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[ 22 mai 2024 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Faute ayant fait perdre à la victime une chance d’échapper à un accident médical : cumul de la responsabilité médicale et de la solidarité nationale

Dans l’hypothèse où le dommage corporel de la victime résulte d’un accident médical non fautif mais où une faute a néanmoins augmenté les risques de sa survenue et fait perdre une chance à la victime d’y échapper, un tel accident ouvre droit, par exception, à une indemnisation au titre de la solidarité nationale si les conséquences de cet accident répondent aux critères d’anormalité et de gravité requis par l’article L. 1142-1 II du Code de la santé publique ; l’indemnité due par l’ONIAM est néanmoins déduite du montant de celle mise à la charge du responsable de la perte de chance.

Civ. 1re, 24 avr. 2024, nº 23-11.059 B

L’un des nombreux apports de la loi du 4 mars 2002 (n° 2002-303) a été de prévoir l’intervention de la solidarité nationale pour les accidents médicaux non fautifs, l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique prévoyant depuis expressément leur indemnisation par l’ONIAM (Office nationale d’indemnisation des accidents médicaux). Simple en son principe, cette prise en charge indemnitaire par l’ONIAM se révèle en pratique parfois difficile à mettre en œuvre. En effet, certains accidents médicaux sont complexes. Ainsi de ceux laissant apparaître, outre un accident médical non fautif, une faute par ailleurs commise par un professionnel de santé. Et la situation est d’autant plus incertaine lorsque le dommage consécutif à cette faute se traduit par la perte de chance de la victime d’avoir évité la survenance de cet accident médical non fautif. Ainsi, dans le cas de l’espèce d’un accident médical non fautif couplé à une faute chirurgicale à l’origine d’une perte de chance d’éviter le dommage, se posait la question déjà soulevée en jurisprudence de la répartition de la prise en charge indemnitaire entre l’ONIAM et les personnes responsables. L’arrêt rapporté rappelle autant qu’il renouvelle les conditions de cette répartition.

Une patiente avait été prise en charge au sein d’un centre hospitalier par un chirurgien salarié qui avait procédé à un premier examen de la zone symptomatique concernée, dont il n’avait inféré aucune nécessité d’intervention. Au vu de la persistance des douleurs, un second examen avait été réalisé, dont les résultats avaient cette fois mis en évidence l’existence d’une hernie justifiant une opération. Or au cours de cette intervention, la patiente avait subi une atteinte névralgique, qu’elle imputa à une faute commise par son chirurgien. Elle avait alors assigné en responsabilité et indemnisation le centre hospitalier dans lequel il exerçait, ainsi que son assureur. Elle avait également appelé en la cause l’ONIAM.

La Cour d’appel jugea que l’Office devait indemniser la patiente de ses préjudices, déduction faite de l’indemnité mise à la charge du centre hospitalier responsable de la faute de son salarié. En ce sens, elle a relevé plusieurs fautes imputables au chirurgien – absence de repérage et de traitement de la hernie durant la première intervention, pose inutile d’une plaque lors de la seconde – qui avaient augmenté le risque d’atteinte névralgique inhérent à l’intervention et ainsi fait perdre à la patiente une chance de 50 % d’échapper à sa réalisation. Selon les juges du fond, cette atteinte névralgique constituait un accident médical directement imputable à son intervention, qui avait eu pour la patiente des conséquences anormales au regard de son état de santé, à un degré de gravité répondant aux critères prévus à l’article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique, ce qui justifiait également une indemnisation par l’ONIAM.

L’Office a formé un pourvoi en cassation, invoquant une violation de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique. Considérant que « lorsqu’une faute a été commise lors de la réalisation de l’acte médical qui est à l’origine du dommage, cette faute est exclusive d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale fondée sur les risques que comportait cet acte », il reprochait aux juges d’appel d’avoir mis à sa charge, au titre de la solidarité nationale, les conséquences d’un acte médical fautif dont la responsabilité incombe en principe aux seuls auteurs de cet acte.

Son pourvoi est rejeté aux termes d’une motivation enrichie qui permet à la Cour de rappeler, avant de les élargir, les conditions d’indemnisation par l’ONIAM du dommage consécutif à un accident médical.

■ Rappel des conditions d’un complément d’indemnisation au titre de la solidarité nationale

La première chambre civile commence par rappeler que, conformément à l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, l’indemnisation au titre de la solidarité nationale présente un caractère subsidiaire et qu’elle doit, en raison de ce principe de subsidiarité, être exclue lorsqu’une faute se trouve être à l’origine du dommage corporel subi par le patient. La réparation incombe dans ce cas au seul responsable.

