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Droit du travail - relations individuelles
Les droits aux congés payés du salarié malade
Un salarié en arrêt de travail pour maladie pendant deux ans peut acquérir des droits à congés payés durant son absence et demander un report des congés acquis précédemment.
Soc. 15 septembre 2021, n° 20-16.010
Le droit national français en matière de congés-payés n’est pas conforme au droit européen. La CJUE l’a clairement indiqué (CJUE, gr. ch., 24 janv. 2012, Dominguez, C-282/10), la Cour de cassation le sait (rapport annuel de la Cour de Cassation de 2013 et 2017), les auteurs le répètent (A. Gardin, les congés payés du salarié malade : des clés pour une réforme législative indispensable, RJS 10/18, p. 696). Tous invitent le législateur à modifier les textes qui posent difficulté mais celui-ci fait la sourde oreille, obligeant la Cour de cassation à livrer des arrêts passablement compliqués. L’arrêt commenté présente du moins l’intérêt de rappeler comment le droit européen impacte le droit national.
En l’espèce, une salariée embauchée comme infirmière par un organisme de sécurité sociale est en arrêt de travail en raison d’une affection de longue durée d’origine non professionnelle pendant plus de 2 ans, de décembre 2013 à janvier 2016. A son retour, elle prétend bénéficier des congés payés acquis avant son arrêt de travail d’une part, de jours de congés acquis au cours de ses deux années d’arrêt de travail d’autre part. Devant le refus de l’employeur, la salariée saisit le conseil des prud’hommes d’une demande d’indemnité correspondant à l’ensemble des congés litigieux. Deux questions juridiques doivent être soigneusement distinguées : celles de l’acquisition des congés et celles de la prise des congés acquis.
■ L’acquisition des congés
Tout le monde connaît la règle adoptée en 1982 : les salariés ont droit chaque année à 5 semaines de congés payés. Dans le détail, la situation est beaucoup plus compliquée et les textes français doivent s’articuler avec une directive européenne du 4 novembre 2003 (n° 2003/88/CE) en particulier pour identifier les conditions requises pour acquérir des congés payés. L’article L. 3141-3 du Code du travail dispose que « le salarié a droit à un congé de 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif ». Ainsi, sur une période donnée, par exemple l’année civile 2014, le salarié qui travaille 12 mois acquiert 2,5 jours x 12 soit 30 jours ouvrables ce qui correspond à 5 semaines. Reste que le texte exige un « travail effectif » et c’est là que débutent les difficultés. Les congés payés visent principalement à permettre au salarié de se reposer afin de préserver sa santé. En exigeant un travail effectif, le législateur risque donc de priver certains salariés de tout congé.
Les faits de l’espèce l’illustrent parfaitement : une salariée est en arrêt de travail pendant 2 ans, elle reprend le travail début 2016. En l’absence de tout travail effectif, elle n’a acquis aucun congé pour les deux dernières années. Certes, le législateur a prévu que certaines absences sont assimilables à du temps de travail effectif (C. trav., art. L. 3141-5). Mais si l’absence consécutive à un accident du travail est mentionnée, ce n’est pas le cas d’une absence pour maladie non professionnelle. C’est là qu’intervient la directive européenne. Selon la CJUE, la directive n’opère aucune distinction en fonction de l’origine de la maladie (professionnelle ou non) et tout travailleur –qu’il travaille ou soit en arrêt maladie - a droit aux congés payés prévus au niveau européen. En bref, le salarié malade acquiert tout de même des congés. Reste un problème de taille pour le juge français : comment faire application de cette directive dans un litige opposant deux particuliers alors que le droit français ne le prévoit pas ? Cette question était au cœur de l’arrêt commenté.
Rappelons le principe : une directive non transposée n’a pas d’effet horizontal direct. Cela signifie qu’une prérogative qui y figure ne peut pas être invoquée par un particulier contre un autre particulier. Toutefois, dans la mesure du possible, le juge national doit interpréter le droit national à la lumière du droit européen pour essayer de parvenir à une interprétation conforme. Or en l’espèce, l’employeur était couvert par une convention collective qui énonçait deux clauses :
Clause 1 : les absences pour longue maladie avec maintien de salaire sont assimilées à du temps de travail.
Clause 2 : les absences pour maladie d’une durée supérieure à 12 mois n’ouvrent pas droit à congé.
Comment interpréter la convention collective lorsque, comme en l’espèce, la salariée a bénéficié d’un maintien de salaire pour un arrêt maladie de 2 ans. Faut-il retenir la clause 1 ou la clause 2 ?
La Cour de cassation rappelle qu’il faut interpréter le droit national à la lumière du droit européen et essayer ainsi, dans la mesure du possible, de garantir le respect de la directive en retenant une solution conforme à la finalité de celle-ci.
