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[ 9 octobre 2012 ] Imprimer

Procédure pénale

L’exigence d’indépendance de l’expert judiciaire vis-à-vis des parties

Mots-clefs : Expertise judiciaire, Indépendance, Salarié, Nullité, Article préliminaire C. pr. civ., Art. 6 Conv. EDH.

La désignation d’un expert dépendant de l’une des parties ne permet pas de garantir les conditions du procès équitable. Dès lors, la désignation même de ce technicien doit être annulée, comme doivent l’être tous les actes auxquels il a participé.

Dès lors que se pose une question d’ordre technique au cours d’un procès, une expertise peut être ordonnée. Elle se définit comme l'acte par lequel la juridiction d'instruction ou de jugement a recours à une ou plusieurs personnes possédant des connaissances spéciales dans un domaine particulier afin d'obtenir de celles-ci des éclaircissements et avis sur des questions échappant à la compétence du juge.

L’expert prête serment « d’apporter son concours à la justice, d’accomplir sa mission, de faire son rapport et de donner son avis en son honneur et sa conscience ». Ce serment emporte l’exigence d’une appréciation autonome de la situation par l’expert, qui ne devra pas être infléchie par les relations qu’il entretient avec le juge ou avec les parties. Si, en matière civile, il existe une possibilité de récusation de l’expert, le Code de procédure pénale ne prévoit pas cette possibilité. Mais l’exigence d’indépendance de l’expert vis-à-vis des parties constitue une composante du procès équitable posé par l'article préliminaire du Code de procédure pénale et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

En l’espèce, à la suite d’une plainte déposée par une société d’audiovisuel, une information judiciaire était ouverte, notamment du chef d’abus de confiance. Le mis en examen a déposé une requête en annulation de la désignation de l’expert judiciaire et des actes accomplis par lui et des perquisitions et saisies réalisées en sa présence, en exécution d’une commission rogatoire prévoyant son assistance. Faisant droit à ces demandes, la chambre de l’instruction retient que l’expert a rédigé toutes les pages de son rapport à l’en-tête de la société d’audiovisuel, partie civile ayant déposé la plainte initiale, chacune de ces pages portant même la mention imprimée « ce document est la propriété intellectuelle de la société X ». De surcroît, le procureur général a exposé à l’audience que l’expert en question est un salarié de cette même société. Les juges en déduisent une inféodation de l’expert à la partie civile et annulent en conséquence la désignation de l’expert, ainsi que tous les actes auxquels il a participé.

Selon la chambre criminelle, la décision de la chambre d’instruction n’encourt pas la censure « dès lors que la désignation d’un expert dépendant de l’une des parties ne permet pas de garantir les conditions du procès équitable, la chambre de l’instruction, (…) a souverainement apprécié l’étendue de la nullité ».

La Cour de cassation a déjà, par le passé, exigé, au visa de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH, que l’expert soit indépendant des parties (Civ. 1re, 6 juill. 2000), ce qui proscrit notamment que celui-ci puisse être salarié de l’une d’elles (Civ. 1re, 2 déc. 1997).

Le défaut d’indépendance ou d’impartialité d’un expert peut constituer une cause de nullité de la désignation de ce dernier et de son rapport d’expertise (Crim. 8 juin 2006). Au-delà, la chambre criminelle admet en l’espèce que l'irrégularité qui vicie l'expertise entraîne la nullité des actes de la procédure ultérieure auquel l’expert a participéLe rôle prépondérant de cet expert au cours de la procédure (perquisitions et saisies réalisées en sa présence, en exécution d’une commission rogatoire prévoyant son assistance) commandait une telle solution.

Crim. 25 sept. 2012, n° 12-82.770 F-P+B

Références

 Abus de confiance

[Droit pénal]

« Fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs, ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé. »

Source : S. Guinchard, T. Debard, Lexique des termes juridiques 201320e éd., Dalloz, 2013.

■ Civ. 1re, 6 juill. 2000, n°97-21.404, D. 2001. 370, note P. Veron.

■ Civ. 1re, 2 déc. 1997, n°97-17.029, Gaz. Pal. 1999, Somm. 37, note A. Cousin.

■ Crim. 8 juin 2006, 06-81.359, RSC 2006. 850, obs. R. Finielz.

■ Article préliminaire du Code de procédure pénale

« I. - La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties.

Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement.

Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles.

II. - L'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale.

III. - Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi.

Elle a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur.

Les mesures de contraintes dont cette personne peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne.

Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai raisonnable.

Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction.

En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui. »

■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience.

 

Auteur :C. L.


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