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Droit pénal général
Les violences des supporters : quelles réponses ?
Si le sport demeure une éternelle école de l’élévation, porteuse de valeurs fondamentales, force est d’admettre que les violences intolérables et de plus en plus fréquentes au sein des enceintes sportives, en particulier les débordements de certains spectateurs dans les stades de football, viennent considérablement écorner son image.
À nos lecteurs les plus jeunes, nous rappelons notamment le drame du Heysel. Advenu en Belgique le 29 mai 1985 à l’occasion de la finale de la Coupe d’Europe des clubs des champions, ce fut l’une des plus grandes tragédies de l’histoire récente du football, faisant prendre conscience d’un danger d’envergure menaçant l’ordre public, le houliganisme, qui se caractérise par une utilisation du sport comme prétexte pour rechercher des affrontements avec les forces de l’ordre et pour exercer une violence préméditée et organisée envers des sportifs ou d’autres spectateurs, souvent accompagnée de manifestations racistes, antisémites et xénophobes.
C’est ainsi qu’au niveau européen, le 19 août 1985, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe adopta une convention européenne sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives et notamment de matches de football, engageant les États membres à prendre une kyrielle de mesures « destinées à prévenir et maîtriser la violence et les débordements de spectateurs », « à encourager l’organisation responsable et le bon comportement des clubs de supporters », à coordonner « l’organisation des déplacements » et « d’empêcher le départ des fauteurs potentiels de troubles », à introduire le cas échéant « une législation appropriée contenant des sanctions pour inobservation ou d’autres mesures appropriées » et « des dispositions concrètes aux abords des stades et à l’intérieur de ces derniers » ou encore à prendre les « mesures adéquates dans les domaines social et éducatif » (art. 3). Une décision du Conseil de l’Union européenne du 25 avril 2002 a imposé aux États la création de points nationaux d’information du football, chargés de recenser les incidents, puis une résolution du 29 avril 2004 a prévu un programme de lutte contre le houliganisme.
En France, à la suite de nouveaux incidents liés à des actes de vandalisme ou de houliganisme survenus lors de compétitions sportives, la loi no 93-1282 du 6 décembre 1993 relative à la sécurité des manifestations sportives, dite « loi Alliot-Marie », demeure le premier texte législatif en la matière, avec pour dessein de créer des infractions spécifiques et en cas de flagrant délit, de recourir à la procédure de comparution immédiate. Complétée et modifiée, cette loi paraît ainsi le socle du dispositif de lutte contre les violences commises par les supporters.
Furent notamment créées, par la loi no 2006-64 du 24 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, les interdictions administratives de stade puis par arrêté du ministre de l’intérieur publié le 5 septembre 2007, le Ficher national des interdits de stade (FNIS), regroupant les identités des interdictions judiciaires et administratives, sans rappeler que les personnes interdites de stade figuraient déjà dans le fichier des personnes recherchées (FPR), créé en 1996.
À cela, ajoutons deux lois notables : celle no 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure permettant au ministre de l’intérieur d’interdire le déplacement individuel ou collectif et celle no 2016-564 du 10 mai 2016 renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le houliganisme et responsabilisant les clubs.
Cela étant, ces lois permettent-elles d’endiguer efficacement la violence des supporters de football ?
Tout d’abord, il existe des sanctions collectives prévues par le règlement de la Fédération française de football, susceptibles d’être prononcées par la commission de discipline de la Ligue de football professionnel, association loi de 1901, à l’encontre des clubs dont les supporters sont à l’origine d’incidents tels que le blâme, l’amende ou encore le match à huis clos ou partiel, le football étant le seul sport dont le règlement disciplinaire ne pénalise pas son public.
Néanmoins, le supporter, lorsqu’il se rend auteur d’une infraction, engage selon le droit commun sa propre responsabilité pénale au regard du principe de personnalité des poursuites et des peines ainsi que sa responsabilité civile sur le fondement des dispositions de l’article 1240 et suivants du Code civil en cas de dommage matériel ou humain.
Précisons que plusieurs peines spécifiques ont été introduites dans le Code du sport pour des faits commis lors du déroulement ou de la retransmission en public d’une manifestation sportive, à l’instar des délits d’introduction ou de tentative d’introduction de boissons alcooliques dans une enceinte sportive (C. sport, art. L. 332-3), de provocation à la haine ou à la violence (C. sport, art. L. 332-6) et de jet de projectile présentant un danger pour la sécurité des personnes (C. sport, art. L. 332-9). Pour de tels faits, il n’est pas rare que le club porte plainte et se constitue partie civile contre un supporter agissant de la sorte. De plus, depuis la loi du 10 mai 2016 précitée, le club peut prononcer contre les supporters qu’il estime violents des interdictions commerciales de stade provisoires et établir à cet effet un traitement automatisé de données à caractère personnel relatives à leurs manquements (C. sport, art. L. 332-1). En revanche, malgré d’âpres débats sur ce sujet, la loi n’autorise pas à ce jour un club de football à recourir à la reconnaissance faciale pour écarter les personnes frappées d’interdiction commerciale de stade.
Par ailleurs, n’oublions pas les interdictions judiciaires ou administratives de stade évoquées précédemment.
