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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Les sectes, l’administration fiscale française et la Cour européenne des droits de l’homme
Mots-clefs : Liberté religieuse, Secte, fiscalité, Taxation des dons manuels, Cour européenne des droits de l'homme
Par trois arrêts du 31 janvier, la CEDH a jugé qu'il y a eu violation de l'article 9 (droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion) du fait de la taxation des dons manuels reçus par des associations cultuelles, mêmes sectaires.
La Cour européenne des droits de l'homme a, de nouveau, condamné la France pour violation de l'article 9 de la Conv. EDH dans trois affaires dans lesquelles les requérantes, des associations, alléguaient que la taxation des dons manuels à laquelle elles avaient été assujetties avait porté atteinte à leur droit de manifester et d’exercer leur liberté de religion.
Les deux premières associations, l’Association des chevaliers du lotus d’or et l’Association cultuelle du temple pyramide, avaient pour objet le culte d’une nouvelle religion (l’aumisme). La troisième est l’association Église évangélique missionnaire. Dans ces trois affaires, les associations, ont fait l'objet, à l’issue de procédures fiscales, d’un redressement portant sur la non-déclaration de dons manuels qu'elles avaient reçus. En effet, en vertu de l’article 757 du Code général des impôts, les dons manuels « révélés » à l’administration fiscale sont sujets aux droits de donation (une taxation d’office au taux de 60%). Or, ces associations revendiquaient leur statut d'association « cultuelle » en vue de bénéficier des exonérations fiscales attachées à ce statut.
La CEDH a déjà condamné la France en matière de taxation des communautés religieuses dans son arrêt Association Les Témoins de Jéhovah (CEDH 30 juin 2011). La Cour avait conclu à la violation de l’article 9, en raison de l'insuffisante précision des dispositions de l'article 757 du Code général des impôts sur le fondement duquel les dons révélés à l'administration au cours de la vérification de la comptabilité de l'association sont taxés d'office aux droits de donation. L'imprévisibilité fustigée par la Cour découlait de l’interprétation nouvelle de la législation avalisée par les juridictions nationales (TGI Nanterre 4 juill. 2000 ; Versailles, 28 févr. 2002 ; Com. 5 oct. 2004).
La CEDH, dans cette affaire, renvoie à cet arrêt, constatant que l’état du droit dans ces affaires est le même que celui qui prévalait dans l’affaire Association les Témoins de Jéhovah et ne voit pas de raison en l’espèce de s’écarter de la conclusion à laquelle elle était parvenue à l’époque. En conséquence, la France est condamnée à verser 3 599 551 euros à l'Association cultuelle du temple pyramide, 36 886 euros à l'Association des chevaliers du lotus d'or et 387 722 euros à l'Église évangélique missionnaire.
L’arme fiscale est donc moins efficace contre les sectes que contre Al Capone.
Mais au fait, qu’est-ce qu’une secte ?
Une difficulté surgit immédiatement : l’absence de définition légale ou jurisprudentielle de la notion de secte. Seule la loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales évoque la « personne morale, quelle qu'en soit la forme juridique ou l'objet, qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités ».
Pour sa part, la MIVILUDES (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, créée par le décret n° 2002-1392 du 28 nov. 2002, JORF n°278 du 29 nov. 2002, p. 19646) donne une définition de la dérive sectaire : « Il s'agit d'un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes, à l’ordre public, aux lois ou aux règlements. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société » (http://www.miviludes.gouv.fr).
Sectes ou nouvelles religions, en principe ces mouvements bénéficient de la liberté de culte au même titre que tout mouvement religieux. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public institué par la loi ». Cette liberté n’est pas réservée aux grandes religions. Néanmoins, des affaires d’escroquerie, de corruption voire de mise en danger de la vie d’autrui dans lesquelles certaines sectes ont été impliquées ont obligé le législateur à réagir. La prise en compte du phénomène des sectes religieuses par les pouvoirs publics date, notamment, de l’affaire, en 1994 et 1995, au Canada, en Suisse et en France des massacres des membres de l’Ordre du temple solaire, qui sera à l’origine d’une première commission d’enquête parlementaire et de la publication, le 10 janvier 1996, du rapport « Les sectes en France ».
Ainsi, la loi du 12 juin 2001 « tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales » :
– permet la dissolution civile des mouvements : l'article 1er de la loi du 12 juin 2001 permet la dissolution de toute personne morale qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités. La dissolution, facultative, est subordonnée à la condition que la personne morale ou ses dirigeants de droit ou de fait aient fait l'objet de condamnations pénales définitives pour l'une ou l'autre des infractions figurant sur la liste introduite par le nouveau délit de promotion en faveur d'un mouvement sectaire ;
– crée de nouvelles infractions : les délits de « manipulation mentale » (C. pén., art. 223-15-2) et de promotion en faveur des mouvements sectaires.
