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Droit des obligations
Les obligations du notaire quant à l’évolution de la jurisprudence
Mots-clefs : Notaire, Professionnel du droit, Obligations professionnelles, Devoir d’efficacité, Devoir de conseil, Connaissance du droit, Droit positif, Jurisprudence
Un notaire ne saurait être tenu d'anticiper les solutions imprévisibles auxquelles peut conduire une évolution de la jurisprudence et les éventuels manquements à ses obligations professionnelles ne peuvent s'apprécier qu'au regard des informations dont il pouvait disposer à la date de son intervention.
Par acte authentique reçu le 7 septembre 1988 par un notaire, une banque avait consenti à une société immobilière une ouverture de crédit garantie par un cautionnement souscrit par une personne physique mais au nom d’une autre en vertu d'un mandat sous seing privé en date du 27 juillet 1988, annexé à l'acte notarié. Par un second acte authentique, la banque avait accordé une nouvelle ouverture de crédit à une autre société civile immobilière, garantie par la même caution. Les deux sociétés ayant ensuite été placées en redressement puis en liquidation judiciaire, la banque, qui n'avait pu recouvrer la totalité de ses créances, avait mis la caution en demeure d'exécuter ses engagements.
Par un arrêt irrévocable rendu le 22 janvier 2009, une cour d'appel jugea que le mandat donné à un tiers de se porter caution au nom de la personne l’ayant souscrit ne répondait pas aux exigences de forme prévues par l’ancien article 1326 du Code civil, (nouv. art. 1376 du Code civil) en sorte que le cautionnement lui-même était nul, que l'acte notarié se trouvait ainsi privé de son caractère authentique et que la banque n’était pas muni de titre exécutoire. La banque avait alors assigné le notaire en responsabilité. Pour accueillir sa demande, la cour d’appel retint que les manquements d'un notaire à ses obligations professionnelles s'apprécient au regard du droit positif existant à la date de son intervention et qu'en l'espèce, l'intervention du notaire était postérieure à l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 31 mai 1988, lequel avait fixé, de manière claire et précise, les conditions de forme auxquelles se trouvait soumise la rédaction du mandat de se porter caution et que le principe alors rappelé, qui n’était pas entièrement nouveau, s'inscrivait dans une évolution jurisprudentielle constante, la première chambre civile de la Cour de cassation ayant déjà eu l'occasion de rappeler qu'il résultait de la combinaison des articles 1326 et 2015 du Code civil que les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituaient pas de simples règles de preuve, mais avaient pour finalité la protection de la caution.
Ainsi le notaire aurait-il dû être particulièrement vigilant et s'assurer de la régularité du mandat de caution donné en l'espèce, au regard des textes et de la jurisprudence en vigueur à la date de son acte, lesquels faisaient partie intégrante du droit positif à la date à laquelle le notaire a reçu les actes litigieux. Elle ajouta qu'eu égard aux obligations pesant sur le notaire et à la connaissance du droit, précise et approfondie, que ses clients pouvaient légitimement attendre de lui, il n'était pas admissible que celui-ci eut méconnu ce principe motif pris du caractère récent de la décision qui l'avait énoncé, alors qu'il incombe au notaire de se tenir constamment informé de l'évolution du droit positif afin d'être en mesure d'assurer l'efficacité juridique de ses actes et de conseiller ses clients.
Au visa du nouvel article 1240 du Code civil (anc. art. 1382 du Code civil), cette décision est cassée par la Cour, reprochant aux juges du fond d’avoir omis de rechercher, comme elle y était invitée, si l'arrêt de la Cour de cassation du 31 mai 1988 avait fait l'objet, à la date de l'intervention du notaire, d'une publication ou de toute autre mesure d'information et si l'évolution de la jurisprudence, interprétant les textes en cause relativement au mandat passé par acte authentique, rendait prévisible, à la date de l'intervention du notaire, son extension au mandat conclu par acte sous seing privé.
Ainsi la décision rapportée vient-elle compléter l’édifice jurisprudentiel bâti à propos de la responsabilité du notaire lorsque par suite d'une évolution de la jurisprudence, la validité de l'acte qu'il a reçu se trouve affectée. Un premier arrêt du 25 novembre 1997 avait posé le principe selon lequel on ne saurait reprocher à un notaire « de n'avoir pas anticipé un éventuel revirement de jurisprudence » car « les éventuels manquements d'un notaire à ses obligations professionnelles s'apprécient au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention » (Civ. 1re, 25 nov. 1997, n° 95-22.240). Un arrêt du 7 mars 2006 est venu tempérer la portée de l'immunité accordée aux notaires (Civ. 1re, 7 mars 2006, n° 04-10.101). La cour d'appel, qui avait exclu la responsabilité du notaire, est censurée par la Cour de cassation au motif que la cour aurait dû rechercher si « eu égard aux textes applicables, l'état du droit positif existant à l'époque de l'intervention du notaire et de l'agent immobilier, fixé par l'arrêt du 27 mars 1985, ne procédait pas d'une évolution antérieure apparue dès un arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre 1983, (…), de sorte qu'il leur incombait, soit de déconseiller l'opération litigieuse, soit, à tout le moins, d'avertir le preneur sortant des incertitudes de la jurisprudence quant à la validité d'un paiement mis à la charge du preneur entrant ». Il en résulte que si le notaire n’a pas à prévoir un revirement imprévisible de la jurisprudence, comme le rappelle ici la Cour, il doit néanmoins être en mesure d'anticiper une évolution promise ou annoncée. Il demeure cependant difficile de déterminer précisément le moment où une nouvelle jurisprudence est en cours de formation. Si la création jurisprudentielle n'est pas en germe au moment de l'intervention du praticien, il ne lui appartient pas de la prédire. Dans le cas contraire, même si le revirement n'est pas encore certain mais lorsque des indices permettent de penser qu'une évolution est amorcée, il est tenu d'informer et de mettre en garde son client sur l'existence d'une incertitude juridique. Encore faut-il, et c’est là que réside l’apport de la décision rapportée, que l’arrêt de principe contenant la règle dont la connaissance s’impose au professionnel du droit ait fait l’objet d’une communication suffisante pour justifier qu’elle eut été connue de lui.
Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-18.659
Références
■ Civ. 1re, 25 nov. 1997 n° 95-22.240
■ Civ. 1re, 7 mars 2006, 04-10.101; D. 2006. 2894, note F. Marmoz ; AJDI 2006. 587 ; RTD civ. 2006. 521, obs. P. Deumier ; ibid. 580, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 2007. 103, obs. J. Mestre et B. Fages.
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