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[ 28 avril 2016 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

L’exécution du mandat d’arrêt européen conditionnée à l’absence de traitement inhumain ou dégradant

Mots-clefs : Traitement inhumain et dégradant, Primauté, Mandat d’arrêt européen, Charte des droits fondamentaux de l’UE, Convention européenne des droits de l’Homme, Effectivité, Preuve, Risque

Seul le report de l’exécution du mandat d’arrêt est possible pour violation des droits fondamentaux, notamment en cas de risque réel de traitements inhumains ou dégradants. Cependant la preuve d’une violation systémique ou généralisée à l’encontre d’un groupe ou d’un centre de détention doit être rapportée au travers d’éléments objectifs, fiables, précis et actualisés découlant d’organes internationaux. Il faut en outre démontrer que la personne visée par le mandat sera concernée par ce risque.

Le mandat d’arrêt européen constitue une source de contentieux non négligeable devant les juridictions nationales et donne l’occasion à la Cour de justice de préciser les marges de manœuvre dont disposent les États membres pour reporter l’exécution d’un mandat sur le fondement du respect des droits fondamentaux. De nombreuses divergences apparaissent entre les juridictions nationales quant aux garanties attendues au sein de l’État membre émetteur du mandat, imposant de réaffirmer que la norme de référence en matière de droits fondamentaux est la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

C’est une nouvelle fois l’Allemagne qui est à l’origine de la question préjudicielle, deux juges allemands ayant saisi la Cour de justice en raison de doute quant à la possibilité d’exécuter les mandats d’arrêt délivrés dans un cas par la Hongrie et dans l’autre par la Roumanie, alors même que la surpopulation dans les prisons faisait craindre un risque de traitement inhumain et dégradant. Il est vrai que les deux États avaient été sanctionnés à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation de l’article 3 de la Convention relative à l’interdiction de traitement inhumain ou dégradant. La Cour de justice devait ainsi se prononcer sur la possibilité pour les juges allemands de conditionner l’exécution d’un mandat d’arrêt européen au respect des conditions de détention telles que définit par les droits fondamentaux issus de l’article 6 du traité sur l’Union européenne. La réponse de la Cour était d’autant plus attendue que le 15 décembre 2015, la Cour constitutionnelle allemande s’était prononcée contre l’exécution d’un mandat d’arrêt européen pour violation de la dignité européenne, en se fondant sur le respect de l’identité constitutionnelle allemande. La Cour constitutionnelle avait marqué sa défiance à l’égard du respect des droits fondamentaux dans le régime juridique du mandat d’arrêt européen issu de la décision-cadre 2002/584/JAI du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres.

Sur le fond, la Cour de justice rappelle tout d’abord la logique ayant prévalu pour l’instauration du mandat d’arrêt, celle de la mise en place d’un régime simplifié et plus efficace pour la remise de personnes condamnées et soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale. Elle ajoute, ce qui est essentiel pour la suite du raisonnement de la Cour, que ce système repose sur un principe de confiance mutuelle entre les États membres, notamment quant au respect des valeurs défendues à l’article 2 du traité sur l’Union européenne. La Cour indique que ce principe est d’une importance fondamentale pour permettre la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures. La Cour insiste sur la portée singulière de ce principe, pierre angulaire, pour la réalisation de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, chaque État membre devant considérer que les autres États respectent le droit de l’Union dont les droits fondamentaux. 

La Cour en tire la conséquence qu’un État ne peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt sauf si la situation entre dans les exceptions énumérées dans la décision-cadre mais également dans l’hypothèse de circonstances exceptionnelles. Ainsi il y a des hypothèses au-delà des textes permettant de faire échec temporairement à l’exécution d’un mandat d’arrêt. Dès lors les droits fondamentaux peuvent constituer un obstacle, notamment, la Cour s’appuyant sur la dignité humaine et sur la portée de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Ensuite, la Cour précise les conditions dans lesquelles l’article 4 de la Charte peut être violé. La Cour a une approche très stricte quant aux conditions à réunir mais également quant aux effets de cette constatation. 

Dans un premier temps, il faut prouver l’existence d’un risque réel de traitement inhumain ou dégradant par des éléments objectifs, fiables, précis et actualisés. Ces éléments doivent démontrer la réalité de défaillances systémiques ou généralisées ou touchant certains groupes de personnes ou certains centres de détention. La situation de violation peut en conséquence toucher seulement certains points géographiques de l’État ou des catégories d’individu comme des minorités. La preuve doit en être rapportée par des décisions judiciaires internationales ou des rapports d’organes internationaux. Cependant une fois prouver ce risque réel, il faut identifier, dans un second temps, que ce risque s’applique à l’individu en cause. Il faut en effet qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne sera soumise à ce traitement. Dans ce cadre, des informations peuvent être demandées à l’autorité judiciaire de l’État émetteur pour appréhender correctement l’existence du risque.

Si les conditions sont réunies, l’effet est toutefois circonscrit étant donné que ceci ne remet pas en cause définitivement le mandat d’arrêt, mais reporte seulement son exécution jusqu’à ce que les conditions soient réunies. L’État doit alerter des retards Eurojust et l’État, à l’origine de la demande, peut saisir le Conseil si plusieurs refus d’exécution se sont manifestés afin de faire évaluer la situation. Pendant le délai de non-exécution, la personne n’a pas à être nécessairement privée de liberté dans l’État qui doit se prononcer sur l’exécution.

Au regard du cadre fixé, il apparait que le refus définitif n’est pas envisageable, et que les conditions d’un report pour violation des droits fondamentaux circonscrivent l’hypothèse de non-exécution, garantissant l’effectivité du système du mandat d’arrêt.

CJUE 5 avril 2016, Pal Aranyosi et Robert Caldararu, n° C-404/15 et C-659/15 PPU

Références

■ Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 26 juin 1987

Article 3

« 1. Aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

2. Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l'existence, dans l'État intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. »

■ Traité sur l’Union européenne

Article 2

« L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes. »

Article 6

« 1. L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités.

Les dispositions de la Charte n'étendent en aucune manière les compétences de l'Union telles que définies dans les traités.

Les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte sont interprétés conformément aux dispositions générales du titre VII de la Charte régissant l'interprétation et l'application de celle-ci et en prenant dûment en considération les explications visées dans la Charte, qui indiquent les sources de ces dispositions.

2. L'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités.

3. Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux. »

■ Charte sur l’interdiction des peines et des traitements inhumains et dégradants

Article 4

« Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 3

« Interdiction de la torture.  Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

 

Auteur :V. B.


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