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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Les manifestations ostensibles d’appartenances religieuses s’arrêtent aux portes des écoles, collèges et lycées publics
Le Conseil d’État rejette la demande d’annulation pour excès de pouvoir de la note de service du ministre de l’éducation du 31 août 2023 intitulée " Principe de laïcité à l'Ecole - Respect des valeurs de la République " en tant qu'elle prohibe le port de tenues de type abaya par les élèves dans les écoles, collèges et lycées publics.
CE 27 septembre 2024, n° 487944 A
La note de service du ministre de l’éducation du 31 août 2023 interdisant le port de l’abaya ou du qamis avait fait l’objet de deux ordonnances en septembre 2023. Le juge des référés du Conseil d’État avait ainsi décidé que cette note de service ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (CE, réf., 7 sept. 2023, n° 487891 : référé-liberté) et qu’il n’existait pas non plus de doute sérieux sur la légalité de cette interdiction (CE, réf., 25 sept. 2023, n° 487896 et 487975 : référé-suspension). L’arrêt du Conseil d’État du 27 septembre 2024 valide au fond l’interdiction de l’abaya à l’école.
■ Bref rappel concernant laïcité dans l’enseignement public
La laïcité est un principe fondamental du droit de l’éducation, elle est l’une des valeurs de la République (C. éduc., art. L. 111-1).
Outre l’obligation de laïcité des programmes et des enseignants applicable depuis les lois de la Troisième République (V. CE 10 mai 1912, Abbé Bouteyre ; CE, avis, 3 mai 2000, Mlle Marteaux, n° 217017 ; CEDH 15 févr. 2021, Dahlab c/ Suisse, n° 42393/98), s’est posée depuis quelques décennies la question de l’application du principe de laïcité aux élèves eux-mêmes et notamment dans l’enceinte de l’école concernant le port de signes ou de tenues religieuses et leurs comportements (pressions sur les croyances des autres élèves ou tentatives d'endoctrinement).
La problématique du port de tenues religieuses par des élèves dans les écoles, collèges et lycées publics a fait son apparition à la fin des années 80 lorsque quelques jeunes filles sont venues voilées au collège. En l’absence de texte, le ministre de l’éducation nationale de l’époque, Lionel Jospin, avait saisi le Conseil d’État d’une demande d’avis.
Dans son avis rendu le 27 novembre 1989 (n° 346893), le Conseil d’État indiquait que le port de signes d'appartenance religieuse, qui relève de la liberté d'expression, n'est pas incompatible avec le principe de laïcité, mais ce port ne saurait constituer un acte de prosélytisme, qui porterait atteinte à la laïcité de l'institution scolaire. À cette limite, s'ajoutaient celles que constituaient, d'une part, le respect de l'obligation légale d'assiduité, et d'autre part, celui du règlement intérieur de l'établissement et l'interdiction de l'atteinte au fonctionnement du service public ou de l'établissement.
À la suite de cet avis, le Conseil d’État a rendu de nombreuses décisions afin d’apprécier, au cas par cas, si le port de certains signes religieux apparaissait comme ostentatoire ou revendicatif (CE 2 nov. 1992, Kherouaa et a, n° 130394 ; CE 14 mars 1994, Mlle Ylmaz, n° 145656 ; CE 10 mars 1995, Aoukili, n° 159981 ; CE 20 oct. 1999, MEN c /Aït Ahmad, n° 181486).
L’analyse du Conseil d’État a ensuite été reprise par diverses circulaires de ministres de l’éducation nationale successifs (Lionel Jospin, 12 déc. 1989, recommandant le dialogue avec les familles; François Bayrou, 28 oct. 1993 et 20 sept. 1994, invitant à distinguer le discret et l'ostentatoire) mais face aux souhaits (notamment des chefs d’établissements) de pouvoir bénéficier d’une ligne de conduite à tenir plus claire, a été votée en 2004 la loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes, de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics (n° 2004-228 du 15 mars 2004) qui a introduit dans le code de l’éducation un article L. 141-5-1 selon lequel " Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. / Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève ". Ce texte renforce les exigences de la laïcité.
C’est le caractère ostentatoire des signes religieux qui est visé par la loi, en revanche, les signes discrets, non ostensibles, peuvent être portés librement (ex : petite croix, étoile de David, main de Fatma…).
Si la distinction entre ostensible et ostentatoire n’est pas évidente, il convient de revenir à l'intention du législateur qui a été d'interdire les signes visibles, ceux que l'on met volontairement en avant pour revendiquer son appartenance religieuse et/ou tenter de l'imposer à autrui. La circulaire d’application de la loi de 2004 cite comme signes ostentatoires, à titre d'exemple «le voile islamique, quel que soit le nom qu'on lui donne, la kippa ou une croix de dimension excessive» (V. également CE 5 déc. 2007, Singh, n° 285394 : interdiction du port du keshi sikh ; CE 5 déc. 2007, M. et Mme Ghazal, n° 295671 : interdiction du port d'un carré de tissu de type bandana couvrant la chevelure à partir du moment où l'élève le porte en permanence et persiste avec intransigeance dans le refus d'y renoncer ; …).
■ L’apparition de nouvelles tenues dans l’enceinte de l’école
Depuis peu, sont portées par certains élèves des robes amples (abayas) ou des tuniques longues (qamis). La question s’est posée de savoir si ces tenues pouvaient être qualifiées de signes religieux ostentatoires.
