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[ 5 juin 2024 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Les droits du salarié licencié pour inaptitude professionnelle

Une indemnité égale à l’indemnité compensatrice de préavis est accordée au salarié licencié dès lors que son inaptitude, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle et que l'employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement. 

La violation de l’obligation de notifier au salarié les motifs qui s’opposent à son reclassement ouvre droit non pas à une indemnité forfaitaire mais à une indemnité fonction du préjudice subi. 

Soc. 7 mai 2024, n° 22-10.905

L’inaptitude du salarié peut, selon les circonstances, trouver son origine dans la survenance d’un risque professionnel ou être totalement déconnectée de sa vie professionnelle. Aussi le législateur a-t-il élaboré deux régimes de licenciement distincts. Au cours de ces dernières années, les différences ont eu tendance à s’amenuir mais il demeure quelques nuances et les multiples révisions des textes peuvent facilement conduire à des erreurs. L’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 7 mai 2024 offre ainsi l’occasion de rappeler le régime du licenciement pour inaptitude professionnelle.

En l’espèce, un salarié embauché en qualité de chauffeur poids lourd est victime d'un accident du travail le 18 avril 2012. Il ne reprend jamais le travail et après une série arrêts, il est convié à une visite de reprise le 30 mars 2015. Déclaré inapte pour maladie non professionnelle par le médecin du travail, il est licencié le 5 mai 2015. Le salarié prétend alors obtenir différentes indemnités en affirmant que son inaptitude a une origine professionnelle et que par ailleurs la procédure de reclassement n’a pas été scrupuleusement suivie. Les juridictions du fond ayant accueilli sa demande, l’employeur se pourvoit en cassation. L’arrêt permet de rappeler des solutions subtiles concernant tant les indemnités de rupture que la méconnaissance de règles procédurales.

■ L’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis :

Les droits du salarié licencié varient selon l’origine de l’inaptitude. Lorsque l’inaptitude est d’origine non professionnelle, le salarié bénéficie de l’indemnité légale de licenciement mais ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis car il est dans l’impossibilité de l’exécuter (Soc. 5 juill. 2023, n° 21-25.797). Lorsque l’inaptitude trouve sa source dans un accident du travail ou une maladie professionnelle, l’article L. 1226-14 du code du travail accorde au salarié non seulement une indemnité spéciale de licenciement correspondant au double de l’indemnité légale mais également une indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis. En l’espèce, dès décembre 2012, le salarié avait bénéficié d’arrêts maladie d’origine non professionnelle. Il n’avait d’ailleurs jamais sollicité sa prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail. Enfin, le médecin du travail avait indiqué sur l’avis d’inaptitude que celle-ci avait pour origine une maladie ou accident non professionnel. Aussi, selon l’employeur, le salarié ne pouvait prétendre aux droits liés à la survenance d’un accident du travail. Son pourvoi est sans surprise rejeté. Depuis longtemps la Cour de cassation considère que « les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement ». (Voir déjà, Soc. 29 juin 2011, n° 10-11.699). La protection du droit du travail est ainsi déconnectée de celle du droit de la sécurité sociale. Le juge prud'homal n’étant pas lié par les décisions des organismes de sécurité sociale relatives à la prise en charge des accidents ou des maladies professionnelles, il peut accorder au salarié la protection reconnue par le code du travail alors même que la caisse ne s’est pas prononcée sur le caractère professionnel de l’accident (Soc. 24 juin 2015, n° 13-28.460). La Cour de cassation n’est d’ailleurs pas très exigeante pour admettre l’origine professionnelle de l’inaptitude. Ainsi, la date de l’invocation du caractère professionnel importe peu et le lien avec un accident du travail peut n’être que partiel. Il suffit que l’employeur ait connaissance de ce lien au moment du licenciement. Or en l’espèce, l’employeur savait pertinemment que le salarié avait été victime d’un accident du travail trois ans auparavant et qu’il n’avait jamais repris le travail depuis lors. Les juges du fond pouvaient donc déduire de ces faits que l’inaptitude était d’origine professionnelle. La solution retenue est particulièrement protectrice des intérêts des salariés. On observera en effet qu’en l’espèce, l’avis d’inaptitude n’avait pas été contesté par le salarié. Or, cette contestation, qui relève désormais du conseil des prud’hommes, doit être effectuée dans un bref délai de 15 jours suivant sa notification. En ne tissant aucun lien entre la position du médecin sur l’origine de l’inaptitude et sa contestation potentielle, la Cour réduit la portée de l’avis (L. 4624-7 et R. 4624-45). Le salarié pouvait donc valablement prétendre à une indemnité de licenciement doublée et une indemnité d’un montant égal à l’indemnité compensatrice de préavis. En revanche, la Cour censure le raisonnement de la cour d’appel qui avait cru pouvoir lui attribuer une somme à titre des congés payés afférents à cette dernière indemnité. En effet la loi reconnaît non une indemnité compensatrice de préavis mais une « indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis ». La nuance est importante car si l’indemnité compensatrice de préavis ouvre droit à une indemnité de congés payés (L. 1234-5 c. trav.) tel n’est pas le cas de l’indemnité versée au salarié inapte car elle n’a pas la nature de salaire. (voir déjà Soc. 7 févr. 2024, n° 22-15.988).

