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Droit de la famille
L’exequatur des jugements étrangers établissant la filiation d’un enfant né d’une GPA : une procédure admise sous contrôle
Pour la première fois, la Cour de cassation établit les éléments du contrôle par le juge de l’exequatur du degré de motivation d’une décision de justice étrangère établissant la filiation d’un enfant né d’une gestation pour autrui. Si ces éléments sont réunis, la filiation établie à l’étranger sera reconnue en France et y produira ses effets.
Civ. 1re, 2 oct. 2024, n° 22-20.883 et 23-50.002
En France, la gestation pour autrui (GPA) est interdite (C. civ., art. 16-7). Pour autant, nombreux sont les couples qui y recourent en se rendant dans des pays qui l’autorisent. L’acte de naissance délivré à l’étranger établit la filiation de l’enfant né d’une GPA à l’égard des parents d’intention, conformément à la loi locale. À leur retour en France, les parents d’intention, souhaitant que ce lien de filiation soit reconnu et que leur enfant bénéficie d’un acte de l’état civil français, vont demander soit la transcription de l’acte de naissance étranger sur les registres de l’état civil français, soit l’exequatur du jugement étranger établissant la filiation de l’enfant. Au cœur des deux décisions rapportées, l'exequatur est une procédure judiciaire permettant de rendre exécutoire sur le territoire français une décision de justice étrangère, sous la réserve, au demeurant essentielle, de la régularité de ce jugement. L’intérêt de recourir à l’exequatur du jugement, plutôt qu’à sa seule transcription, est double : d’une part, l’extension de la reconnaissance du lien de filiation à l’égard des deux parents d’intention, que la dernière réforme bioéthique du 2 août 2021 a limité au seul parent biologique concernant la transcription des actes d’état civil étranger ; d’autre part, la sécurisation du lien de filiation, protégé d’éventuelles contestations ultérieures dès lors que le jugement d’exequatur garantit au fond et de manière définitive sa régularité.
Pour accorder l’exequatur, le juge français doit avoir au préalable effectué plusieurs vérifications : ce dernier doit s’assurer non seulement de la compétence indirecte du juge saisi à l’étranger et de l’absence de fraude dans l’obtention du jugement, mais également de la compatibilité de la décision étrangère avec l’ordre public international français, apprécié au regard des principes fondamentaux, substantiels comme processuels, du droit interne. Privé du pouvoir de rejuger l’affaire, le juge de l’exequatur exerce un contrôle restreint mais décisif : la décision étrangère dont l’exequatur est demandé ne peut être contraire à l’ordre public international français de fond et de procédure. Au cœur du contrôle du juge de l’exequatur se trouve donc le respect des valeurs fondamentales et des principes essentiels du droit français. C’est précisément le respect de la conception française de l’ordre public international de procédure, et de l’obligation s’en inférant de la motivation du jugement étranger, qui se trouvait débattue dans la première affaire rapportée.
Au cas d’espèce, un couple d’hommes résidant en France s’était rendu au Canada pour recourir à une GPA. Une décision de justice canadienne avait déclaré les deux hommes comme étant les pères légaux des enfants. À son retour en France, le couple demanda l’exequatur de cette décision pour obtenir la reconnaissance de leur lien de filiation et la délivrance d’un acte de l’état civil français pour leur enfant.
La cour d’appel refusa l’exéquatur, estimant que le jugement canadien n’était pas suffisamment motivé pour être jugé conforme à l’ordre public international français, au nom duquel se trouve proscrite la reconnaissance d’une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents annexes de nature à servir d’équivalent à la motivation défaillante. Or les juges du fond ont souligné que le couple n'a fourni aucun élément de nature à combler les lacunes de la décision pour laquelle l’exequatur était demandé, et ainsi, à pallier la motivation défaillante du jugement canadien qui ne permettait ni d’identifier la mère porteuse, ni d’établir que celle-ci avait librement consenti à renoncer à ses droits parentaux sur l’enfant. Le couple a alors formé un pourvoi, conduisant la Cour de cassation à préciser les contours du contrôle du juge de l’exequatur des décisions établissant la filiation d’un enfant né d’une GPA réalisée à l’étranger. Plus précisément, elle devait répondre à la question du degré de motivation attendu de telles décisions, au regard de l’ordre public international de procédure. Conformément à l’analyse des juges du fond, la première chambre civile exige que la motivation de la décision étrangère, ou des documents de nature à servir d’équivalent qui lui sont fournis, permette au juge de l’exequatur de vérifier l’identité des personnes mentionnées dans le jugement qui ont participé au projet parental d’autrui et de s’assurer qu’il a été constaté que les parties à la convention de GPA, et en particulier la mère porteuse, ont consenti à cette convention, dans ses modalités comme dans ses effets, sur leurs droits parentaux. Ces vérifications sont fondées sur l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit au respect de la vie privée, aussi bien garantis dans l’ordre supranational que dans l’ordre interne français. Aussi la Cour considère-t-elle que le refus de la Cour d’appel d’accorder l’exequatur était, en l’espèce, justifié.
