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Droit du travail - relations individuelles
L’étendue de l’obligation de reclassement
Mots-clefs : Reclassement du salarié, Contenu de l'obligation, Étendue matérielle, Étendue géographique
La méconnaissance par l’employeur de son obligation de reclasser une salariée inapte à son poste justifie la requalification du licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’obligation de reclassement du salarié serait-elle absolue ? À la lecture de la décision rapportée, la question mérite définitivement d’être posée tant elle confirme l’extension progressive, en jurisprudence, du champ d’application de cette obligation.
En l’espèce, une responsable de magasin, après avoir été déclarée définitivement inapte à son poste par un médecin du travail, fut licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Elle saisit alors la juridiction prud’homale pour contester son licenciement et obtenir la condamnation de son employeur à lui verser des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et manquement à son obligation de sécurité. Elle obtint gain de cause et en appel, le jugement fut confirmé. La société qui l’employait se pourvut alors en cassation pour faire valoir l’effectivité de sa recherche de reclassement de la salariée et l’impossibilité dans laquelle elle s’était néanmoins trouvée, en considération des conclusions du médecin du travail, de lui obtenir un poste autre que celui qui lui avait été proposé, sans rapport avec celui qu’elle occupait. Prévisible, le rejet du pourvoi s’appuya sur la dimension nationale de la société demanderesse et du nombre d’emplois qu’elle représente pour en conclure que la société affirmait vainement avoir recherché un poste de reclassement.
L'employeur doit proposer au salarié, déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur son aptitude à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que des mutations, transformations de postes de travail ou encore aménagement du temps de travail (C. trav., art. L. 1226-2). Or, le contenu comme l’étendue de cette obligation de reclassement ont été très largement définis par les juges. Elle concerne les salariés liés à l'employeur par un contrat tant à durée indéterminée que déterminée (Soc. 8 juin 2005) et les juges en imposent le principe y compris lorsque le salarié est inapte à tout emploi dans l'entreprise (Soc. 4 juin 2009) ou qu’il refuse d'être reclassé (Soc. 19 janv. 2005) ; dans ce cas, il appartient alors à l'employeur de solliciter à nouveau l'avis du médecin du travail (Soc. 6 févr. 2008).
En outre, l'obligation de reclassement incombant à l'employeur concerne toutes les inaptitudes physiques, peu important le caractère temporaire ou définitif, partiel ou total, de celle-ci (Soc. 16 juin 1988), y compris lorsque le salarié est déclaré inapte à tout emploi dans l'entreprise (Soc. 4 juin 2009, préc.) ou à un secteur d'activité (Soc. 22 mai 1995). C’est pourquoi, si l'absence de propositions de reclassement sur avis du médecin du travail ne constitue pas un fait justificatif exonérant l'employeur de sa responsabilité en la matière (Soc. 24 avr. 2001), à l'inverse, l'employeur est contraint de prendre en compte scrupuleusement les propositions du médecin du travail, notamment celles lui interdisant d'affecter le salarié à certaines tâches, sauf à manquer à l'obligation de sécurité dont il est débiteur (Soc. 11 mars 2009).
En l’espèce, c’était ce que la société avait tenté de faire valoir pour justifier le fait de n’avoir trouvé qu’un poste, administratif, le seul susceptible de respecter les conclusions du médecin. Cela ne suffit toutefois pas à convaincre les juges de la bonne exécution de son obligation, dont il n’avait, en réalité, pas respecté le cadre. En effet, le périmètre géographique de l'obligation de reclassement du salarié inapte est largement apprécié par la jurisprudence. Comme le rappelle la décision rapportée, la recherche doit s’étendre, au-delà de l'entreprise elle-même, au groupe, lorsque l'entreprise s'inscrit dans un tel ensemble (Soc. 24 juin 2009), du moins parmi les entreprises dont l'activité, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.
Dans le même sens, la recherche doit également comprendre les sociétés sous contrat de franchise dès lors qu'il existe des mutations de personnel entre les différentes sociétés relevant de cette franchise (Soc. 7 juill. 2009), ou encore des entités situées à l'étranger lorsque l'employeur appartient à un groupe multinational (Soc. 9 janv. 2008).
La recherche d'un poste de reclassement ne saurait donc, sans risque pour l'employeur, être menée en deçà de ce périmètre, certes très largement défini.
Soc. 29 mai 2013, n°11-20.074
Références
■ E. Dockès, J. Pélissier, G. Auzero, Droit du travail, coll. « Précis », 27e éd., 2012, n°343 s.
■ Soc. 8 juin 2005, n°03-44.913.
■ Soc. 4 juin 2009, n° 07-45.231.
■ Soc. 19 janv. 2005, n° 03-41.479.
■ Soc. 6 févr. 2008, n° 06-44.413.
■ Soc. 16 juin 1988, n° 85-46.452.
■ Soc. 22 mai 1995, JurisData n° 1995-001205.
■ Soc. 24 avr. 2001, n°97-44.104.
■ Soc. 11 mars 2009, n° 07-44.816.
■ Soc. 24 juin 2009, n° 07-45.656.
■ Soc. 7 juill. 2009, n°08-40.689.
■ Soc. 9 janv. 2008, n° 06-44.407.
■ Article L. 1226-2 du Code du travail
« Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. »
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