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[ 6 mai 2024 ] Imprimer

Droit des sûretés et de la publicité foncière

Précisions sur la charge de la preuve de la disproportion du cautionnement

En l’absence de remise de la fiche de renseignements par le créancier, la caution qui n’a pas renseigné ce dernier sur sa situation patrimoniale garde la possibilité d’invoquer la disproportion de son engagement.

Com. 4 avr. 2024, n° 22-21.880 P

La récurrence du contentieux de la fiche de renseignements se confirme : quelques semaines seulement après avoir précisé la date requise pour se pré-constituer ainsi la preuve de la proportionnalité du cautionnement (Com. 14 mars 2024, n° 22-19.900), la chambre commerciale de la Cour de cassation vient rappeler l’intérêt probatoire du créancier à faire remplir par la caution une fiche de renseignements sur sa situation patrimoniale.

Au cas d’espèce, un prêt de 150 000 euros est consenti à une société pour financer l’acquisition d’un fonds de commerce, ce prêt étant garanti par un cautionnement. La débitrice s’avère défaillante. Le créancier actionne donc la caution en paiement. Celle-ci lui oppose la disproportion de son engagement. La cour d’appel rejette la demande de la caution au titre de la disproportion et la condamne à payer le créancier aux motifs, d’une part, que ce dernier ignorait la teneur exacte de sa situation patrimoniale par le fait, imputable à celle-ci, d’avoir délibérément omis de lui déclarer les sept cautionnements antérieurs à celui souscrit et, d’autre part, que la caution ne démontre pas disposer à présent des moyens de faire face à son engagement. Devant la Cour de cassation, la caution conteste cette décision rendue au mépris du fait qu’au jour de la conclusion du cautionnement, aucune fiche patrimoniale ne lui avait été remise par le créancier pour s’assurer qu’elle serait en mesure de faire face à son engagement ; la caution reproche également à la cour d’appel d’avoir inversé la charge de la preuve, en faisant peser sur elle celle de prouver son éventuel retour à meilleure fortune.

La chambre commerciale adhère à la thèse du pourvoi. Au visa des anciens articles L. 332-1 et L. 343-4 du Code de la consommation, et de l’actuel article 1353 du Code civil, elle casse la décision des juges du fond. Elle considère en premier lieu que n’ayant pas été invitée par le créancier à établir une fiche de renseignements, la caution n’était pas tenue de déclarer spontanément l’existence de ses engagements antérieurs, de sorte qu’en l’absence de telles déclarations, l’ensemble de ses biens et revenus, dont elle établissait l’existence, devait être pris en compte pour apprécier l’existence d’une éventuelle disproportion manifeste de l’engagement litigieux. En second lieu, elle affirme qu’en retenant que la caution ne rapportait pas la preuve de son retour à meilleure fortune, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve telle que celle-ci est prévue non seulement par le droit spécial du cautionnement mais également par le droit commun de la preuve.

Aucun texte, ni du Code de la consommation, ni du Code civil, ne vient régir la question épineuse de la fiche de renseignements. Son recours dans la pratique bancaire est toutefois très important : destiné à renseigner le créancier sur le patrimoine de la caution, ce document aménage la preuve de la proportionnalité du contrat. Rappelons toutefois que c’est à la caution de démontrer la disproportion de son engagement à ses biens et revenus par le jeu de l’ancien article L. 341-4 du Code de la consommation (v. réc. Com. 14 mars 2024, préc.). Or, la jurisprudence interdit à la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d’anomalies apparentes sur les informations déclarées, de soutenir ensuite que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’elle a déclarée au créancier (Civ. 1re, 24 mars 2021, n° 19-21.254 ; Com. 4 juill. 2018, n° 17-11.837). On trouve ici une application, en droit des contrats spéciaux, de la bonne foi dans l’exécution du contrat (celle-ci étant aujourd’hui consacrée de manière générale par l’article 1104 du Code civil : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ». Comp. anc. art. 1134, al. 3, qui disposait que les conventions « doivent être exécutées de bonne foi ».). En effet, s’il est logique de prendre en compte les autres engagements de caution dans l’appréciation de la proportionnalité (Civ. 1re, 15 janv. 2015, n° 13-23.489 ; Com. 22 mai 2013, n° 11-24.812), encore faut-il que le créancier ait été à même de connaître l’existence de ces engagements auxquels il doit pouvoir se fier, compte tenu des déclarations de la caution dont il n’a pas à vérifier l’exactitude ni la sincérité. Le banquier a donc tout intérêt à demander à la caution de remplir une fiche de renseignements (v. en ce sens, D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, 13e éd., LGDJ, 2019, n° 175 : « Le créancier a donc tout intérêt à se faire communiquer par la caution une fiche patrimoniale lui révélant l’état de ses ressources, de son endettement et de son patrimoine »). En effet, cette fiche lui permettra de contrer l’argumentation éventuellement déployée par la caution concernant la disproportion de son engagement. De cette manière, le créancier pourra sans peine se prévaloir, en défense, des déclarations de la caution pour réfuter la disproportion de son engagement. Mais encore faut-il que le créancier se soit effectivement préconstitué cette preuve.