D’une part, les interdictions judiciaires sont des peines complémentaires spécifiques d’une durée maximale de 5 ans prononcées par un juge à l’encontre des auteurs des infractions visées aux articles 222-11 à 222-13, 322-1 à 322-4, 322-6, 322-11 et 433-6 du Code pénal, aux articles L. 332-3 à L. 332-10 et L. 332-19 du Code du sport, induisant non seulement l’interdiction de pénétrer dans l’enceinte où se déroule la manifestation sportive mais aussi l’interdiction de se rendre aux abords de cette enceinte afin de ne pas perturber l’entrée ni la sortie du stade (C. sport, art. L. 332-11).
D’autre part, les interdictions administratives, instituées par la loi du 23 janvier 2006 évoquée supra, complètent les interdictions judiciaires. Elles peuvent être prononcées pour une durée maximale de 24 mois par arrêté motivé du préfet, à l’encontre d’une personne constituant une menace pour l’ordre public « lorsque par son comportement d’ensemble à l’occasion de menaces sportives, par la commission d’un acte grave à l’occasion de l’une de ces manifestations, du fait de son appartenance à une association ou un groupement de fait ayant fait l’objet d’une dissolution ou du fait de sa participation aux activités qu’une association ayant fait l’objet d’une suspension d’activité s’est vue interdire ». Par le même arrêté, le représentant de l’État peut également imposer « à la personne faisant l’objet de cette mesure l’obligation de répondre, au moment des manifestations sportives objets de l’interdiction, aux convocations de toute autorité ou de toute personne qualifiée qu’il désigne », obligation qui « doit être proportionnée au regard du comportement de la personne » (C. sport, art. L. 332-16).
Pourtant, dans le rapport d’information de la mission parlementaire sur les interdictions de stade et le supportérisme (n° 2984, 22 mai 2020), les parlementaires font état de certaines dérives relatives au recours et à la mise en œuvre de cette interdiction administrative, constatant un « usage extensif des interdictions administratives de stade », « des dérives dans son usage », « l’allongement de [sa] durée » qui « a fait perdre de vue la justification initiale d’une mesure transitoire, destinée à garantir la sécurité des matchs dans l’attente de l’intervention de la justice » alors que « les IAS sont ainsi devenues le premier outil de police au sein des stades et une forme de substitut aux sanctions pénales » (page 41/116 du rapport). Les parlementaires déplorent ainsi « le nombre de prises », « leurs motivations, qui peuvent s’avérer insuffisantes ou contestables » et proposent davantage de transparence dans leur prononcé (page 42/116 du rapport).
Outre ces interdictions, cet arsenal législatif s’est encore étoffé avec deux autres mesures. Tout d’abord, l’interdiction de déplacement de supporters, décidée par le ministre de l’intérieur ou les préfets lorsque la présence d’une équipe à l’occasion d’une manifestation sportive est susceptible d’occasionner des troubles graves à l’ordre public (C. sport, art. L. 332-16-1 et L. 332-16-2). Ensuite, la dissolution ou la suspension d’activité d’associations de supporters est prise par décret, après avis de la commission consultative de prévention des violences qui est saisie par le ministre de l’intérieur lorsque ses « membres ont commis en réunion, en relation ou à l’occasion d’une manifestation sportive, des actes répétés ou un acte d’une particulière gravité et qui sont constitutifs de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d’incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes à raison de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur sexe ou de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » (C. sport, art. L. 332-18).
Partant, les supporters et les associations de supporters sont désormais reconnus comme de véritables acteurs du sport qui par « leur comportement et leur activité, participent au bon déroulement des manifestations et compétitions sportives et concourent à la promotion des valeurs du sport » (C. sport, art. L. 224-1). En cette qualité, force est de constater que les instances sportives et le législateur ont façonné un panel de mesures destinées à endiguer des phénomènes récurrents et préoccupants de violence à l’occasion de manifestations sportives.
Cependant, les agissements répréhensibles récents de supporters émaillant plusieurs matches de football ont relancé la question de l’efficacité de ces mesures et la nécessité de développer d’autres mesures répressives alors même que beaucoup d’observateurs du monde du sport, rappelant la convention du Conseil de l’Europe sur une approche intégrée de la sécurité, de la sûreté et des services lors des matches de football et autres manifestations sportives, évoquent la nécessité pour la France de reconfigurer son supportérisme par une approche pluri-institutionnelle intégrant davantage les supporters dans le bon déroulement de ces événements (Décr. no 2021-551 du 4 mai 2021 portant publication de la convention du Conseil de l’Europe sur une approche intégrée de la sécurité, de la sûreté et des services lors des matches de football et autres manifestations sportives, signée à Saint-Denis le 3 juill. 2016).
En réaction à ce fléau, le Gouvernement semblant vouloir prendre de nouvelles mesures, a indiqué qu’il entendait les jours prochains arrêter sa réflexion sur quatre axes majeurs : l’amélioration de la sécurité dans les stades, l’interdiction de stade pour les supporters fautifs, la sécurité privée dans l’enceinte sportive ainsi que le processus de décision de l’arrêt d’un match.
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