Actualité > À la une
À la une
Droit de la concurrence
Les ordres professionnels sous les fourches Caudines du droit de la concurrence
Mots-clefs : Ententes, Prix minimal, Commission européenne, Ordre professionnel, Exercices de prérogatives de puissance publique
Les ordres professionnels sont soumis au droit de la concurrence ce qui implique que leurs décisions respectent le droit des ententes et des abus de position dominante, sauf si leur activité se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique. L’Ordre national des pharmaciens (ONP) français, ne disposant pas de pouvoir réglementaire, a été sanctionné pour ententes pour avoir adopté un comportement visant à empêcher l’implantation des groupes de laboratoire d’analyse médicale en France et avoir imposé un prix minimal de marché ce qui constitue, pour ce dernier comportement, une restriction caractérisée.
Une nouvelle fois un ordre professionnel fait l’objet d’une condamnation à une amende pour avoir violé l’interdiction de recourir à des ententes. Cette interdiction figure à l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Elle vise les accords, les pratiques concertées et les décisions d’association d’entreprises qui ont pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence. Certaines ententes peuvent cependant faire l’objet d’exception s’il s’avère qu’elles ont plus d’effets bénéfiques que négatifs notamment pour le consommateur.
À l’origine du contentieux, il y a l’Ordre national des pharmaciens (ONP) dont la mission est de promouvoir la santé publique et la qualité des soins. Son champ d’intervention s’étend jusqu’à la biologie médicale étant donné que les pharmaciens occupent une place majeure au sein de cette activité. Face à la décision de la Commission, l’ONP a, tout d’abord, contesté la possibilité de lui appliquer le droit de la concurrence et, ensuite, la réalité des comportements retenus. Le Tribunal va confirmer la décision de la Commission mais réduire l’amende à 4,75 millions d’euros.
Sur le premier élément, le Tribunal précise que l’exercice de prérogatives de puissance publique permet effectivement d’échapper aux règles de concurrence, conformément à une jurisprudence constante (CJCE 19 févr. 2002, Wouters). Cependant cet Ordre n’exerce pas de telles prérogatives étant donné qu’aucun pouvoir réglementaire ne lui est attribué.
Parallèlement, il s’avère que cet ordre regroupe des pharmaciens, c’est-à-dire des entreprises au sens de la jurisprudence Höfner et Elser (CJCE 23 avr. 1991). Il s’agit, en conséquence, d’une association d’entreprises impliquant que ses décisions soient examinées au regard des règles de concurrence.
Le comportement de l’ONP entrant dans le champ d’application du droit de la concurrence, il restait au Tribunal de l’Union a déterminé si les faits reprochés relevaient de l’interdiction des ententes.
L’ONP a été sanctionné pour deux comportements distincts.
Le premier consiste en une restriction de la concurrence en empêchant des groupes de laboratoires de s’implanter et de se développer. Le Tribunal considère que la Commission a correctement mis en évidence le caractère restrictif des différentes mesures adoptées par l’Ordre. Pour le Tribunal, il apparaît clairement que l’Ordre a restreint la concurrence en choisissant de retenir l’interprétation de la loi la plus défavorable pour les groupes de laboratoire. De plus il s’est opposé à des montages juridiques pourtant conformes à la loi et il a exigé l’accomplissement de certaines démarches et la présentation de certains documents qui n’étaient pas nécessaires. Cependant le Tribunal a décidé de baisser le montant de l’amende au motif qu’une circulaire pouvait amener l’Ordre à penser qu’un agrément préfectoral était nécessaire dans certains cas pour des modifications structurelles de sociétés. Il s’agit, pour le Tribunal, d’une circonstance atténuante, mais qui ne remet pas en cause l’existence d’un comportement anticoncurrentiel plus large.
Le second comportement en cause consiste à avoir tenté d’imposer un prix minimal sur le marché français. Les ententes sur les prix constituent des restrictions caractérisées, et sont systématiquement sanctionnées en ce qu’elles portent directement atteintes à la mise en œuvre de la concurrence. En l’espèce, l’Ordre a empêché la possibilité pour les laboratoires de proposer des remises supérieures à 10 % auprès des établissements hospitaliers. L’Ordre s’est justifié par sa volonté d’appliquer la loi alors même que la loi ne fixait aucun plafond de remise. L’Ordre est ainsi allé au-delà de la loi fixant un prix minimum, ce qui constitue une infraction.
Cet arrêt rappelle ainsi utilement que si les ordres peuvent être instaurés pour défendre une profession, ils ne peuvent le faire que dans le respect des règles de concurrence.
TUE 10 déc. 2014, Ordre national des pharmaciens c./ Commission européenne, T-90/11
Références
■ Article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ex-article 81 TCE)
« 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à:
a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction,
b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,
c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement,
d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.
2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.
3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables:
- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,
- à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et
- à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées
qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans:
a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence. »
■ CJCE 19 févr. 2002, Wouters, C-309/99.
■ CJCE 23 avr. 1991, Höfner et Elser, C-41/90.
Autres À la une
-
Droit des biens
[ 22 novembre 2024 ]
Acte de notoriété acquisitive : office du juge quant à l’appréciation de la preuve de l’usucapion
-
Droit des obligations
[ 21 novembre 2024 ]
Appréciation de la date de connaissance d’un vice caché dans une chaîne de contrats
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 20 novembre 2024 ]
Chuuuuuut ! Droit de se taire pour les fonctionnaires poursuivis disciplinairement
-
Droit de la responsabilité civile
[ 19 novembre 2024 ]
Recours en contribution à la dette : recherche d’une faute de conduite de l’élève conducteur
-
Droit de la responsabilité civile
[ 18 novembre 2024 ]
L’autonomie du préjudice extrapatrimonial exceptionnel d’un proche d’une victime handicapée
- >> Toutes les actualités À la une