une circonstance nouvelle qui a justifié le renvoi de la question au Conseil, la chambre criminelle de la Cour de cassation ayant relevé, dans ses arrêts du 18 octobre 2016 (Crim. 18 oct. 2016, n° 16-90.022 et n° 16-90.023), qu’avec la dépénalisation du séjour irrégulier des étrangers résultant de la loi du 31 décembre 2012 précitée, « l’exécution des réquisitions délivrées en application des articles 78-2 et 78-2-2, auxquels renvoient les articles L.611-1 et L.611-1-1, p[ouvait] désormais être l’occasion de constater non seulement des infractions autres que celles visées dans lesdites réquisitions, mais encore des irrégularités du séjour des étrangers non constitutives d’infractions, emportant des conséquences sur leur liberté individuelle dès lors qu’ils peuvent faire l’objet d’une rétention », et que « dans ce nouveau contexte, la question de l’étendue des garanties offertes par les dispositions contestées présent[ait] un caractère sérieux ».
Cons. const. 24 janv. 2017, n° 2016-606/607 QPC
Références
■ Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
Article 2
« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »
Article 4
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »
Article 6
« La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
Article 16
« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »
■ Crim. 3 nov. 2016, n° 15-85.548 P, Dalloz Actu Étudiant, 13 janv. 2017 ; D. 2016. 2284.
■ Civ. 1re, 9 nov. 2016, n° 15-24.210, 15.25.873, 15-24.212, 15-25.872, Dalloz Actu Étudiant, 13 janv. 2017 ; AJ pénal 2017. 89 ; AJDA 2016. 2137 ; ibid. 2457, tribune B. Camguilhem ; D. 2017. 261, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; ibid. 2016. 2340, communiqué C. cass.
■ Crim. 25 avr. 1985, n° 84-92.916 et 85-91.324 P.
■ Cons. const. 13 août 1993, n° 93-325 DC ; D. 1994. 111, obs. D. Maillard Desgrées du Loû ; Dr. soc. 1994. 69, étude J.-J. Dupeyroux et X. Prétot ; RFDA 1993. 871, note B. Genevois ; Rev. crit. DIP 1993. 597 ; ibid. 1994. 1, étude D. Turpin.
■ Cons. const. 5 août 1993, n° 93-323 DC ; AJDA 1993. 815, note P. Wachsmann.
■ Cons. const. 13 mars 2003, n° 2003-467 DC ; D. 2004. 1273, obs. S. Nicot ; RSC 2003. 614, obs. V. Bück ; ibid. 616, obs. V. Bück.
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