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Droit du travail - relations collectives
L’exception d’illégalité d’un accord collectif : la voie est ouverte aux syndicats !
Si l’action en nullité de tout ou partie d’un accord collectif est enfermée dans des délais très brefs, les syndicats non signataires peuvent soulever, par voie d’exception et sans condition de délai, l’illégalité d’une clause conventionnelle qui porterait atteinte à des droits propres reconnus par la loi.
Soc. 2 mars 2022 n° 20-18.442, B+ R
Dans un arrêt du 2 mars 2022, promis à publication au rapport annuel, la chambre sociale de la Cour de cassation s’appuie sur le droit à un recours effectif pour préserver les droits des syndicats mis à mal par un accord collectif illicite. En l’espèce, un accord collectif fixait le périmètre des comités sociaux et économiques (CSE) d’établissement au sein de la société Magasins Galeries Lafayette. À la suite des élections, un syndicat désigne un délégué syndical au sein de l’un des magasins qui recouvre un périmètre plus restreint que celui de l’établissement distinct au sens du CSE. Quelques mois plus tard, un avenant est conclu pour « confirmer » que le périmètre des établissements distincts pour la désignation des délégués syndicaux est nécessairement le même que celui des établissements distincts pour la mise en place des CSE. Pour l’employeur, le mandat du délégué syndical au sein d’un périmètre plus restreint était donc caduc. Pour faire échec à la caducité du mandat de son délégué syndical, le syndicat invoque, par voie d’exception, l’illégalité de l’avenant à l’accord collectif. Or ce moyen de défense pose difficulté car depuis les Ordonnances de 2017, l’action en nullité d’un accord collectif est strictement encadrée. Tirant les conséquences de la position du Conseil constitutionnel prise à l’occasion de l’examen de la constitutionnalité de ces nouvelles dispositions, la Cour de cassation admet l’exception d’illégalité. Elle limite ainsi l’intérêt d’un dispositif imaginé pour garantir la sécurité juridique des accords collectifs (1) mais la portée de sa décision reste à cerner (2).
1. La remise en cause d’un accord collectif par voie d’exception
Avant 2017, la licéité d’une convention collective pouvait être discutée devant un juge dans les conditions de droit commun, c’est-à-dire dans un délai de 5 ans à compter du jour où le requérant avait eu connaissance du fait lui permettant d’exercer son droit. Arguant du caractère réglementaire de l’accord collectif (mais aussi pour limiter les risques contentieux), il a été proposé de réduire considérablement ce délai, en appliquant les règles applicables à la contestation d’un acte administratif. L’article L. 2262-14 du code du travail prévoit désormais que l’action en nullité de tout ou partie d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée devant le juge judiciaire dans un délai de 2 mois à compter de la notification ou la publication de l’accord. Le texte ne précise pas les personnes pouvant agir en nullité par voie d’action. S’agissant de défendre l’intérêt collectif, elle peut sans difficulté être exercée par les syndicats. Pourtant, d’autres personnes peuvent également avoir intérêt à soulever l’illicéité d’une clause d’un accord, par exemple un salarié qui contesterait sa convention de forfait prise en application d’un accord collectif ne respectant pas les conditions légales (Soc. 5 oct. 2017, n° 16-23.110). Or le salarié concerné n’était peut-être pas embauché au moment de la signature de l’accord critiqué et n’aurait donc pas pu agir. Aussi, le Conseil constitutionnel a-t-il précisé qu’au nom du droit à un recours juridictionnel effectif, les salariés doivent pouvoir contester, par voie d’exception, l’illégalité d’une clause conventionnelle à l’occasion d’un litige individuel, et ce sans condition de délai. On peut y voir une illustration de l’adage quae temporalia sunt ad agendum selon lequel l’action est temporaire, l’exception perpétuelle.
Le Conseil constitutionnel n’évoque que les salariés pourtant, d’autres acteurs peuvent également avoir intérêt à invoquer un tel moyen de défense. C’est notamment le cas du CSE, qui n’étant pas en charge de la défense de l’intérêt collectif, ne peut sans doute pas en demander la nullité par voie d’action (Soc. 14 déc. 2016, n° 15-20.812). Aussi, dans un autre arrêt du 2 mars, la Cour de cassation s’est-elle appuyée sur ce droit à un recours effectif pour admettre qu’un CSE d’établissement pouvait soulever, par voie d’exception, l’illégalité d’un accord collectif le privant du droit d’être consulté sur la politique sociale (Soc. 2 mars 2022, n° 20-16.002). Si l’action du salarié ou du CSE est compréhensible, la recevabilité d’un tel moyen de défense par un syndicat pouvait être discutée puisqu’on pourrait faire valoir qu’il dispose d’un moyen de contester l’illicéité de l’accord mais par voie d’action et dans un délai très restreint. Pourtant, dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation mobilise l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et l’article 6 de la Convention européenne pour autoriser le syndicat à soulever l’exception d’illégalité. La note figurant sur le site de la Cour de cassation explicite ce choix : lorsqu’un employeur conteste le mandat d’un représentant syndical, le juge judiciaire doit convoquer les parties intéressées, c’est-à-dire, l’employeur, le syndicat désignateur mais également le salarié désigné. Or ce dernier peut, on l’a vu, soulever l’exception d’illégalité. Ne pas ouvrir cette même faculté au syndicat conduisait à une situation paradoxale : l’accord collectif aurait été inopposable au délégué syndical en tant que salarié mais opposable au syndicat auteur de la désignation. Ces précisions obligent dès lors à s’interroger sur la portée de cette décision.
