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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Les limites de la liberté d'expression de l'avocat
Mots-clefs : Avocat, Liberté d’expression, Critique d’un magistrat, Devoir de délicatesse
Le droit de critique de l’avocat, soutenu par sa liberté d’expression, ne doit jamais attenter au principe de délicatesse, qui s’impose à lui en toutes circonstances.
Dans l'exercice de sa liberté d'expression à l'extérieur du prétoire, l'avocat reste soumis, sur le terrain disciplinaire, aux devoirs de modération et de délicatesse. Tel est le message délivré par cet arrêt.
Dans un article publié dans un hebdomadaire connu, l’avocat du principal accusé du « gang des barbares » avait qualifié l’avocat général en charge de cette affaire criminelle de « traître génétique », en référence au passé de collaborateur du père de celui-ci, condamné à la Libération. L’ordre des avocats, saisi par le ministère public, n'a pas retenu de faute disciplinaire à l'encontre de l'avocat. Dans le même sens, la cour d’appel de Paris, pour décider de ne pas poursuivre, avait tenu compte des circonstances particulières de l’affaire et de certaines interventions provocatrices, à l’intérieur comme à l’extérieur du prétoire, de l’avocat général. Dans quelle mesure un avocat peut-il donc critiquer un magistrat ? La Cour de cassation résout ainsi le conflit, révélé par cette affaire, entre la liberté d’expression de l’avocat et les devoirs que lui impose la déontologie de sa profession : « (…) si l’avocat a le droit de critiquer le fonctionnement de la justice ou le comportement de tel ou tel magistrat, sa liberté d’expression, qui n’est pas absolue car sujette à des restrictions qu’impliquent, notamment, la protection de la réputation ou des droits d’autrui et la garantie de l’autorité et de l’impartialité du pouvoir judiciaire, ne s’étend pas aux propos violents qui, exprimant une animosité dirigée personnellement contre le magistrat concerné, mis en cause dans son intégrité morale, et non une contestation des prises de position critiquables de ce dernier, constituent un manquement au principe essentiel de délicatesse qui s’impose à l’avocat en toutes circonstances (…) ».
La liberté d'expression et le droit de critique de l'avocat à l’occasion des procédures judiciaires sont protégés par l'article 10 de la Conv. EDH (CEDH 28 oct. 2003, Steur c. Pays-Bas), ici visé par la Cour, et par l'immunité accordée par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, aux écrits produits et aux propos tenus par l'avocat devant les tribunaux au nom de son client ; sont ainsi protégées des conclusions dont la teneur « n'excédait pas la mesure appropriée aux nécessités de l'exercice des droits de la défense » (Civ. 1re, 3 juill. 2008, à propos de conclusions contestant l'impartialité de la juridiction dont la décision était attaquée et alléguant un lien avec l'avocat de la partie adverse). Pour autant, comme en témoigne l’arrêt commenté, la liberté d'expression de l'avocat est soumise à certaines restrictions, notamment liées à la garantie de l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire (CE 15 nov. 2006, Krikorian et a.). Ainsi, comme le prévoit l’article 183 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat figurant au visa, un manquement à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse, peut être reproché à l’avocat, et ce même s’il se rapporte à des faits extraprofessionnels. À ce titre, ne sont pas protégés des écrits ou des propos outrageants étrangers à la cause (V. not. Civ. 1re, 5 avr. 2012, sur des propos racistes visant les jurés) ou un communiqué de presse d'un avocat contestant les conditions de la tenue d'un procès (Crim. 3 déc. 2002). Il en va de même pour les attaques personnelles à l'égard d'un magistrat ; c'est ainsi que, dans une affaire proche de celle rapportée, la Cour de cassation a qualifié les propos tenus par un avocat à l'endroit d'un conseiller, à l'issue d'une audience d'assises, comme étant ad hominem et trahissant une animosité personnelle exclusive de toute idée, opinion ou information susceptible d'alimenter une réflexion ou un débat d'intérêt général (Civ. 1re, 28 mars 2008). Ne leur accordant pas la protection garantie à la liberté d'expression au titre de l'article 10 de la Conv. EDH, la Cour de cassation retient que des propos de ce type constituent un manquement au devoir de délicatesse de l’avocat et entrent comme tels dans les prévisions des textes régissant spécialement la discipline de la profession ; des sanctions disciplinaires sont alors encourues par l’avocat.
Albert Camus affirmait que « le goût de la vérité n’empêche pas de prendre parti ». Mais sans excès, oppose la Cour de cassation à l’avocat, dont le talent doit être de pouvoir tout dire sans indélicatesse.
Civ. 1re, 4 mai 2012, n°11-30.193, FS-P+B+I
Références
■ CEDH 28 oct. 2003, Steur c. Pays-Bas, requête no 39657/98.
■ Civ. 1re, 3 juill. 2008, n° 07-15.493, inédit, D. 2009. 2704
■ CE 15 nov. 2006, Krikorian et a., n° 283475, RTD civ. 2007. 67.
■ Civ. 1re, 5 avr. 2012, n°11-11-044.
■ Crim. 3 déc. 2002, Bull. crim. 2002, n° 217.
■ Civ. 1re, 28 mars 2008, n°05-18.598.
■ Article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme - Liberté d’expression
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.
Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ Article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
« Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l'Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l'une de ces deux assemblées.
Ne donnera lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques des assemblées visées à l'alinéa ci-dessus fait de bonne foi dans les journaux.
Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d'enquête créée, en leur sein, par l'Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d'y déposer, sauf s'ils sont étrangers à l'objet de l'enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi.
Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.
Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.
Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers. »
■ Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat
« Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, expose l'avocat qui en est l'auteur aux sanctions disciplinaires énumérées à l'article 184. »
Article 184
« Les peines disciplinaires sont :
1° L'avertissement ;
2° Le blâme ;
3° L'interdiction temporaire, qui ne peut excéder trois années ; 4° La radiation du tableau des avocats, ou le retrait de l'honorariat.
L'avertissement, le blâme et l'interdiction temporaire peuvent comporter la privation, par la décision qui prononce la peine disciplinaire, du droit de faire partie du conseil de l'ordre, du Conseil national des barreaux, des autres organismes ou conseils professionnels ainsi que des fonctions de bâtonnier pendant une durée n'excédant pas dix ans.
L'instance disciplinaire peut en outre, à titre de sanction accessoire, ordonner la publicité de toute peine disciplinaire.
La peine de l'interdiction temporaire peut être assortie du sursis. La suspension de la peine ne s'étend pas aux mesures accessoires prises en application des deuxième et troisième alinéas. Si, dans le délai de cinq ans à compter du prononcé de la peine, l'avocat a commis une infraction ou une faute ayant entraîné le prononcé d'une nouvelle peine disciplinaire, celle-ci entraîne sauf décision motivée l'exécution de la première peine sans confusion avec la seconde. »
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