La note de service de Gabriel Attal du 31 août 2023 apporte une réponse sans équivoque: « Dans certains établissements, la montée en puissance du port de tenues de type abaya ou qamis a fait naître un grand nombre de questions sur la conduite à tenir. Ces questionnements appellent une réponse claire et unifiée de l’institution scolaire sur l’ensemble du territoire. / En vertu de l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation, qui reprend la loi du 15 mars 2004, le port de telles tenues, qui manifeste ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse, ne peut y être toléré. En application de cet article, à l’issue d’un dialogue avec l’élève, si ce dernier refuse d’y renoncer au sein de l’établissement scolaire ou durant les activités scolaires, une procédure disciplinaire devra être engagée ».
Le 24 septembre 2024, le Conseil d’État a statué sur l’interdiction du port de l’abaya dans les écoles, collèges et lycées publics (V. les Ord. du CE des 7 et 25 sept. 2023 préc.). Ainsi, au vu des circonstances (très nombreux signalements du port de l’abaya au cours de l’année scolaire 2022-2023), le port de ce vêtement en milieu scolaire est un signe de manifestation ostensible d'une appartenance religieuse. Par ailleurs, si la liberté des élèves de choisir les vêtements qu'ils entendent porter en milieu scolaire relève du champ d'application de l'article 8 Conv. EDH et que l'interdiction, énoncée par la note de service du ministre de l’éducation, du port de tenues de type abaya par les élèves dans les établissements d'enseignement publics est constitutive d'une restriction suffisamment significative de cette liberté pour être regardée comme une ingérence dans l'exercice du droit de ces élèves au respect de leur vie privée, cette interdiction résulte de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation et poursuit un des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l'article 8 Conv. EDH, en l'espèce, la protection des droits et libertés d'autrui - qui requiert, notamment, la garantie pour les élèves de bénéficier d'un enseignement public exempt de toute forme d'exclusion et de pression, dans le respect du pluralisme et de la liberté d'autrui -, outre celle du principe constitutionnel de laïcité. De plus, les dispositions législatives, dont la note de service attaquée fait application au cas des tenues de type abaya, n'interdisent pas le port de tout signe religieux par les élèves dans les établissements d'enseignement publics mais seulement celui de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. La note de service prévoit qu’une procédure de dialogue doit d’abord être engagée rapidement avec l’élève portant, en méconnaissance de cette interdiction, de telles tenues dans les établissements d'enseignement publics, et en cas d’échec de cette phase de dialogue, une procédure disciplinaire devra systématiquement être engagée par le chef d’établissement. Enfin, les élèves qui souhaitent continuer à porter de telles tenues et font l'objet d'une mesure d'exclusion de leur établissement d'enseignement public peuvent poursuivre leur scolarité en bénéficiant des autres modalités d'accès à l'instruction obligatoire prévues à l'article L. 131-2 du code de l'éducation.
À noter également, l’article R. 421-10 du Code de l’éducation, modifié par le décret n° 2023-782 du 16 août 2023 relatif au respect des principes de la République et à la protection des élèves dans les établissements scolaires relevant du ministre chargé de l’éducation nationale prévoit désormais qu’une procédure disciplinaire est systématiquement engagée par le chef d’établissement « lorsque l’élève commet un acte portant une atteinte grave aux principes de la République, notamment au principe de laïcité ». À cet égard, la note de service du 31 août 2023 précise, concernant le port de l’abaya ou du qamis que « le fait de persister dans un comportement contraire à la loi du 15 mars 2004 ou de réitérer un tel comportement entre pleinement dans cette catégorie et doit donc être sanctionné disciplinairement ».
Enfin, pour rappel, l'article 10 de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a inséré un article L. 141-5-2 dans le code de l’éducation qui a pour objectif de protéger la liberté de conscience des élèves en réprimant les pressions et tentatives d'endoctrinement.
Ainsi, à l’école l'expression des convictions religieuses des élèves est limitée ; une des missions de l’école (outre la transmission des connaissances) est de faire acquérir à tous les élèves le respect de la laïcité.
Références
■ CE 10 mai 1912, Abbé Bouteyre
■ CE, avis, 3 mai 2000, Mlle Marteaux, n° 217017 A : AJDA 2000. 673 ; D. 2000. 747, note G. Koubi ; AJFP 2000. 39 ; RFDA 2001. 146, concl. R. Schwartz
■ CEDH 15 févr. 2021, Dahlab c/ Suisse, n° 42393/98 : AJDA 2001. 480, note J.-F. Flauss ; RFDA 2003. 536, note N. Chauvin.
■ CE, avis, 27 nov. 1989, n° 346893 : RFDA 1990. 1, note J. Rivéro ; AJDA 1990. 39, note J.-P. C.
■ CE 2 nov. 1992, Kherouaa et a, n° 130394 A : AJDA 1992. 833 ; ibid. 788, chron. C. Maugüé et R. Schwartz ; ibid. 2014. 104, chron. A. Lallet et E. Geffray ; D. 1993. 108, note G. Koubi ; RFDA 1993. 112, concl. D. Kessler.
■ CE 14 mars 1994, Mlle Ylmaz, n° 145656 A : AJDA 1994. 415 ; D. 1995. 135, obs. B. Legros ; RDSS 1995. 427, obs. I. Daugareilh.
■ CE 10 mars 1995, Aoukili, n° 159981 A: D. 1995. 365, note G. Koubi ; AJDA 1995. 332, concl. Y. Aguila
■ CE 20 oct. 1999, MEN c /Aït Ahmad, n° 181486 B : AJDA 2000. 165, note F. De la Morena ; D. 2000. 251, concl. R. Schwartz
■ CE 5 déc. 2007, Singh, n° 285394 A : RFDA 2008. 529, concl. R. Keller
■ CE 5 déc. 2007, M. et Mme Ghazal, n° 295671 A : RFDA 2008. 529, concl. R. Keller
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