Il en fut tout autrement dans la seconde affaire, à l’origine de laquelle un couple d’hommes résidant en France s’était rendu en Californie pour recourir à une GPA. Une décision de justice californienne les avait déclarés parents légaux de l’enfant à naître. Le couple avait ensuite demandé l’exequatur pour obtenir la reconnaissance en France de la décision de justice californienne et plus spécialement, que la filiation établie par le droit californien y produise les effets d’une adoption plénière. Après que la cour d’appel eut accordé l’exequatur du jugement californien, elle admit que ce jugement produise en France les effets d’une adoption. Le procureur général a formé un pourvoi en cassation contre cette décision, posant à la première chambre civile de la Cour la question suivante : en ayant bénéficié de l’exequatur, une décision de justice étrangère qui déclare des parents d’intention comme les parents légaux d’un enfant né d’une GPA faite à l’étranger peut-elle produire en France les effets d’une adoption plénière ?
La Haute juridiction s’y oppose, la filiation devant être reconnue par la France dans le respect de la spécificité de la filiation construite par le droit étranger. Or au cas d’espèce, le jugement étranger n’établissait pas la filiation sur la base d’une procédure d’adoption, mais sur l’exécution d’une convention de GPA. Les juges du fond avaient donc statué en procédant à une révision du jugement étranger, ce qui leur est proscrit. Dès lors qu’il est régulier, le jugement étranger ne saurait donc produire en France les effets d’une adoption plénière. La filiation qu’il établit doit être reconnue en tant que telle en France, sans que le juge puisse lui faire produire des effets distincts de ce qu’il prévoit. La décision de la cour d’appel est donc cassée sur ce point. La cassation de sa décision ne remet toutefois pas en cause l’exequatur elle-même de la décision étrangère, qui pourra produire ses effets en France et permettre à l’enfant d’obtenir un acte de l’état civil.
Par ces deux décisions très attendues, la Cour de cassation précise donc les conditions de la reconnaissance par exequatur d’une décision étrangère établissant la filiation d’un enfant né d’une GPA. Elle encadre ainsi le contrôle du degré de motivation de la décision étrangère par le juge judiciaire dont va dépendre la reconnaissance, en France, d’un lien de filiation d’un enfant né d’une pratique procréative interdite sur notre sol. Dans cette optique, elle recense l’ensemble des éléments devant figurer dans la décision de justice étrangère, fixant ainsi un certain nombre de garanties pour admettre qu’une telle décision produise des effets en France. Exigée par la Cour, la méticulosité du contrôle de la motivation du jugement étranger par le juge de l’exequatur se comprend à la fois au regard du maintien de l’interdiction de la GPA par la loi française et des risques présentés par ce procédé procréatif (not. vulnérabilité de la mère porteuse). Elle s’explique également par le silence gardé sur cette question par le législateur qui, lors de la dernière réforme bioéthique, ne s’est préoccupé que de la transcription des actes d’état civil étranger dans le but de mettre un frein à la jurisprudence de la Cour de cassation ayant admis la reconnaissance pleine et entière du lien de filiation. Venant répondre à la question délaissée par la réforme des conditions de la reconnaissance par exequatur du lien de filiation, la portée de ces décisions est majeure. Désormais, pour qu’un lien de filiation d’un enfant né d’une GPA à l’étranger soit reconnu en France, il convient que le jugement établissant la filiation présente un certain nombre de garanties, principalement la vérification du consentement de la mère porteuse à la renonciation de ses droits parentaux sur l’enfant. Aussi n’est-il pas question de dénaturer le lien de filiation établi à l’étranger en convertissant une convention de GPA en adoption. Enfin, la volonté de ne faire produire effet qu’aux GPA dites « éthiques » justifie de coupler l’obligation d’une motivation suffisante du jugement avec celle, incombant aux parents d’intention, de rapporter la preuve des éléments éventuellement manquants, par des moyens extérieurs au jugement. Pour toutes ces raisons, ces deux décisions conservent l’esprit de rigueur de la dernière réforme bioéthique, ayant rompu avec la politique libérale poursuivie il y a quelques années par les Hauts magistrats en matière de GPA. Il n’en reste pas moins que la prohibition de la GPA continue d’être ainsi indirectement contournée : en effet, dès lors que le jugement étranger présentera les garanties requises, la filiation de l’enfant né d’une GPA sera reconnue en France.
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