C’est pourquoi, en l’espèce, il faut essayer de faire prévaloir la clause 1 qui permet à un salarié malade d’acquérir des congés, quelle que soit l’origine de sa maladie. Pour aboutir à cette solution, il convient d’interpréter la convention collective comme indiquant que la clause 2 joue uniquement lorsqu’il n’y a pas de maintien de salaire. En l’espèce, la salariée avait eu un maintien de salaire, elle pouvait donc se prévaloir de la clause 1 et ainsi acquérir des congés pendant ses deux années d’absence. Reste alors à savoir jusqu’à quand un salarié conserve ses congés acquis.
■ Le report des congés acquis
Lorsqu’un salarié a acquis des congés, l’employeur doit ensuite lui permettre de les prendre au cours d’une période fixée en principe par accord collectif (C. trav., art. L. 3141-12).
Par exemple, l’accord peut indiquer que la prise des congés doit se situer entre le 1er janvier et le 1er décembre de l’année suivant celle d’acquisition. Ainsi, un salarié qui a acquis 30 jours de congés en 2013 doit les prendre au cours de l’année 2014. Dès lors, comment permettre à un salarié de bénéficier de ses congés acquis s’il est en arrêt de travail pour maladie pendant toute la période de prise des congés ?
Celui-ci peut-il exiger le report des congés sur une autre période ou les congés sont-ils perdus ?
En l’espèce, la question se posait puisque la salariée prétendait pouvoir prendre en 2016 les congés acquis en 2013. Là encore, la directive européenne impacte le droit français. Selon la CJUE, lorsqu’un salarié est malade pendant la période de prise des congés, il doit pouvoir prendre ses congés lors de la reprise du travail. La Cour de cassation retient depuis longtemps cette solution (Soc. 24 févr. 2009, n° 07-44.488).
Toutefois un État a la faculté (et non l’obligation) de limiter dans le temps ce report des congés payés. Dans ce cas, la période au terme de laquelle les congés acquis sont perdus doit être substantielle. Ont ainsi été jugées insuffisantes des durées de report de 9 mois ou de 1 an. Par ailleurs, si l’entreprise n’a pas limité par accord collectif la période de report, il n’appartient pas au juge de le faire à sa place (Soc. 21 sept. 2017, n° 16-24.022). Or en l’espèce, la convention collective n’organisait aucune perte des droits à congés acquis à l’issue d’une période de report. La clause 2 ne pouvait pas être interprétée en ce sens.
Par conséquent, la salariée pouvait parfaitement demander à bénéficier en 2016 de ses droits à congés acquis avant son arrêt de travail de décembre 2013.
La solution commentée peut paraître étroitement liée à la teneur de la convention collective applicable, limitant par conséquent sa portée. Or la Cour de cassation profite de la nouvelle rédaction de ses arrêts pour livrer, dans le point 6, une petite leçon de droit européen. Comment faudrait-il procéder s’il n’y avait pas eu de convention collective à interpréter ? La Cour de cassation évoque la solution retenue par la CJUE le 6 novembre 2018 (C-569-16). Le droit au congé ne résulte pas seulement d’une directive européenne. Il figure également à l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Or la Charte a la même valeur que les traités. Dès lors, ses dispositions impératives et inconditionnelles ont un effet horizontal direct et par conséquent peuvent être invoquées dans un litige entre un employeur et un salarié. En cas de contrariété entre le droit à congé et une règle national contraire, le juge national doit donc écarter la règle interne pour faire prévaloir la Charte. Si c’est insuffisant, l’État peut être condamné par les juridictions administratives à indemniser un particulier pour mauvaise transposition de la directive. Par ailleurs, la Cour rappelle que pour les salariés d’une organisation étatique, cela est beaucoup plus simple : la directive peut dans ce cas jouer un effet vertical direct. L’employeur public devra alors nécessairement payer les congés de ses salariés malades… A bon entendeur… !
Références
■ CJUE, gr. ch., 24 janv. 2012, Dominguez, C-282/10 :D. 2012. 369 ; ibid. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; JA 2012, n° 454, p. 12, obs. L.T. ; RDT 2012. 371, obs. M. Véricel ; ibid. 578, chron. C. Boutayeb et E. Célestine ; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci ; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier ; ibid. 2013. 677, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis
■ Soc. 24 févr. 2009, n° 07-44.488 P : D. 2009. 817 ; ibid. 2128, obs. J. Pélissier, T. Aubert, M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, B. Lardy-Pélissier et B. Reynès ; RDT 2009. 241, obs. M. Véricel
■ Soc. 21 sept. 2017, n° 16-24.022 P : D. 2017. 1921, obs. N. explicative de la Cour de cassation ; JA 2018, n° 572, p. 39, étude J.-F. Paulin et M. Julien ; RDT 2018. 63, obs. M. Véricel
■ CJUE, gr. ch., 6 nov. 2018, C-569-16 : AJDA 2018. 2165 ; ibid. 2019. 559, étude C. Fernandes ; RDT 2019. 261, obs. M. Véricel ; RTD eur. 2019. 387, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 401, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 693, obs. S. Robin-Olivier
■ Pour comprendre l’effet direct, V. ici.
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