Or en l’espèce, il n’avait pas fait signer de fiche de renseignement à la caution. Comment le créancier pouvait-il alors arguer qu’au jour du cautionnement l’engagement de la caution n’était pas disproportionné sans l’aide de ce document qu’il ne lui avait tout simplement pas remis ? C’est ce manquement qui justifie en l’espèce l’indifférence de la Cour à l’absence de déclaration par la caution de ses engagements antérieurs. Le refus de la chambre commerciale d’opposer à la caution le fait de ne pas avoir déclaré les sept cautionnements antérieurs à celui litigieux est explicitement justifié par le fait que celle-ci n’ait pas été invitée par le créancier à établir une fiche de renseignements. Par conséquent, contrairement à ce qu’avait retenu la cour d’appel, son omission déclarative ne peut lui être opposée pour lui interdire d’invoquer la disproportion de son engagement. Implicitement, l’analyse de la Cour se justifie par la répartition de la charge probatoire entre les deux parties. En effet, le créancier a le devoir de s’enquérir de la situation patrimoniale de la caution avant la souscription du cautionnement (Com. 14 mars 2024, préc.). Cette obligation de surveiller la situation patrimoniale de la caution doit donc être mise en œuvre en amont de la conclusion de la garantie personnelle. L’articulation de cette obligation avec la charge incombant à la caution de rapporter la preuve de la disproportion de son engagement traduit une sorte de symétrie imparfaite entre la caution ayant la charge de prouver en aval le déséquilibre du contrat et le créancier qui est supposé l’éviter en amont par le contrôle de la situation patrimoniale de son futur garant. L’ensemble explique qu’en l’absence de fiche de renseignements fournie par le créancier, la caution garde la possibilité, qu’elle perd seulement en cas de fiche remise et dûment remplie, d’invoquer la disproportion de son engagement au regard, notamment, des cautionnements antérieurs non déclarés.

Rendue sur le fondement du droit ancien, la solution est parfaitement transposable aux cautionnements conclus après le 1er janvier 2022, pour lesquels les fiches de renseignements restent encore la norme au sein des établissements bancaires. Sur le fondement de l’article 2300 du Code civil désormais applicable, la caution conserve la charge de démontrer la disproportion de son engagement, ce qui suppose de comparer le montant de la dette cautionnée à son patrimoine et à ses revenus. Il est donc possible d’appliquer les principes jurisprudentiels dégagés sur le fondement du droit antérieur à la réforme pour prendre en compte, à ce titre, les cautionnements déjà souscrits qui, figurant sur la fiche de renseignements, seraient connus du créancier mais aussi ceux non déclarés et ignorés du créancier lorsque son ignorance est illégitime, soit lorsqu’il s’est dispensé de fournir une fiche.

En outre, en n’ayant pas préalablement soumis à la caution de fiche de renseignements, le créancier se trouvait à la fois privé d’un document justificatif de la proportionnalité de l’engagement au jour la conclusion du contrat, mais il manquait également d’un support nécessaire à établir le retour à meilleure fortune de son garant. En effet, au moment où la caution est appelée au sens de l’ancien article L. 341-4 du Code de la consommation, le créancier ne pouvait, sous l’empire du droit antérieur, se prévaloir d’un cautionnement disproportionné qu’à la condition d’un retour à meilleure fortune de la caution. Contrairement à ce qu’avait retenu la cour d’appel, la charge de cette preuve pèse sur le créancier. Si cette attribution était expressément prévue par le texte du droit de la consommation, conformément au droit commun de la preuve, notons toutefois que ce retour à meilleure fortune a été purement et simplement supprimé par la réforme issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 (L. Bougerol et G. Mégret, Le guide du cautionnement et autres sûretés personnelles, Dalloz, coll. « Guides Dalloz », 2022, p. 221, n° 22.232).

Dont acte : si la caution ne peut invoquer la disproportion de son engagement par rapport à la situation financière qu’elle a déclarée à la demande de son créancier, elle recouvre cette possibilité en l’absence de fiche remise par ce dernier. Les banquiers doivent donc veiller à remettre cette fiche de renseignements à leurs garants, et à en vérifier la régularité (v. par ex. Com. 30 août 2023, n° 21-20.222), pour se ménager une preuve valable de la proportionnalité du cautionnement dont ils sont bénéficiaires.

Références :

■ Com. 14 mars 2024, n° 22-19.900 P : D. 2024. 540.

■ Civ. 1re, 24 mars 2021, n° 19-21.254 B : D. 2021. 693 ; ibid. 1879, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; RDI 2021. 415, obs. J. Bruttin.

■ Com. 4 juill. 2018, n° 17-11.837

■ Civ. 1re, 15 janv. 2015, n° 13-23.489 P : D. 2015. 204, obs. V. Avena-Robardet ; RTD civ. 2015. 183, obs. P. Crocq.

■ Com. 22 mai 2013, n° 11-24.812 P D. 2013. 1340, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2551, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou, F. Arbellot et J. Lecaroz ; RTD civ. 2013. 607, obs. H. Barbier.

■ Com. 30 août 2023, n° 21-20.222 P : D. 2024. 96, note J. de Dinechin ; ibid. 2023. 1765, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; ibid. 2024. 570, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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