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[ 29 janvier 2014 ] Imprimer

Droit des successions et des libéralités

Les médecins sont-ils toujours incapables de recevoir à titre gratuit ?

Mots-clefs : Médecin, Incapacité de recevoir, Conditions, Médecin traitant, Traitement médical, Appréciation souveraine

Les juges du fond apprécient souverainement que l’assistance apportée par le médecin au testateur, tant en raison des liens affectifs qui l’unissaient au malade que de sa compétence professionnelle, ne constitue pas un traitement médical au sens de l’article 909 du Code civil.

L'article 909 du Code civil dont la rédaction n'a pas été modifiée depuis 1804 instaure pour les médecins, chirurgiens, pharmaciens et professions assimilées (v. pour la profession de magnétiseur, Civ. 1re , 10 oct. 1978) une incapacité de recevoir à titre gratuit, des libéralités entre vifs ou à cause de mort que pourrait leur faire, durant sa dernière maladie, un patient auquel ils auraient alors prodigué leurs soins.

Cette incapacité revêt un caractère absolu. Selon la jurisprudence, elle repose sur une présomption irréfragable de suggestion et de captation à l'égard d'un patient qui se trouve sous la dépendance de ceux qui le soignent (Req. 7 janv. 1863). Elle est donc, par sa finalité, de même nature que l'incapacité de recevoir qui frappe le tuteur à l'égard de son pupille.

Les juges du fond apprécient souverainement la réunion ou non des conditions requises pour l'application de l'article 909 du Code civil, qui est d'interprétation stricte.

Dans cette perspective, ils recherchent, tout d’abord, si le praticien avait bien la qualité de médecin traitant à l'égard du disposant (Civ. 1re, 13 avr. 1988) ; ensuite, s'il y a bien eu un traitement médical (ibid.). Ils constatent également si le traitement a été administré au cours de la maladie durant laquelle le médecin donataire a soigné le disposant (Civ., 22 oct. 1940) et enfin, si le disposant est décédé de cette maladie (Civ. 1re, 3 juin 1959 ; Civ. 1re, 22 janv. 1968).

Dans l’affaire rapportée, les deux premières conditions n’ont précisément pu être caractérisées, en sorte que les libéralités consenties au donataire ayant assisté le disposant durant sa maladie ont été jugées valables. Pourtant, le neveu du disposant avait tenté de contester leur validité en faisant valoir la qualité de médecin traitant du donataire ; ce dernier aurait, en effet, régulièrement et personnellement prodigué des soins au donateur durant la maladie dont il décéda. En conséquence, le donataire aurait dû, selon l’auteur du pourvoi, se voir opposer l’incapacité de recevoir prévue, dans ce cas, par la loi.

Renvoyant au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond en cette matière, la Cour de cassation rejette néanmoins le pourvoi. Ayant constaté que le donataire n’avait pas été le « coordonateur des soins », qu’il n’avait pas « participé au diagnostic », qu’il n’était « intervenu que de manière ponctuelle » et qu’il n’avait pas « administré un quelconque traitement » au donateur, les juges du fond ont pu valablement estimer que l’assistance apportée par le donataire au défunt, en raison tant des liens affectifs anciens et profonds qui l’unissaient au malade que de sa compétence professionnelle, n’avait pas constitué un traitement médical, qui implique la dispense, en l’espèce non établie, de soins réguliers et durables pendant la maladie dont le donateur est décédé.

Selon la Haute cour, la cour d’appel a alors exactement déduit de ces constatations que le donataire pouvait valablement profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires dont le défunt l’avait gratifié.

Dans cette affaire, comme pour les précédentes, les circonstances factuelles ont été déterminantes. Des faits de l’espèce ressortait, notamment, l’absence de rôle direct et déterminant du donataire dans le traitement de la maladie du donateur : le premier n’était intervenu que ponctuellement au profit du second, habituellement pris en charge par deux autres médecins spécialisés, exerçant certes dans le même établissement que le donataire mais restant libres de définir sans lui le protocole à suivre ; le donataire n’avait donc pu, à défaut de spécialisation suffisante, qu’être un intervenant secondaire dans le traitement de la maladie du donateur, qu’il n’avait d’ailleurs su diagnostiquer.

Aussi la Cour avait-elle déjà pu juger qu’en dépit du fait qu’un médecin avait fait hospitaliser d'urgence le défunt et que le chirurgien lui avait par la suite adressé un compte rendu opératoire, les circonstances et les modalités de cette intervention excluaient toute participation au traitement et aux soins nécessités par la maladie du de cujus, qui relevait d'ailleurs d'une spécialité très éloignée de celle pratiquée par le médecin en cause dont la capacité de recevoir devait donc être reconnue (Civ. 1re, 13 avr. 1988, préc.).

Strictement apprécié, le texte de l’article 909 du Code civil se trouve néanmoins parfois opposé au médecin dont l’implication dans le traitement de la pathologie dont le disposant est décédé pourrait sembler insuffisante à le rendre incapable : ainsi fut jugé incapable de recevoir à titre gratuit un psychiatre consulté à plusieurs reprises par une patiente atteinte d’un cancer ayant apporté à sa patiente un soutien accessoire au traitement purement médical mais associé à celui-ci, lui prodiguant, en parallèle, des soins réguliers et durables afférents à la pathologie secondaire dont elle était affectée en raison même de la première maladie dont elle devait décéder mais dont la seconde se révélait être la conséquence (Civ. 1re, 4 nov. 2010).

Civ. 1re, 15 janv. 2014, n°12-22.950

Références

■ Article 909 Code civil

« Les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci. 

Les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les personnes morales au nom desquelles ils exercent leurs fonctions ne peuvent pareillement profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires que les personnes dont ils assurent la protection auraient faites en leur faveur quelle que soit la date de la libéralité. 

Sont exceptées : 

1° Les dispositions rémunératoires faites à titre particulier, eu égard aux facultés du disposant et aux services rendus ; 

2° Les dispositions universelles, dans le cas de parenté jusqu'au quatrième degré inclusivement, pourvu toutefois que le décédé n'ait pas d'héritiers en ligne directe ; à moins que celui au profit de qui la disposition a été faite ne soit lui-même du nombre de ces héritiers. 

Les mêmes règles seront observées à l'égard du ministre du culte. »

■ Civ. 1re , 10 oct. 1978, D. 1979. IR. 75 et note D. Martin.

■ Req. 7 janv. 1863, DP 1863, 1, p. 231.

■ Civ. 1re, 13 avr. 1988Bull. civ. I, n° 100.

■ Civ. 22 oct. 1940, Gaz. Pal. 1940, 2, p. 192.

■ Civ. 1re, 3 juin 1959, Bull. civ. I, n° 278.

■ Civ. 1re, 22 janv. 1968D. 1968. Jur. 382.

 Civ. 1re, 4 nov. 2010Bull. civ. I, n°222.

 

Auteur :M. H.

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