Actualité > À la une
À la une
Droit constitutionnel
Les trois premières questions prioritaires de constitutionnalité renvoyées par le Conseil d’État au Conseil constitutionnel
Mots-clefs : Question prioritaire de constitutionnalité, Conseil d’État, Conseil Constitutionnel
Trois questions relatives à l’indemnisation des enfants nés handicapés à la suite d’une erreur de diagnostic prénatal, à la représentativité des associations familiales, et aux pensions militaires des anciens ressortissants des colonies doivent faire l’objet d’un renvoi devant le Conseil constitutionnel a décidé le Conseil d’État le 14 avril 2010.
L’entrée en vigueur, depuis le 1er mars 2010, de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC, v. art. 61-1, Const. 58) autorise le justiciable à soutenir, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, et dans un mémoire distinct (ord. n° 58-1067 du 7 nov. 1958), qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Le Conseil constitutionnel peut alors être saisi de la QPC sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation (v. Actualités du 1er et 15 mars).
Les juges du Palais Royal sont les premiers à renvoyer des QPC aux juges de la rue Montpensier.
Dans la première affaire (n° 329290), Mme L. avait demandé réparation au centre hospitalier Cochin des conséquences dommageables résultant de la myopathie de son fils. Le tribunal administratif et la cour administrative d’appel (CAA Paris, 6 oct. 2008) avaient rejeté sa demande. Elle forme alors un pourvoi devant le Conseil d’État et dans un mémoire distinct, soulève une exception d’inconstitutionnalité. Cette affaire met en cause les dispositions de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) interdisant de se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance. Par ailleurs, ces dispositions limitent aux préjudices des seuls parents, l’engagement de la responsabilité d’un professionnel de santé du seul fait de la naissance d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse, si une faute caractérisée est identifiable. Ces dispositions ont été introduites à la suite de l’arrêt Perruche (Ass. plén. 17 nov. 2000). Leur constitutionnalité est ici contestée. Deux questions présentent un caractère sérieux et méritent d’être renvoyées au Conseil constitutionnel selon le Conseil d’État. En effet, les dispositions de l’article L. 114-5 du CASF porteraient atteinte au principe de responsabilité, et par là même au principe de réparation du dommage causé à autrui, principes qui découlent de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC). De plus, ces mêmes dispositions sont applicables rétroactivement aux instances en cours au 5 mars 2002, date d’entrée en vigueur de la loi modifiant l’article litigieux et couvrent les préjudices résultant des fautes commises antérieurement à cette date. Se pose, en l’espèce, le problème de la constitutionnalité de cette rétroactivité en application de l’article 16 de la DDHC (séparation des pouvoirs et droit à un recours juridictionnel effectif).
Dans la seconde affaire (n° 323830), l’Union des Familles en Europe (UFE) avait demandé au juge administratif l’annulation du décret du 30 octobre 2008 instituant le Haut Conseil de la famille qui, de fait, donne un « monopole » de représentativité à l’Union des Familles de France (UNAF). Ce « monopole » découle du 2° de l’article L. 211-3 du CASF donnant compétence à l’UNAF pour représenter au sein des pouvoirs publics l’ensemble des familles et notamment désigner ou proposer les délégués des familles aux divers conseils. La QPC présentée par l’UFE sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment au principe d’égalité du 2° de l’article L. 211-3 du CASF, présente un caractère sérieux pour le Conseil d’État qui accepte le renvoi au Conseil constitutionnel.
Dans la dernière affaire (n° 336753), sont contestées plusieurs dispositions de lois de finances relatives à la fixation des pensions militaires servies aux anciens soldats français devenus étrangers après la décolonisation. En application de ces diverses dispositions, certaines pensions versées aux étrangers ont été « cristallisées » (gel du montant des pensions), et sont donc moins élevées que celles dues aux pensionnés français. Ainsi, le moyen soulevé par les requérants, selon lequel diverses dispositions de lois de finances portent atteinte au principe constitutionnel d’égalité, soulève une question présentant un caractère sérieux.
Le conseil Constitutionnel, en application de l’article 23-10 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, a maintenant trois mois pour statuer.
CE, 14 avril 2010, Mme L., n° 329290
CE, 14 avril 2010, Union des familles en Europe, n° 323830
CE, 14 avril 2010, M. et Mme L., n° 336753
Références
■ CAA Paris, 6 oct. 2008, n° 07PA03630, AJDA 2009. 216, note Hennette-Vauchez
■ Ass. plén. 17 nov. 2000 ; D. 2001. 316, concl. J. Sainte-Rose et 332, note D. Mazeaud, P. Jourdain
■ Code de l’action sociale et des familles
« Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance.
La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer.
Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. »
« (…) 2° Représenter officiellement auprès des pouvoirs publics l'ensemble des familles et notamment désigner ou proposer les délégués des familles aux divers conseils, assemblées ou autres organismes institués par l'État, la région, le département, la commune ; »
■ Article 61-1de la Constitution de 1958
« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. (…) »
■ Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. »
« Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »
■ Article 23-10 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel
« Le Conseil constitutionnel statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Les parties sont mises à même de présenter contradictoirement leurs observations. L'audience est publique, sauf dans les cas exceptionnels définis par le règlement intérieur du Conseil constitutionnel. »
Autres À la une
-
[ 20 décembre 2024 ]
À l’année prochaine !
-
Droit du travail - relations collectives
[ 20 décembre 2024 ]
Salariés des TPE : à vous de voter !
-
Droit du travail - relations individuelles
[ 19 décembre 2024 ]
Point sur la protection de la maternité
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 18 décembre 2024 ]
PMA post-mortem : compatibilité de l’interdiction avec le droit européen
-
Droit de la famille
[ 17 décembre 2024 ]
GPA : l’absence de lien biologique entre l’enfant et son parent d’intention ne s’oppose pas à la reconnaissance en France du lien de filiation établi à l'étranger
- >> Toutes les actualités À la une