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[ 7 mai 2010 ] Imprimer

Droit pénal européen et international

L'expulsion ordonnée en dépit d'indications de la Cour viole le droit de requête individuelle

Mots-clefs : Expulsion, Traitement inhumain et dégradant (risque, assurances diplomatiques), Mesures provisoires (art. 39 du règlement de la CEDH, non-respect), Droit à un recours effectif (violation)

Par un arrêt Trabelsi contre Italie du 13 avril 2010, la Cour européenne estime que la mise à exécution de l'expulsion du requérant vers la Tunisie a violé l'article 3 de la Convention et privé ce dernier du droit à un recours effectif, tel que garanti par l'article 34.

En l'espèce, un ressortissant tunisien avait été condamné, en Italie, pour appartenance à une association de malfaiteurs liée à des groupes islamistes intégristes ; dans le temps séparant le prononcé et la confirmation de cette condamnation, il avait été condamné par contumace par le tribunal militaire de Tunis pour avoir adhéré, en temps de paix, à une association terroriste. Le 18 novembre 2008, il avait sollicité la présidente de la deuxième section de la Cour européenne pour qu'elle indique au gouvernement italien, en application de l'article 39 du règlement de la Cour qu'il était souhaitable, dans l'intérêt des parties et le bon déroulement de la procédure, de ne pas l'expulser jusqu'à nouvel ordre. Le 28 novembre, sa demande d'asile politique fut rejetée. Le 3 décembre, le ministère de l'Intérieur prit un arrêté d'expulsion, auquel le tribunal d'application des peines donna son accord dès le lendemain. Le requérant fut expulsé le 13 décembre et le gouvernement italien informa la Cour, le 27 décembre, que ce dernier avait fini de purger sa peine le 21 novembre précédent. Devant la Cour, le requérant développait trois griefs : la violation de l'article 3, celle de l'article 8 et la méconnaissance de l'article 34.

Sur l'article 3, la Cour estime, par référence à sa jurisprudence Saadi (CEDH, Gde ch., 28 févr. 2008, Saadi c. Italie), que « des faits sérieux et avérés justifient de conclure à un risque réel de voir le requérant de subir des traitements contraires à l'article 3 de la Convention en Tunisie » (§ 43) ; vérifiant si les assurances diplomatiques fournies par les autorités tunisiennes permettent d'écarter ce risque, elle note l'absence de preuve de la compétence de la personne ayant donné ces assurances au nom de l'État tunisien et la réticence des autorités à coopérer avec les organisations de défense des droits de l'homme, et rappelle le principe selon lequel les assurances diplomatiques ne peuvent suffire lorsque l'absence de mauvais traitement n'est pas fermement établie (§ 48). Sur la situation du requérant en Tunisie, elle relève que les affirmations fournies par le ministère des Affaires étrangères tunisien ne sont pas corroborées et ne démontrent pas que le requérant n'a subi aucun traitement contraire à l'article 3. Elle conclut que « la mise à exécution de l'expulsion du requérant vers la Tunisie a violé l'article 3 » (§ 52). Ce faisant, elle estime non nécessaire de trancher séparément la question d'une éventuelle méconnaissance de l'article 8.

Sur l'article 34, la Cour rappelle que l'article 39 du règlement habilite les chambres ou leur président à indiquer des mesures provisoires, en principe en présence d'un risque imminent de dommage irréparable à un droit garanti par la Convention. Elle précise le but poursuivi par de telles mesures — maintien d'un statu quo destiné à prolonger l'existence de l'objet de la requête — et rappelle que leur inobservation emporte violation de l'article 34 (v. déjà, CEDH, Gde ch., 4 févr. 2005, Mamatkulov et Askarov c. Turquie, § 128). En l'espèce, elle estime qu'en raison de son expulsion vers la Tunisie (État non-partie à la Convention), le requérant n'a pu développer tous les arguments pertinents pour sa défense et que son arrêt risque d'être privé de tout effet utile. Insistant sur l'obstacle constitué par l'expulsion au respect par l'Italie des obligations découlant des articles 1er et 46 de la Convention (sauvegarder les droits de l'intéressé et effacer les conséquences des violations constatées), elle conclut que « cette situation a constitué une entrave à l'exercice effectif par le requérant de son droit de recours individuel garanti par l'article 34 […], droit que son expulsion a réduit à néant » (§ 70 ; v. déjà, CEDH, 24 févr. 2009, Ben Khemais c. Italie, § 87).

CEDH 13 avr. 2010, Trabelsi c. Italie, n° 50163/08

Références

■ Prononcé

« Lecture, en principe à l’audience publique du tribunal, du dispositif du jugement. Le prononcé du jugement peut, aussi, résulter de sa mise à disposition au greffe de la juridiction. »

■ Confirmation

« Maintien par la juridiction statuant sur un appel ou sur opposition du jugement rendu en premier ressort contradictoirement ou par défaut. »

Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 1 — Obligation de respecter les droits de l’homme

« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention : »

 Article 3 — Interdiction de la torture

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 8 — Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Article 34 — Requêtes individuelles

« La Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à n'entraver par aucune mesure l'exercice efficace de ce droit. »

Article 46 — Force obligatoire et exécution des arrêts

« 1. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L'arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution. »

Article 39 du Règlement de la Cour européenne des droits de l’homme

« 1. La chambre ou, le cas échéant, son président peuvent, soit à la demande d’une partie ou de toute autre personne intéressée, soit d’office, indiquer aux parties toute mesure provisoire qu’ils estiment devoir être adoptée dans l’intérêt des parties ou du bon déroulement de la procédure.

2. Le Comité des Ministres en est informé.

3. La chambre peut inviter les parties à lui fournir des informations sur toute question relative à la mise en œuvre des mesures provisoires indiquées par elle. »

■ CEDH, Gde ch., 28 févr. 2008Saadi c. Italie, n° 37201/06.

■ CEDH, Gde ch., 4 févr. 2005Mamatkulov et Askarov c. Turquie, nos 46827/99 et 46951/99, Rec. CEDH 2005-I.

■ CEDH, 24 févr. 2009Ben Khemais c. Italie, n° 246/07.

 

 

Auteur :S. L.

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