Cependant, elle-même était venue tempérer cette exclusion légale de la prise en charge par l’ONIAM dans l’hypothèse où l’indemnisation mise à la charge du responsable consiste à réparer, non le dommage corporel lui-même, mais la perte de chance d’avoir pu l’éviter. A l’effet de garantir la réparation intégrale de l’entier préjudice subi par la victime, la première chambre civile avait ainsi admis qu’un complément d’indemnisation par l’ONIAM, au titre de la solidarité nationale, soit versé à la victime en cas de défaut d’information sur les risques d’une intervention au cours de laquelle est survenu un accident médical qui lui a fait perdre une chance de la refuser (Civ. 1re, 11 mars 2010, n° 09-11.270), ou dans le cas d’une prise en charge fautive des conséquences d’un accident médical qui lui a fait perdre une chance d’en limiter les conséquences (Civ. 1re, 22 nov. 2017, n° 16-24.769).

Toutefois, dans cette hypothèse où un accident médical non fautif est à l’origine de conséquences dommageables mais où une faute commise par une personne mentionnée au I de l’article L. 1142-1 a fait perdre à la victime une chance soit d’échapper à l’accident soit de se soustraire à ses conséquences, le préjudice en lien direct avec cette faute réside dans la seule perte de chance d’éviter le dommage corporel advenu, et non dans le dommage corporel lui-même, lequel reste en lien direct avec l’accident non fautif.

En conséquence, un tel accident n’ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale que si ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l’article L. 1142-1 et présentent notamment le caractère de gravité requis, l’indemnité due par l’ONIAM étant seulement réduite du montant de l’indemnité mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance, égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l’ampleur de la chance perdue.

En revanche, la Cour de cassation a écarté la possibilité d’un tel cumul de la responsabilité médicale et de la solidarité nationale lorsque la faute a été commise lors de la réalisation de l’acte médical qui est à l’origine du dommage (Civ. 1re, 16 nov. 2016, n° 15-20.611). Le Conseil d’État l’écarte quant lui lorsque l’acte fautif ou le défaut d’un produit de santé est la cause directe de l’accident médical (CE 15 oct. 2021, n° 431291), ce dernier ayant par ailleurs aligné sa jurisprudence sur celle de la première chambre civile concernant le cas d’un défaut d’information ou d’une prise en charge fautive des conséquences d’un acte médical (CE 30 mars 2011, n° 327669 ; 12 déc. 2014, n° 355052).

■ Élargissement des conditions d’un complément d’indemnisation au titre de la solidarité nationale

Afin que le patient puisse être intégralement indemnisé et dans le but également poursuivi d’assurer une égalité de traitement entre les victimes quelle que soit la nature de l’établissement, public ou privé, dans lequel les actes ont été réalisés, la Cour de cassation juge nécessaire d’étendre le domaine de la réparation de la perte de chance d’échapper à l’accident médical à l’hypothèse où la faute médicale a augmenté les risques de survenue de cet accident. Ainsi affirme-t-elle qu’il y a désormais lieu de juger que « dans l’hypothèse où un accident médical non fautif est à l’origine de conséquences dommageables mais où une faute a augmenté les risques de sa survenue et fait perdre une chance à la victime d’y échapper, un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l’article L. 1142-1 [du Code de la santé publique], l’indemnité due par l’ONIAM étant réduite du montant de celle mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance ».

Rapportée aux circonstances de l’espèce, la nouveauté du principe mérité d’être soulignée : alors que la perte de chance n’était jusqu’à présent considérée qu’en cas de faute commise soit en amont de l’intervention (défaut d’information), soit en aval de celle-ci (prise en charge fautive des conséquences de l’accident), elle est désormais prise en compte même en cas de faute commise durant l’intervention. La faute du praticien n’est donc plus exclusive d’une prise en charge indemnitaire par l’ONIAM de la perte de chance de la victime d’éviter un accident médical. Au cas rapporté, la faute du chirurgien ayant augmenté les risques d’atteinte névralgique inhérent à l’intervention et fait ainsi perdre à la victime une chance évaluée à 50 % d’y échapper, l’ONIAM était en conséquence tenu de l’indemniser au titre de la solidarité nationale, déduction faite de l’indemnité mise à la charge du responsable.

Références :

■ Civ. 1re, 11 mars 2010, n° 09-11.270 P : D. 2010. 1119, note M. Bacache ; ibid. 2011. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 2565, obs. A. Laude.

■ Civ. 1re, 22 nov. 2017, n° 16-24.769

■ Civ. 1re, 16 nov. 2016, n° 15-20.611 P :  D. 2016. 2397.

■ CE 15 oct. 2021, n° 431291 A : AJDA 2021. 2061.

■ CE 30 mars 2011, n° 327669 A : AJDA 2011. 709 ; D. 2011. 1074, obs. R. Grand ; ibid. 2012. 47, obs. P. Brun et O. Gout ; RFDA 2011. 329, étude C. Alonso ; RTD civ. 2011. 550, obs. P. Jourdain.

■ CE 12 déc. 2014, n° 355052 A AJDA 2015. 769, note C. Lantero ; ibid. 2014. 2449 ; D. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; RDSS 2015. 179, obs. D. Cristol ; ibid. 279, concl. F. Lambolez ; RTD civ. 2015. 401, obs. P. Jourdain.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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