Actualité > À la une
À la une
Libertés fondamentales - droits de l'homme
Les sectes en droit : rappel
Mots-clefs : Liberté religieuse, Secte, Cour européenne des droits de l'homme
La confirmation de la condamnation de l’Église de la scientologie par la chambre criminelle le 16 octobre 2013, pour escroquerie et exercice illégal de la pharmacie, est l’occasion de revenir sur la prise en compte des mouvements sectaires en France.
Une difficulté surgit immédiatement lorsque l’on aborde la question des sectes : l’absence de définition légale ou jurisprudentielle de la notion.
La chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 30 juin 1999, avait censuré la cour d'appel de Lyon qui avait donné une définition juridique de la notion de religion et permis à l'Église de scientologie de s'affirmer comme telle : « dans la mesure où une religion peut se définir par la coïncidence de deux éléments, un élément objectif, l'existence d'une communauté, même réduite, et un élément subjectif, une foi commune, l'Église de scientologie peut revendiquer le titre de religion ». La juridiction suprême a fermement dénié aux juridictions françaises le droit et le pouvoir d'attribuer la qualification de religion à un mouvement ou une association.
Seule la loi n° 2001-504du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales évoque la « personne morale, quelle qu'en soit la forme juridique ou l'objet, qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités » (art. 1er).
En principe, les mouvements sectaires bénéficient de la liberté de culte au même titre que tout mouvement religieux. Cette liberté n’est pas réservée aux grandes religions. Les dispositions de la loi de 1905 sont donc applicables à ces dernières et elles peuvent, à ce titre, bénéficier de la forme juridique de l'association cultuelle (v. C. Leclerc) présentant un intérêt fiscal non négligeable. Une association peut bénéficier — au titre de la vocation cultuelle — d'exonérations fiscales. À plusieurs reprises, la France a d’ailleurs été condamnée sur le fondement de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, pour des prélèvements fiscaux ayant porté atteinte à la liberté de religion (CEDH 30 juin 2011, Assoc. les témoins de Jéhovah c. France ; CEDH 31 janv. 2013, Association des chevaliers du lotus d'or c. France ; CEDH 31 janv. 2013, Église évangélique missionnaire et Salaûn c. France).
À la suite notamment de l’affaire en 1994 et 1995, au Canada, en Suisse et en France des massacres des membres de l’Ordre du Temple Solaire, qui sera à l’origine d’une première commission d’enquête parlementaire et de la publication, le 10 janvier 1996, du rapport « Les sectes en France », le phénomène des sectes religieuses a été pris en compte par les pouvoirs publics. Le rapport présentait une vue globale du phénomène et proposait la création d’un Observatoire interministériel. Ce sera chose faite en 1996 avec la création de l’Observatoire interministériel sur les sectes auquel succède, en 1998, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) puis le 28 novembre 2002, une mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (la Miviludes). Cette institution est notamment chargée :
– d’observer et d’analyser le phénomène des mouvements à caractère sectaire dont les agissements sont attentatoires aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ou constituent une menace à l’ordre public ou sont contraires aux lois et règlements ;
– de favoriser, dans le respect des libertés publiques, la coordination de l’action préventive et répressive des pouvoirs publics à l’encontre de ces agissements ;
– d’informer le public sur les risques, et le cas échéant les dangers, auxquels les dérives sectaires l’exposent et de faciliter la mise en œuvre d’actions d’aide aux victimes de ces dérives.
Par ailleurs, des affaires d’escroquerie, de manipulation des individus dans un but souvent mercantile, voire de mise en danger de la vie d’autrui dans lesquelles certaines sectes sont impliquées ont obligé le législateur à réagir et à adopter des mesures répressives. Les libertés de croyance et d'association n’interdisent pas de combattre les pratiques sectaires abusives. La loi du 12 juin 2001 (v. A. Dorsner-Dolivet) avait ainsi créé les délits de « manipulation mentale » et de promotion en faveur des mouvements sectaires (C. pén., art. 223-15-2), étendu la responsabilité pénale des personnes morales, limiter la publicité en faveur des mouvements sectaires et resserre le dispositif répressif en cas de maintien ou reconstitution d'une personne morale dissoute. Ce texte introduisait également la possibilité de la dissolution civile de toute personne morale qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités. La dissolution, facultative, est subordonnée à la condition que la personne morale ou ses dirigeants de droit ou de fait aient fait l'objet de condamnations pénales définitives pour l'une ou l'autre des infractions figurant sur la liste introduite par le nouveau délit de promotion en faveur d'un mouvement sectaire.
Enfin, le Code pénal contient aussi des dispositions générales susceptibles de sanctionner les agissements les plus dangereux des sectes. Ainsi en est-il de l’infraction de viol (C. pén., art. 222-23) permettant de sanctionner les pratiques des gourous de certaines sectes, de la provocation au suicide (C. pén., art. 223-13 à 223-15) pouvant être retenue, selon les circonstances, en cas de « suicides collectifs », ou de l’escroquerie.
Références
■ Crim. 16 oct. 2013, n° 12-81.532, Dalloz actualité, 24 oct. 2013, S. Fucini.
■ Crim. 30 juin 1999, n°98-80.501, D. 2000. 655, obs. Giard.
