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Procédure civile
Les droits de la défense du majeur protégé
Mots-clefs : Majeurs protégés, Droits de la défense, Principe du contradictoire, Audition du majeur, Consultation des pièces, Information du majeur, Assistance d'un avocat
Toute personne, même incapable, a droit à ce que sa cause soit entendue contradictoirement, cette exigence impliquant que chaque partie ait la faculté de prendre connaissance et de discuter de toute pièce présentée au juge.
L'audition de la personne vulnérable en vue de son placement sous protection juridique, son droit d’accès au dossier ainsi que son droit d’être assisté par un avocat constituent des exigences, soutenues tant par le droit interne que par le droit européen des droits de l’homme (Conv. EDH, art. 6), et ici réaffirmées par la Cour de cassation.
En l’espèce, un jugement avait placé un incapable en curatelle renforcée pour une durée de soixante mois. En appel, ce jugement fut partiellement infirmé et l’intéressé placé sous curatelle simple. Ce dernier format un pourvoi en cassation pour contester la mesure. Au visa des articles 16 et 1222-1 du Code de procédure civile, et au motif que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue contradictoirement et que cette exigence implique que chaque partie ait la faculté de prendre connaissance et de discuter de toute pièce présentée au juge, la décision de la cour d’appel est censurée par la Cour, laquelle retient qu’il ne résulte ni des énonciations de l’arrêt, ni des pièces de la procédure, que l’intéressé, qui n’était pas assisté lors de l’audience, ait été avisé de la faculté qui lui était ouverte de consulter son dossier au greffe, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il ait été mis en mesure de prendre connaissance, avant l’audience, des pièces présentées à la juridiction et, par suite, de les discuter utilement.
S’agissant du droit de l’incapable d’être entendu, l’article 432 du Code civil dispose qu’à l'audience, le juge « statue, la personne entendue ou appelée. L’intéressé peut être accompagné par un avocat ou, sous réserve de l’accord du juge, par toute personne de son choix », le second alinéa du texte prévoyant l’exception selon laquelle le juge peut, sur avis médical, décider de ne pas procéder à l’audition de l’intéressé lorsque celle-ci est de nature à porter atteinte à sa santé ou si l’incapable est hors d’état d’exprimer sa volonté. Sous cette réserve, le majeur protégé a, comme tout justiciable, le droit à ce que sa cause soit entendue contradictoirement, l’effectivité de ce droit supposant qu’il ait la faculté de prendre connaissance et de discuter de toute pièce présentée au juge, notamment des conclusions de l’expert médical auquel son cas aura été soumis (Civ. 1re, 13 juill. 2004, n° 01-14.506: cassation du jugement rendu sans que le majeur protégé, auteur du recours, ait été en mesure d’assister personnellement aux débats et de prendre connaissance des conclusions de l’expert, de sorte que la procédure suivie a été dépourvue de caractère contradictoire). Cette règle est d’ordre public. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation reproche en l’espèce à la cour d’appel de s’être abstenue, en violation des articles 16 et 1222-1 alinéa 1er du Code de procédure civile, d’aviser l’incapable de son droit de consulter le dossier au greffe de la juridiction. Ainsi rappelle-t-elle la nécessité, dans cette hypothèse, d’annuler la procédure dès lors que l’intéressé, en l’absence de notification de la possibilité de consulter son dossier au greffe, a été privé de la possibilité de connaître et de discuter, au mépris des droits de la défense et du principe du contradictoire, les conclusions de l’expertise médicale (Civ. 1re, 11 mars 2009, n° 08-10.118 ).
Dans le même sens, la Cour avait déjà jugé impératif le constat, par les juges du fond, que les conclusions du ministère public avaient bien été mises à la disposition de la personne protégée, ou étaient connues d'elle, en sorte qu'elle puisse y répondre utilement. Rappelons à ce titre que lorsque le procureur de la République est partie principale, c'est-à-dire qu'il est lui-même à l'initiative de l'appel, ce dernier doit assister à l'audience alors que s’'il revêt la qualité de partie jointe, ce qui était le cas en l’espèce, il est libre d’y assister mais demeure tenu de faire connaître ses conclusions, par écrit ou oralement, lors de l'audience (Civ. 1re, 20 nov. 2013, n° 12-27.218) en sorte que comme tout justiciable, le majeur protégé ait le temps nécessaire de pouvoir se défendre utilement.
En l’espèce, les réquisitions du ministère public avaient bien été transmises à l’incapable. Néanmoins, cette communication n’a pas suffi au respect des droits de la défense du majeur protégé, la cour d’appel ayant omis de vérifier qu’il avait été averti suffisamment tôt de la date d’audience à laquelle il avait été convoqué pour pouvoir se défendre utilement, cette omission méconnaissant les termes des articles 1244 du Code de procédure civile et 6 paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme. Enfin, la Cour souligne que le majeur n’était pas assisté lors de l’audience, contrairement à la règle selon laquelle dans toute instance relative à l’ouverture, la modification ou la mainlevée d’une mesure de protection, le majeur à protéger ou protégé doit être informé, dans l’acte de convocation, qu’il peut faire le choix d’un avocat ou demander à la juridiction saisie qu’il lui en soit désigné d’office (C. pr. civ., art. 1214). Ce défaut d’information de son droit à l’assistance d’un avocat justifie également la cassation de la décision des juges du fond par la Cour, quoique celle-ci admette qu’un majeur puisse être placé sous tutelle malgré une audition sans assistance en première instance dès lors que son avocat a été régulièrement convoqué à l'instance d'appel et entendu en ses observations (Civ. 1re, 23 oct. 2013, n° 11-28.113. Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 13-18.932).
Civ. 1re, 18 nov. 2015, n° 14-28.223
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 6
« Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
■ Code civil
■ Code de procédure civile
■ Civ. 1re, 13 juill. 2004, n° 01-14.506, Bull. civ. I, n° 205, D. 2004. 2547 ; ibid. 2006. 1570, obs. J.-J. Lemouland et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2004. 367, obs. L. Attuel-Mendès ; RTD civ. 2004. 716, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 11 mars 2009, n° 08-10.118, Bull. civ. I, n° 56 ; D. 2009. 1864, note V. Norguin ; ibid. 2183, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2009. 224, obs. L. Pécaut-Rivolier ; RTD civ. 2009. 296, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 20 nov. 2013, n° 12-27.218, Bull. civ. I, n° 225, AJ fam. 2014. 56, obs. T. Verheyde ; RTD civ. 2014. 83, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 23 oct. 2013, n° 11-28.113.
■ Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 13-18.932, D. 2014. 2259, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy.
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