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Droit des obligations
Les effets de la faute lourde sur l’étendue de la réparation du dommage contractuel
Mots-clefs : Responsabilité contractuelle, Dommage, Prévisibilité, Exception, Faute dolosive, Faute lourde
Comme la faute dolosive à laquelle elle est assimilée, la faute lourde empêche le contractant auquel elle est imputable de limiter la réparation du préjudice qu’il a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors du contrat et de s’en affranchir par une clause de non-responsabilité.
Un couple avait confié à une société le déménagement de plusieurs biens leur appartenant. Après avoir placé les objets dans un conteneur, le déménageur les avait confiés à une société de transport maritime. Plus d’un mois après leur embarquement, le conteneur avait été déchargé par une troisième société puis transporté dans le Sud de la France, où avaient été constatés de très importants dommages de moisissures et d’humidité.
L’assureur ayant indemnisé le couple avait, par la suite, exercé un recours subrogatoire à la fois contre le déménageur, le transporteur maritime, la société chargée du débarquement et cinq sociétés d’assurances auprès desquelles la garantie avait été souscrite. Le déménageur et les assureurs formèrent un pourvoi contre la décision de la cour d’appel les ayant condamnés à payer, in solidum, la somme due à l’assureur subrogé en raison de la faute lourde commise par le déménageur, somme toutefois limitée à un certain montant (76 911,70 euros) en l’absence de faute dolosive, seule à même, selon les juges du fond, de permettre la réparation intégrale des dommages subis, même de ceux qui ne pouvaient pas être normalement prévus lors de la conclusion du contrat.
Or si la commission d’une faute lourde est confirmée par la Cour de cassation, son absence d’incidence sur l’étendue de la réparation justifie, au visa de l’article 1150 du Code civil, la cassation de la décision des juges du fond : « (…) la faute lourde, assimilable au dol, empêche le contractant auquel elle est imputable de limiter la réparation du préjudice qu’il a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors du contrat et de s’en affranchir par une clause de non-responsabilité » ; la cour d’appel a, en conséquence de ce principe, eu le tort de retenir que la faute lourde commise par le débiteur de l’obligation était inefficace pour évincer la limitation aux préjudices prévisibles.
L’hypothèse de l’espèce rapportée se situant dans le cadre de la responsabilité contractuelle et non délictuelle, seul le dommage prévisible au jour de la conclusion du contrat aurait dû être considéré comme réparable (C. civ., art. 1150).
La prévisibilité du préjudice est, en effet, traditionnellement vue, en matière contractuelle, comme un obstacle à la réparation intégrale des dommages subis par la victime de l’inexécution ou de la mauvaise exécution de la convention. C’est à l’appui de cette règle que la cour d’appel avait jugé nécessaire de limiter le montant de l’indemnisation des époux victimes, en le restreignant à celui de la somme due à l’assureur subrogé dans leurs droits. Mais ainsi, les juges du fond faisaient fi de l’interprétation jurisprudentielle du texte de l’article 1150 du Code civil, plus précisément, de l’exception que lui-même prévoit à la règle qu’il énonce.
En effet, le principe posé à l’article 1150 connaît une exception, expressément prévue, qui est le cas de la faute dolosive : l’indemnisation de la victime d’une inexécution ou d’une exécution défectueuse du contrat n’est limitée aux seuls dommages prévisibles qu’autant que cette inexécution ne provient pas d’une faute dolosive du débiteur, entendue comme un refus délibéré d’exécuter ses obligations, même sans intention de nuire (Civ. 1re, 4 févr. 1969 : « Le débiteur commet une faute dolosive lorsque, de propos délibéré, il se refuse à exécuter ses obligations contractuelles, même si ce refus n’est pas dicté par l’intention de nuire à son cocontractant »).
Cela étant, la jurisprudence procède depuis longtemps à une interprétation extensive du texte, assimilant la faute lourde à la faute dolosive en sorte de faire produire à la première les mêmes effets que ceux que la loi attache à la seconde : la réparabilité de tous les préjudices subis, même imprévisibles, et l’inefficacité des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité qui permettraient au contractant fautif d’y échapper.
Assimilable au dol, la faute lourde empêche ainsi son auteur, de la même manière que la faute dolosive, de limiter la réparation du préjudice qu’il a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors de la conclusion du contrat et de s’en affranchir par une clause limitative (Req. 29 juin 1932) ou exonératoire de responsabilité (Req. 24 oct. 1932).
La faute lourde est définie comme un « comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée » (Com. 3 avr. 1990). Plus que la nature et l’importance de l’obligation violée et indépendamment de tout élément intentionnel, c’est le degré de gravité du comportement qui se révèle déterminant.
En l’espèce, si la faute dolosive devait bien être exclue, la faute lourde était, de toute évidence, caractérisée, la société responsable, pourtant spécialisée dans les déménagements par voie maritime, ayant fait preuve d’ « une négligence d’une extrême gravité » en refusant de tenir compte de paramètres importants dans la préparation du déménagement et d’appliquer les règles essentielles à sa réalisation.
Civ. 1re, 29 oct. 2014, n°13-21.980
Références
« Le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée. »
■ Civ. 1re, 4 févr. 1969, D. 1969. 601, note J. Mazeaud.
■ Req. 29 juin 1932, DP 1933. 1. 49.
■ Req. 24 oct. 1932, DP 1932. 1. 176.
■ Com. 3 avr. 1990, n°88-14.871.
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