■ Le défaut de notification des motifs s’opposant au reclassement :

À la suite de la visite de reprise, si le médecin déclare le salarié inapte, l’employeur dispose d’un délai d’un mois pour lui proposer un poste de reclassement compatible avec son état de santé ou à défaut, le licencier. Quelle que soit l’origine de l’inaptitude, les obligations pesant sur l’employeur sont ici similaires (L. 1226-4L. 1226-11 c. trav.). En particulier, la recherche doit être précédée d’une consultation du CSE et si aucun poste n’est disponible, l’employeur doit faire connaître par écrit au salarié les motifs qui s'opposent à son reclassement (L. 1226-2-1 et L.1226-12 c. trav.). Cette formalité se situe en amont de la procédure de licenciement et ne se confond donc pas avec la motivation de la lettre de licenciement. La question juridique posée à la Cour régulatrice concernait ici la sanction attachée à la méconnaissance de cette obligation spécifique de motivation. À lire attentivement les textes, une différence peut être repérée selon l’origine de l’inaptitude. Si aucun texte ne précise la sanction attachée à la violation de l’article L. 1226-2-1 al. 1 (inaptitude non professionnelle), en revanche, l’article L. 1226-15 pourrait laisser penser qu’une indemnité minimale doit être accordée au salarié lorsque l’inaptitude a une origine professionnelle. Ce texte, dans sa rédaction alors applicable, précisait « qu’en cas de licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte prévues aux articles L. 1226-10 à L. 1226-12, le tribunal peut proposer la réintégration du salarié. En cas de refus de réintégration par l'une ou l'autre des parties, le tribunal octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité ne peut être inférieure à douze mois de salaires ». L’obligation de notifier les motifs de l’impossibilité de reclassement figurant à l’article L. 1226-12 du code du travail, la cour d’appel avait considéré que sa méconnaissance était sanctionnée par le versement de cette indemnité minimum. La Cour de cassation censure pourtant ce raisonnement en avançant un argument d’autorité : « La méconnaissance par l'employeur de l'obligation de notifier par écrit au salarié les motifs qui s'opposent au reclassement n'expose pas celui-ci aux sanctions prévues par l'article L. 1226-15 du code du travail mais le rend redevable d'une indemnité en réparation du préjudice subi ». Elle réitère ainsi une solution énoncée en 1993 (Soc. 19 janv. 1993, n° 89-41.780). Or à l’époque, les textes étaient beaucoup plus clairs et cantonnait l’indemnité minimum de 12 mois de salaires à des hypothèses très précises contrairement à la nouvelle rédaction de L. 1226-15. La recodification ayant été opérée à droit constant, il faut donc lire ce texte à la lumière de l’ancien article L. 122-32-7 du code du travail. Ainsi, seule la règle de fond, c’est-à-dire la violation de l’obligation de reclassement, ouvre droit à l’indemnité minimale qui était hier de 12 mois, aujourd’hui de 6 mois de salaires (L’article L. 1226-15 a été modifié par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017). L’obligation de notifier les motifs de l’impossibilité de reclassement est en revanche appréhendée comme une règle procédurale et le salarié doit démontrer son préjudice pour en obtenir réparation. La solution limite la portée de l’exigence de motivation. Elle présente toutefois l’avantage de rapprocher sur ce point précis, l’inaptitude professionnelle de l’inaptitude non professionnelle. 

Références :

■ Soc. 5 juill. 2023, n° 21-25.797 : D. 2023. 1318

■ Soc. 29 juin 2011, n° 10-11.699 D. 2011. 1909, JCP S 2011. 1443, note P.-Y. Verkindt

■ Soc. 24 juin 2015, n° 13-28.460

■ Soc. 7 févr. 2024, n° 22-15.988

■ Soc. 19 janv. 1993, n° 89-41.780

 

Auteur :Chantal Mathieu


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