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[ 14 mars 2019 ] Imprimer

Droit de l'entreprise en difficulté

Les dangers de la garantie à première demande illustrés

La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 30 janvier 2019, qualifie l'engagement souscrit par le gérant d’une société placée en liquidation judiciaire de garantie à première demande et rappelle qu’en conséquence le bénéficiaire d’une telle garantie n’est pas tenu d’une obligation de mise en garde à l'égard du garant. 

En l’espèce, le 19 février 2013, le gérant d’une société signa un acte intitulé « garantie à première demande » au profit d’une autre société. Le 20 août 2013, la société bénéficiaire déclara une créance au passif de la société du gérant, laquelle fut mise en redressement judiciaire le 2 août 2013 et puis en liquidation judiciaire le 31 janvier 2014. La société bénéficiaire assigna en exécution de son engagement le gérant de la société mise en liquidation judiciaire.  

La cour d'appel de Toulouse rendit un arrêt infirmatif le 29 mars 2017, et accueillit la demande du bénéficiaire. En effet, elle décida que la société bénéficiaire n’avait pas manqué à son devoir de mise en garde. Le gérant de la société mise en liquidation forma alors un pourvoi en cassation en se fondant sur les articles 1147 d’une part, et 2298 et 2321 du Code civil d’autre part. 

Ce dernier soutint dans un premier temps que l’engagement devait être qualifié de cautionnement en dépit de l’intitulé de l’acte. En effet, il était stipulé que l'engagement litigieux portait sur l’obligation du débiteur principal, c'est-à-dire la société placée en liquidation judiciaire. De plus, le gérant, qui n’est pas forcément un contractant avisé, avait signé seul et s’était engagé solidairement et indivisiblement envers le créancier de la société débitrice. Dans un second temps, le gérant soutint que le cautionnement était nul, faute du respect du formalisme, et manifestement disproportionné. En effet, la société bénéficiaire avait connaissance de la mauvaise situation de la société débitrice et avait extorqué le consentement du gérant en le menaçant de mettre un terme aux relations entre les deux sociétés. De plus, le gérant estimait ne pas avoir été mis en garde par la société bénéficiaire. 

La Cour de cassation rejeta le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel. L’engagement litigieux étant ambigu, sa qualification relevait du pouvoir souverain d’interprétation de la cour d’appel. Cette dernière avait relevé que l’engagement du gérant n’avait pas pour objet la propre dette du débiteur mais s'analysait en un appel motivé par l'inexécution par le débiteur de ses obligations, de sorte que le garant, à réception de cette demande, ne pouvait en différer le paiement ni soulever de contestation pour quelque motif que ce soit. La Haute juridiction décida en conséquence, et malgré les mentions « solidaire et indivisible » dans l’engagement, que la cour d’appel avait légalement justifié sa décision de qualifier l’engagement de garantie à première demande. Dès lors, le créancier bénéficiaire d'une garantie à première demande n'est débiteur d'aucune obligation de mise en garde à l'égard du garant autonome. 

On remarquera ici le contrôle minutieux opéré par la chambre commerciale sur la qualification de l’engagement. La garantie autonome, ou garantie à première demande, constitue en effet une sûreté personnelle particulièrement avantageuse pour le créancier. Ce dernier est libéré des nombreux moyens de défense opposables dans le cadre d’un cautionnement, notamment l’obligation d’information. La solution, classique sur ce point (v. not. Nancy, 22 sept. 1997), trouve sa justification dans le mécanisme même de la garantie autonome. La Cour de cassation pose en effet depuis 1994 comme critère de qualification le « caractère propre de l’objet de l’obligation du garant » (Com. 13 déc. 1994, n° 92-12.626). En d’autres termes, la dette du garant n’est pas celle du débiteur. Dès lors, l’information sur la situation du débiteur n’apparaît pas pertinente (V. M. Bourassin, V. Brémont, M.-N. Jobard-Bachelier, Droit des sûretés, Dalloz, Sirey, 5e éd., 2016, n° 533). 

Com. 30 janv. 2019, n° 17-21.279 

Références

 Nancy, 22 sept. 1997 : RTD Com. 1998. 655, obs M. Cabrillac

 Com. 13 déc. 1994, n° 92-12.626 P : D. 1995. 209, rapp. H. Le Dauphin, note L. Aynès ; RTD com. 1995. 458, obs. M. Cabrillac

 Sur la « garantie à première demande » voir not. : C. MOULY, L'avenir de la garantie indépendante en droit interne français, in Mélanges en hommage à André Breton et Fernand Derrida, 1991, Dalloz, p. 267 s. ; F. JACOB,L'avenir des garanties autonomes en droit interne, in Études offertes au doyen Philippe Simler, 2006, Litec-Dalloz, p. 341 s.

 

Auteur :Fernanda Sabrinni


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