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[ 22 octobre 2021 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

L’hospitalisation d’office : l’obligation exigeante de motivation des arrêtés municipaux et préfectoraux

La 1re chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu en formation restreinte le 30 septembre 2021, publié au bulletin, est venue rappeler l’exigence de motivation des arrêtés municipaux et préfectoraux justifiant la mesure d’hospitalisation d’office.

Civ. 1re, 30 sept. 2021, no 20-14.611

À la croisée du monde médical et du droit, l’hospitalisation pour troubles mentaux est une mesure multiséculaire complexe et éprouvante pour les malades qui en sont atteints et leurs proches. 

La loi du 30 juin 1838, dite « Loi des aliénés », est certes notable pour son incroyable longévité, pour sa défense de la liberté individuelle et pour ses grands apports dans le traitement des malades (institution d’un établissement psychiatrique par département, distinction entre placement volontaire et placement ordonné par l’autorité publique). Néanmoins, en son article 29 relatif à l’hospitalisation d’office, c’est-à-dire l’hospitalisation non consentie par la personne malade, elle prévoyait l’absence de motivation de la décision ordonnant la mesure d’internement. Sur ce point cardinal relatif à la motivation, le droit a depuis évolué. 

En effet, la promulgation de la loi no 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation prévoyait ainsi que les arrêtés préfectoraux soient « motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l’hospitalisation nécessaire » (CSP, art. L. 342 abrogé par l’Ord. 2000-548 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de la santé publique). Ce soubresaut législatif tant espéré est apparu bien tardivement alors que l’absence ou l’insuffisance de motivation d’un tel acte représente la menace patente d’une détention arbitraire ou, à tout le moins, le risque d’atteintes à la liberté d’aller et venir – composante de la liberté individuelle -, au droit au respect de sa vie privée et au droit à la dignité. 

De nos jours, les modalités d’admission involontaire en soins psychiatriques sont consacrées de l’article L. 3212-1– modifié par l’ordonnance no 2020-232 du 11 mars 2020 - à l’article L. 3212-12 du Code de la santé publique. Cette mesure peut être strictement initiée à la demande d’un tiers (CSP, art. L. 3212-1 s.) ou ordonnée d’office par décision du représentant de l’État (CSP, art. L. 3213-1 s.).

En cas d’hospitalisation d’office, deux procédures peuvent s’appliquer selon l’état de santé et le degré de dangerosité de la personne visée par la mesure. 

Il y a tout d’abord la procédure d’urgence qui, « en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical, le maire et, à Paris, les commissaires de police arrêtent, à l’égard des personnes dont le comportement révèlent des troubles manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d’en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l’État dans le département qui statue sans délai et prononce, s’il y a lieu, un arrêté d’admission en soins psychiatriques » (CSP, art. L. 3213-2). Il y a ensuite l’hospitalisation d’office classique, décidée par « le représentant de l’État dans le département » qui «prononce par arrêté, au vu d’un certificat médical circonstancié ne pouvant émaner d’un psychiatre exerçant dans l’établissement d’accueil, l’admission en soins psychiatriques des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l’admission en soins nécessaire » (CSP, art. L. 3213-1).

Dans l’arrêt rendu par la 1re chambre civile de la Cour de cassation le 30 septembre 2021, se posait tant la question de la motivation de l’arrêté municipal – ce qui est suffisamment rare dans un arrêt rendu par la Cour pour le faire observer - que celle des arrêtés préfectoraux.

En l’espèce, le maire d’une commune avait, au motif d’un danger imminent pour la sûreté des personnes, ordonné l’hospitalisation provisoire d’un malade au sein d’un établissement public de santé sur le fondement de l’article L. 3213-2 du Code de la santé publique. Le lendemain, le préfet du département avait pris une décision d’admission en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d’une hospitalisation complète sur le fondement de l’article L. 3213-1 du même code. Mais, contestant la régularité des décisions administratives, la famille du malade avait fait assigner en responsabilité la commune, l’État et l’établissement public de santé devant le juge judiciaire, sur le fondement de l’article L. 3216-1 du même code.