CEDH 31 janv. 2013, Association cultuelle du temple pyramide c. France (requête n° 50471/07), Association des chevaliers du lotus d’or c. France (n° 50615/07), Église évangélique missionnaire et Salaûn c. France (n° 25502/07)
Références
■ CEDH 30 juin 2011, no 8916/05, Assoc. les témoins de Jéhovah c. France ; F. Deboissy et G. Wicker, « Arrêts Assoc. Les Témoins de Jéhovah c/ France : le désarmement fiscal de l'État français », Dr. fisc. 2012, comm. 570 ; Dr. fisc. 2011, n° 44, comm. 577, note F. Dieu ; G. Gonzalez « L'Armageddon des services fiscaux ou conclusion attendue d'une “ révélation ” peu inspirée », JCP G 2011, 943 ; RTD civ. 2012. 702, obs. Marguénaud.
■ TGI Nanterre 4 juill. 2000, n° 99-14 939 ; M. de Guillenchmidt, « La révélation des dons manuels ou l'apocalypse fiscale » RJF 2000. 905.
■ Versailles, 28 févr. 2002, JCP N 2002, 1424, note L. Martin.
■ Com. 5 oct. 2004, n°03-15.709, JCP N 2005, 1193, note L. Martin ; RTD com. 2005. 372, obs. L. Grosclaude.
■ Article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme- Liberté de pensée, de conscience et de religion
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
■ Article 757 du Code général des impôts
« Les actes renfermant soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d'un don manuel, sont sujets aux droits de mutation à titre gratuit. Ces droits sont calculés sur la valeur du don manuel au jour de sa déclaration ou de son enregistrement, ou sur sa valeur au jour de la donation si celle-ci est supérieure. Le tarif et les abattements applicables sont ceux en vigueur au jour de la déclaration ou de l'enregistrement du don manuel.
La même règle s'applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l'administration fiscale.
Ces dispositions ne s'appliquent pas aux dons manuels consentis aux organismes d'intérêt général mentionnés à l'article 200. »
■ Article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »
■ Article 1er de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales
« Peut être prononcée, selon les modalités prévues par le présent article, la dissolution de toute personne morale, quelle qu'en soit la forme juridique ou l'objet, qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, lorsque ont été prononcées, contre la personne morale elle-même ou ses dirigeants de droit ou de fait, des condamnations pénales définitives pour l'une ou l'autre des infractions mentionnées ci-après :
1° Infractions contre l'espèce humaine, infractions d'atteintes volontaires ou involontaires à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne, de mise en danger de la personne, d'atteinte aux libertés de la personne, d'atteinte à la dignité de la personne, d'atteinte à la personnalité, de mise en péril des mineurs, d'atteintes aux biens prévues par les articles 214-1 à 214-4,221-1 à 221-6,222-1 à 222-40,223-1 à 223-15,223-15-2,224-1 à 224-4,225-5 à 225-15,225-17 et 225-18,226-1 à 226-23,227-1 à 227-27,311-1 à 311-13,312-1 à 312-12,313-1 à 313-3,314-1 à 314-3,324-1 à 324-6 et 511-1-2 du code pénal ;
2° Infractions d'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie prévues par les articles L. 4161-5 et L. 4223-1 du code de la santé publique ;
3° Infractions de publicité mensongère, de fraudes ou de falsifications prévues par les articles L. 121-6 et L. 213-1 à L. 213-4 du code de la consommation.
La procédure de dissolution est portée devant le tribunal de grande instance à la demande du ministère public agissant d'office ou à la requête de tout intéressé.
La demande est formée, instruite et jugée conformément à la procédure à jour fixe.
Le délai d'appel est de quinze jours. Le président de chambre à laquelle l'affaire est distribuée fixe à bref délai l'audience à laquelle l'affaire sera appelée. Au jour indiqué, il est procédé selon les modalités prévues aux articles 760 à 762 du code de procédure civile.
Le maintien ou la reconstitution, ouverte ou déguisée, d'une personne morale dissoute en application des dispositions du présent article constitue le délit prévu par le deuxième alinéa de l'article 434-43 du code pénal.
Le tribunal de grande instance peut prononcer au cours de la même procédure la dissolution de plusieurs personnes morales mentionnées au premier alinéa dès lors que ces personnes morales poursuivent le même objectif et sont unies par une communauté d'intérêts et qu'a été prononcée à l'égard de chacune d'entre elles ou de ses dirigeants de droit ou de fait au moins une condamnation pénale définitive pour l'une des infractions mentionnées aux 1° à 3°. Ces différentes personnes morales doivent être parties à la procédure. »
■ Article 223-15-2 du Code pénal
« Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375000 euros d'amende l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
Lorsque l'infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d'un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 750000 euros d'amende. »
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