■ CEDH 30 juin 2011, Assoc. les témoins de Jéhovah c. France, no 8916/05 ; Dalloz actualité, 18 juill. 2011, obs. C. de Gaudemont ; ibid., 8 oct. 2010, obs. C. de Gaudemont ; AJDA 2011. 1993, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2011. 1820, et les obs. ; RTD civ. 2012. 702, obs. Marguénaud.
■ C. Leclerc, « Le statut d'association cultuelle et les sectes », RFDA 2005. 565.
■ CEDH 31 janv. 2013, Association cultuelle du Temple pyramide c. France, n°50471/07 ; CEDH 31 janv. 2013, Association des chevaliers du lotus d'or c. France, n° 50615/07, CEDH 31 janv. 2013, Église évangélique missionnaire et Salaûn c. France, n° 25502/07, Dalloz Actu Étudiant 19 févr. 2013.
■ A. Dorsner-Dolivet, « Loi sur les sectes », D. 2002. 1086.
■ Article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme- Liberté de pensée, de conscience et de religion
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
■ Code pénal
« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.
Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. »
« Le fait de provoquer au suicide d'autrui est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d'une tentative de suicide.
Les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende lorsque la victime de l'infraction définie à l'alinéa précédent est un mineur de quinze ans.
Les personnes physiques ou morales coupables du délit prévu à la présente section encourent également la peine complémentaire suivante : interdiction de l'activité de prestataire de formation professionnelle continue au sens de l'article L. 6313-1 du code du travail pour une durée de cinq ans. »
Article 223-14
« La propagande ou la publicité, quel qu'en soit le mode, en faveur de produits, d'objets ou de méthodes préconisés comme moyens de se donner la mort est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. »
Article 223-15
« Lorsque les délits prévus par les articles 223-13 et 223-14 sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. »
« Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
Lorsque l'infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d'un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 750 000 euros d'amende. »
■ Article 1er de loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales
« Peut être prononcée, selon les modalités prévues par le présent article, la dissolution de toute personne morale, quelle qu'en soit la forme juridique ou l'objet, qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, lorsque ont été prononcées, contre la personne morale elle-même ou ses dirigeants de droit ou de fait, des condamnations pénales définitives pour l'une ou l'autre des infractions mentionnées ci-après :
1o Infractions d'atteintes volontaires ou involontaires à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne, de mise en danger de la personne, d'atteinte aux libertés de la personne, d'atteinte à la dignité de la personne, d'atteinte à la personnalité, de mise en péril des mineurs ou d'atteintes aux biens prévues par les articles 221-1 à 221-6, 222-1 à 222-40, 223-1 à 223-15, 223-15-2, 224-1 à 224-4, 225-5 à 225-15, 225-17 et 225-18, 226-1 à 226-23, 227-1 à 227-27, 311-1 à 311-13, 312-1 à 312-12, 313-1 à 313-3, 314-1 à 314-3 et 324-1 à 324-6 du code pénal ;
2o Infractions d'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie prévues par les articles L. 4161-5 et L. 4223-1 du code de la santé publique ;
3o Infractions de publicité mensongère, de fraudes ou de falsifications prévues par les articles L. 121-6 et L. 213-1 à L. 213-4 du code de la consommation.
La procédure de dissolution est portée devant le tribunal de grande instance à la demande du ministère public agissant d'office ou à la requête de tout intéressé.
La demande est formée, instruite et jugée conformément à la procédure à jour fixe.
Le délai d'appel est de quinze jours. Le président de chambre à laquelle l'affaire est distribuée fixe à bref délai l'audience à laquelle l'affaire sera appelée. Au jour indiqué, il est procédé selon les modalités prévues aux articles 760 à 762 du nouveau code de procédure civile.
Le maintien ou la reconstitution, ouverte ou déguisée, d'une personne morale dissoute en application des dispositions du présent article constitue le délit prévu par le deuxième alinéa de l'article 434-43 du code pénal.
Le tribunal de grande instance peut prononcer au cours de la même procédure la dissolution de plusieurs personnes morales mentionnées au premier alinéa dès lors que ces personnes morales poursuivent le même objectif et sont unies par une communauté d'intérêts et qu'a été prononcée à l'égard de chacune d'entre elles ou de ses dirigeants de droit ou de fait au moins une condamnation pénale définitive pour l'une des infractions mentionnées aux 1o à 3o. Ces différentes personnes morales doivent être parties à la procédure. »
Autres À la une
-
Droit de la responsabilité civile
[ 18 novembre 2024 ]
L’autonomie du préjudice extrapatrimonial exceptionnel d’un proche d’une victime handicapée
-
Droit de la responsabilité civile
[ 15 novembre 2024 ]
Indemnisation des pertes de gains professionnels futurs : des conditions restrictives
-
Droit de la famille
[ 14 novembre 2024 ]
L’exequatur des jugements étrangers établissant la filiation d’un enfant né d’une GPA : une procédure admise sous contrôle
-
Droit européen et de l'Union européenne
[ 13 novembre 2024 ]
Changements d’identité et de genre : la CJUE exige une reconnaissance entre les États membres
-
Droit européen et de l'Union européenne
[ 12 novembre 2024 ]
Affaire Real Madrid contre Le Monde : atteinte à la liberté de la presse
- >> Toutes les actualités À la une