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Droit des obligations
Les locataires commerciaux à l’épreuve du covid-19 : leurs petites entreprises subissent bien la crise
Dans trois décisions rendues le 30 juin dernier, la Cour de cassation maintient l’obligation des preneurs de payer leurs loyers commerciaux même durant les périodes de fermeture de leurs locaux. Pour justifier ce maintien, elle affirme tout à la fois que les bailleurs n’ont pas manqué à leur obligation de délivrance, que les preneurs ne peuvent se prévaloir de la force majeure et que la fermeture des commerces dits « non essentiels » ne peut être assimilée à une perte de la chose louée.
Civ. 3e, 30 juin 2022, nos 21-20.190, 21-19.889 et 21-20.127 B
Répondant à la question jusqu’alors incertaine, en doctrine comme en pratique, de savoir si la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19 justifiait de libérer le preneur de son obligation de payer ses loyers, les trois arrêts rapportés étaient vivement attendus. Des plaideurs avaient sollicité l’ensemble des instruments offerts, dans cette perspective, par le Code civil : obligation de délivrance, force majeure, exception d'inexécution, perte de la chose louée. Face à une jurisprudence divisée et controversée, la Haute juridiction clarifie les trois points principaux suivants :
■ Premier point : empêchant pourtant le preneur d’exercer son activité commerciale, le bailleur n’a pas manqué à son obligation de délivrance au cours des périodes pendant lesquelles les commerces « non essentiels » ont été fermés par décret gouvernemental.
■ Deuxième point : en qualité de créanciers, les locataires ne peuvent se prévaloir de la force majeure et ne sont donc pas fondés à demander la résolution du contrat ou sa suspension.
■ Troisième point : la fermeture administrative des commerces ne peut être assimilée à une perte de la chose louée.
1. Absence de manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance. Le manquement prétendu à l’obligation principale du bailleur est ainsi balayé : « la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n’était pas constitutive d’une inexécution de l’obligation de délivrance » (n° 21-19.889 et n° 21-20.190 ; 2e et 3e esp.) ; de surcroît, « l’effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être (…) imputable aux bailleurs, de sorte qu’il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance » (n° 21-20.127, 1re esp.). Pour justifier l’absence d’inexécution, en la circonstance, de cette obligation qualifiée de résultat (v. Rép. civ., v° Bail commercial, nos 207-214, M.-P. Dumont), la Cour de cassation fait le choix inattendu d’exclure de l’objet de cette obligation la possibilité pour le preneur d’exploiter son fonds de commerce en cas de fermeture résultant d’une mesure à la fois générale et limitée dans le temps. Il est vrai qu’imputer aux bailleurs une décision prise en urgence par le Gouvernement aurait conduit à qualifier de fautifs des actes échappant entièrement à leur volonté. C’est la raison pour laquelle la Cour, se plaçant à la fois sur le terrain du manquement contractuel et de son imputabilité, sur le fait générateur de responsabilité et sur son lien de causalité avec le préjudice, juge de manière iconoclaste que ce résultat ne faisait donc pas partie de l’objet de leur obligation de délivrance. La référence à la notion de « lien direct » vient encore appuyer l’idée selon laquelle l’objet du bail ne contient pas l’obligation du bailleur de garantir que le commerce ne subisse pas de fermeture administrative.
2. Exclusion de la force majeure. Celle-ci était censée justifier l’absence de paiement de leurs loyers par les preneurs à la suite de cette même décision administrative. Elle se voit sèchement exclue, étant précisé que la Cour ne raisonne pas sur le terrain de la force majeure financière (la prétendue impossibilité de payer une somme d'argent) mais sur celui de l'impossibilité pour le créancier (ici le preneur) de recevoir la contrepartie promise (la jouissance paisible). La Cour rappelle que la force majeure ne peut être invoquée que par le débiteur empêché d’exécuter son obligation, et non par le créancier privé de la possibilité d’obtenir sa contrepartie : « il résulte de l’article 1218 du code civil que le créancier qui n’a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation en invoquant la force majeure » (v. déjà, Civ. 1re, 25 nov. 2020, n° 19-21.060). Or rappelons que la Cour de cassation affirme dans ces arrêts que les mesures sanitaires n’empêchaient pas les bailleurs d’exécuter leur obligation de délivrance, dès lors que le maintien de l’ouverture des commerces n’était pas compris dans l’objet de leur obligation. L’événement n’a donc pas empêché les bailleurs d’exécuter leur obligation. En conséquence de cette exclusion, l’obligation de paiement des preneurs est maintenue. Ce maintien est problématique dans la mesure où l’obligation du preneur de payer le prix du bail commercial n’existe en principe qu’en contrepartie de la possibilité d’exploiter son activité dans le local. La Cour en vient donc à obliger le preneur au-delà de son engagement contractuel initial, procédant ainsi à une sorte de forçage du contrat.
3. Rejet de la perte de la chose. L’interdiction de recevoir du public, « mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil » (n° 21-19.889 et n° 21-21.190, 3e et 2e esp.). Si ce texte apparaissait à première vue pertinent, il est vrai qu’il ne porte que sur la perte totale et définitive de la chose louée, omettant donc l’hypothèse de l’espèce d’une perte totale mais seulement temporaire. Il eût toutefois été concevable de juger que celle-ci devait au moins justifier une suspension du paiement des loyers. Mais la Cour écarte à nouveau cette solution : l'impossibilité d'exploiter étant imputable au législateur et non au bailleur, une telle suspension ne saurait être envisagée.
Dernier point, quant à la possibilité d’agir en référé : la Cour affirme dans le second arrêt, en réponse au moyen du pourvoi selon lequel l’obligation du preneur de payer son loyer était sérieusement contestable au sens de l’article 835 du Code de procédure civile (n° 21-20.127, 1re esp.), que « les restrictions résultant des mesures législatives et réglementaires prises dans le cadre de la crise sanitaire n'étaient pas imputables au bailleur et n'emportaient pas perte de la chose, la cour d'appel, saisie en référé d'une demande en paiement d'une provision, n'a pu qu'en déduire que l'obligation de payer le loyer n'était pas sérieusement contestable ». Dont acte : la force obligatoire l'emporte, et les loyers restent dus.
Références :
■ Civ. 1re, 25 nov.2020, n°19-21.060 P : D. 2021. 114, note S. Tisseyre ; ibid. 89, point de vue C. Grimaldi ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 483, chron. X. Serrier, S. Robin-Raschel, S. Vitse, Vivianne Le Gall, V. Champ, C. Dazzan, E. Buat-Ménard et C. Azar ; AJDI 2021. 118, obs. D. Houtcieff ; AJ contrat 2020. 554, obs. M. Mekki ; Rev. prat. rec. 2021. 7, chron. O. Cousin, F. Kieffer et R. Laher ; RTD civ. 2021. 126, obs. H. Barbier ; ibid. 152, obs. P. Jourdain.
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