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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Les personnes morales n’ont pas de vie privée !
Mots-clefs : Droit des personnes, Droits de la personnalité, Personnes morales, Droit au respect de la vie privée (non)
Si en leur qualité de sujet de droit, les personnes morales disposent d’un droit à la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation, seules les personnes physiques peuvent se prévaloir du droit au respect de leur vie privée.
Propriétaire d'un immeuble, une mère avait donné ce dernier à bail à son fils afin qu’il y développât une activité de location saisonnière et de réception. Or l'accès à cet immeuble s'effectuait par un passage indivis desservant également la porte d'accès au fournil d’un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie exploité par une société. Reprochant à la mère ainsi qu’à son fils d'avoir installé sur l’immeuble un système de vidéosurveillance et un projecteur dirigés vers ledit passage, la société avait porté l’affaire en justice à l’effet d’obtenir, sur le fondement de l'article 809 du Code de procédure civile, le retrait de ce dispositif, ainsi qu'une provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice résultant de l'atteinte ainsi portée à sa vie privée. La cour d’appel accueillit sa demande au motif que l'usage du dispositif n'était pas strictement limité à la surveillance de l'intérieur de la propriété de la mère et du fils, l'appareil de vidéosurveillance enregistrant également les mouvements de toute personne susceptible de traverser le passage commun, notamment au niveau de l'entrée du personnel de la société et qu’en outre, le projecteur, braqué dans la direction de la caméra, ajoutait à la visibilité. La cour d’appel déduisit de l’ensemble de ces constatations que l’atteinte ainsi portée au respect de la vie privée de la société constituait un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser. Sa décision est cassée au visa des articles 9 du Code civil et 809 du Code de procédure civile, la Cour de cassation excluant qu’une personne morale puisse avoir une vie privée à protéger : selon la première chambre civile, « si les personnes morales disposent, notamment, d'un droit à la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation, seules les personnes physiques peuvent se prévaloir d'une atteinte à la vie privée au sens de l'article 9 du code civil, de sorte que la société ne pouvait invoquer l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant d'une telle atteinte ».
Pourvues de la personnalité juridique, les personnes morales bénéficient à ce titre de tous les attributs extrapatrimoniaux par principe attachés à la qualité de sujet de droit et de la protection des droits dits de la personnalité (J. Carbonnier, Droit civil, Les personnes, Thémis ; PUF, 20e éd. 1996, n° 225. – G. Cornu, Droit civil, Les personnes, Domat droit privé, Montchrestien, 13e éd. 2007, n° 99).
En conséquence, comme en témoigne la décision rapportée, la jurisprudence interne comme européenne leur reconnaît depuis longtemps un droit au nom (Civ. 1re, 8 nov. 1988, n° 86-13.264), à l'honneur (en application de l'art. 32 de la L. du 29 juill. 1881, Crim. 12 oct. 1976, n° 75-90.239), à l'inviolabilité du domicile (Crim. 23 mai 1995, n° 94-81.141 ; CEDH 16 avr. 2002, Sté Colas Est c/ France, n° 37971/97) et au secret des correspondances (CEDH, sect., 8 juin 2007, Assoc. pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev c/ Bulgarie, n° 62540/00), que protège en vérité le secret des affaires (C. Gavalda, Le secret des affaires, Mélanges René Savatier, Dalloz, 1965, p. 291).
Ainsi, la nature humaine du sujet de droit n’est-elle pas, en principe, pas une condition de la titularité des droits de la personnalité. Partant, les personnes morales devraient pouvoir se prévaloir du droit au respect de la vie privée, quoique la protection de ce dernier fût à l’origine prévue au profit des seules personnes physiques. Une partie de la doctrine s’y montre favorable (« La nature humaine du sujet n'est donc pas, malgré l'intuition commune, une condition de jouissance du droit au respect de la vie privée », D. Gutman, Les droits de l'homme sont-ils l'avenir du droit ? in L'avenir du droit, Mélanges Terré : Dalloz-PUF 1999, p. 329. – N. Bachurel, La personnalité morale en droit privé, Éléments pour une théorie, LGDJ 2004, n° 202) et certains juges l’ont déjà admis (Aix-en-Provence, 1re ch., sect. B, 10 mai 2001, n° 10-05-2001). Cependant, si à l'égard des personnes physiques, la généralité de la protection de la vie privée va de soi, les juges réaffirmant régulièrement le principe selon lequel « toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes et à venir, a droit au respect de sa vie privée » (V. notam. Civ. 1re, 27 févr. 2007, n° 06-10.393), les personnes morales ne peuvent être titulaires de ce droit qu’à la condition d’admettre qu’elles puissent avoir une vie privée. Or, la Cour de cassation ne l’envisage pas, d’où son refus, en l’espèce, d’enjoindre la cessation du trouble invoqué. Aussi bien, puisque le droit à l'image a été consacré, sur le même fondement du droit au respect de la vie privée (C. civ., art. 9), pour protéger les personnes physiques, certains auteurs soutiennent qu'il ne devrait pas davantage pouvoir être invoqué par les personnes morales (P. Kayser, Le droit dit à l'image, in Mélanges Roubier, Dalloz & Sirey, 1961, t. II, p. 73 s. spéc, n° 13; Les droits de la personnalité. Aspects théoriques et pratiques ; RTD civ. 1971, p. 445 s., spéc. n° 35).
Parfois, les magistrats ont néanmoins accueilli l'action de personnes morales se prévalant d’une atteinte à leur image (Civ. 2e, 5 mai 1993, n° 91-10.655 et 91-11.374; Civ. 1re, 11 mars 1997, n° 95-11.143, pour une photographie sur laquelle apparaissait le nom d'un laboratoire). Cependant, ces cas, peu nombreux, n’ont pas vocation à se multiplier tant il est mal aisé de concevoir que les personnes morales aient une image à protéger, de même qu’il est quelque peu factice, comme les juges ici l’expriment, de concevoir qu’elles aient une vie privée, entendue comme « une vie intérieure, distincte de leur vie extérieure » (P. Kayser, art. préc. n° 35).
Si les personnes morales n’ont pas de vie privée, l’essentiel est que les personnes physiques aient une morale !
Civ. 1re, 17 mars 2016, n° 15-14.072
Références
■ Civ. 1re, 8 nov. 1988, Scouts de France, n° 86-13.264
■ Crim. 12 oct. 1976, n° 75-90.239 P.
■ Crim. 23 mai 1995, n° 94-81.141 P, Rev. sociétés 1996. 109, note B. Bouloc ; RTD civ. 1996. 130, obs. J. Hauser.
■ CEDH 16 avr. 2002, Sté Colas Est c/ France, n° 37971/97, AJDA 2002. 500, chron. J.-F. Flauss ; D. 2003. 527, obs. C. Bîrsan ; ibid. 1541, obs. A. Lepage.
■ CEDH, sect., 28 juin 2007, Assoc. pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev c/ Bulgarie, n° 62540/00
■ Aix-en-Provence, 1re ch., sect. B, 10 mai 2001, n° 10-05-2001 ; D. 2002. 2299, obs. A Lepage.
■ Civ. 1re, 27 févr. 2007, n° 06-10.393 P, D. 2007. 804, obs. C. Delaporte-Carré ; ibid. 2771, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot ; RTD civ. 2007. 309, obs. J. Hauser.
■ Civ. 2e, 5 mai 1993, n° 91-10.655 P et 91-11.374 P, D. 1994. 193, obs. T. Massis ; RTD civ. 1993. 559, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 11 mars 1997, n° 95-11.143 P, D. 1997. 86 ; RTD civ. 1997. 950, obs. P. Jourdain.
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