2. La portée de la solution
La Cour de cassation affirme que l’exception d’illégalité est ouverte à un syndicat non signataire lorsque la clause d’un accord collectif est « invoquée pour s'opposer à l'exercice de ses droits propres résultant des prérogatives syndicales qui lui sont reconnues par la loi ». Relevons tout d’abord que la Cour n’évoque que les syndicats non-signataires de l’accord collectif. En revanche, la formule est particulièrement générale et ne tisse aucun lien avec les droits individuels d’un salarié (ce lien ne figure que dans la note figurant sur le site de la Cour de cassation). Cette même formule générale se retrouve d’ailleurs dans l’arrêt du même jour concernant le CSE. Le syndicat peut donc invoquer l’exception d’illégalité mais dans un cas très précis : l’accord fait obstacle à des droits propres prévus par la loi. Les faits d’espèce permettent de mieux identifier les droits concernés. Dans l’arrêt commenté, il s’agissait du droit de désigner un délégué syndical. Ce droit est réservé aux syndicats représentatifs qui ont créé une section syndicale. La désignation doit avoir lieu au sein de l’entreprise ou, au choix du syndicat, au sein d’un établissement distinct. Or on sait que les critères de l’établissement distinct, énoncés par l’article L. 2143-3 du code du travail sont d’ordre public. À plusieurs reprises la Cour de cassation a précisé qu’un accord collectif ne pouvait pas priver un syndicat du droit de désigner un délégué syndical au niveau d'un établissement correspondant au critères légaux. (Soc. 31 mai 2016, n° 15-21.175, récemment Soc. 5 janv. 2022, n° 20-16.725). L’avenant négocié au sein de la société Magasins Galeries Lafayette qui obligeait un syndicat à désigner ses délégués dans le cadre du même périmètre que le CSE était par conséquent nécessairement illicite. Il portait atteinte a une prérogative reconnue par la loi à un syndicat. La même solution pourrait s’appliquer à un accord collectif limitant le bénéfice de certaines prérogatives aux seuls signataires de l’accord alors qu’elles sont ouvertes légalement à tous, par exemple en matière de communication, de locaux, de réunions syndicales (L. 2142-2 s. c. trav.).
Ainsi, faut-il retenir que les syndicats non signataires d’un accord collectif ont désormais une option lorsque cet accord porte atteinte à des droits propres : soit agir par voie d’action dans le délai de 2 mois et obtenir l’anéantissement rétroactif de l’accord (le juge peut toutefois moduler dans le temps les effets de sa décision – art. L. 2262-15 c. trav.), soit agir par voie d’exception, sans aucune condition de délai. Il faut bien comprendre que dans cette seconde hypothèse, la reconnaissance de l'illégalité par le juge n’aboutit pas à la nullité de la clause. Cette dernière est seulement inopposable à celui qui a soulevé l'exception. L’accord demeure applicable aux autres syndicats. Reste que la décision judiciaire va considérablement fragiliser l’accord. Or rien n’a été prévu pour régler juridiquement la situation. Le délai d’action de 2 mois pour demander la nullité de l’accord sera nécessairement écoulé. L’une des solutions consisterait à lancer le processus de révision de l’accord concerné. La sécurité juridique souhaitée par la réforme de 2017 s’en trouve sensiblement affectée. Reste à bien identifier les rouages de cette exception d’illégalité qui n’est pas une exception de nullité.
Références :
■ Cons. Const. 21 mars 2018, 2018-761 DC : D. 2018. 2203, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 2019. 1248, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Dr. soc. 2018. 677, tribune C. Radé ; ibid. 682, étude B. Bauduin ; ibid. 688, étude A. Fabre ; ibid. 694, étude Y. Pagnerre ; ibid. 702, étude J. Mouly ; ibid. 708, étude P.-Y. Verkindt ; ibid. 713, étude G. Loiseau ; ibid. 718, étude D. Baugard et J. Morin ; ibid. 726, étude C. Radé ; ibid. 732, étude P.-Y. Gahdoun ; ibid. 739, étude L. He ; RDT 2018. 666, étude V. Champeil-Desplats
■ Soc. 5 oct. 2017, n° 16-23.110
■ Soc. 14 déc. 2016, n° 15-20.812 : D. 2017. 12 ; ibid. 2270, obs. P. Lokiec et J. Porta
■ Soc. 2 mars 2022, n° 20-16.002 : D. 2022. 463
■ Soc. 31 mai 2016, n° 15-21.175 : D. 2016. 1260 ; RDT 2016. 575, obs. I. Odoul-Asorey
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