Par la suite, la cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 2 chambre 1, 20 nov. 2019, RG n17/23086) a rejeté la demande d’annulation des arrêtés préfectoraux ordonnant le placement, qu’elle a considérés comme suffisamment motivés, ainsi que les demandes de dommages et intérêts afférents. En revanche, la cour d’appel a annulé l’arrêté municipal, estimant que cet acte ne comportait pas d’éléments suffisamment précis sur la dangerosité du malade, et condamné la commune à verser à ses proches diverses sommes en réparation de leurs préjudices.

Alors que la famille du malade s’est d’abord pourvue en cassation, la commune a formé un pourvoi incident. Toutefois, les arguments émanant de l’une comme de l’autre partie n’ont visiblement pas convaincu les Hauts magistrats de la Cour de cassation dans cet arrêt de rejet commenté.

Concernant la motivation des arrêtés préfectoraux, la Cour de cassation, sur le fondement des dispositions de l’article L. 3213-1, alinéa 1er, du Code de la santé publique évoqué précédemment, retient tout d’abord que « si la décision peut satisfaire à l’exigence de motivation en se référant au certificat médical circonstancié, à la condition de s’en approprier le contenu et de joindre ce certificat à la décision, elle doit également mettre en évidence que les troubles mentaux dont est atteint l’individu compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l’ordre public ». 

Appliqué au cas d’espèce, la Cour de cassation fait état des constatations des juges du fond qui ont relevé « d’une part, que l’arrêté préfectoral du 28 mai 2014 vise deux certificats médicaux dont il déclare s’approprier leur contenu tout en précisant que le premier est joint et que le second conclut à la dangerosité » du malade, « celui-ci souffrant d’un délire paranoïaque et de persécuteurs clairement désignés, d’autre part, que, selon les termes même des certificats médicaux et de l’arrêté que les troubles mentaux dont souffre l’intéressé nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ». Dès lors, la Cour de cassation, acquiesce le raisonnement de la cour d’appel et en déduit que « la décision prise par le représentant de l’État était suffisamment motivée ».

Cette solution semble tout à fait cohérente à la lecture de l’alinéa 1er de l’article L. 3213-1 qui, rappelons-le, prévoit la réunion de deux conditions prérequises à la prise de décision d’hospitalisation d’office, à savoir, l’état d’une personne atteinte de troubles mentaux et la compromission, par cet état de santé, de la sûreté des personnes ou le risque d’atteinte grave à l’ordre public. De ce même alinéa, il ressort l’obligation faite au préfet de motiver ses arrêtés et d’énoncer avec précision les circonstances qui ont rendu l’admission en soins nécessaire, une exigence qui semble également satisfaite.

Concernant la motivation de l’arrêté municipal, la Cour de cassation se fonde certes sur le Code de la santé publique, en son article L. 3213-2, mais aussi sur les dispositions L. 211-2, 1°, L. 211-5 et L. 211-6 du Code des relations entre le public et l’administration pour retenir qu’il « résulte de ces dispositions que le maire (…) lorsqu’il prononce une mesure d’hospitalisation d’office à titre provisoire, doit indiquer dans sa décision les éléments de droit et de fait qui justifient cette mesure, sauf urgence absolue l’en ayant empêché, et que, s’il peut satisfaire à cette exigence de motivation en se référant à un avis médical, c’est à la condition de s’en approprier le contenu et de joindre cet avis à la décision ». 

Une nouvelle fois, la Cour de cassation s’en remet aux constatations des juges du fond, qui ont relevé « d’une part, que l’arrêté municipal du 27 mai 2014 ne mentionnait pas le moindre élément, laissant à penser que » le malade « était dangereux, d’autre part, s’il visait le certificat d’un expert psychiatre, il ne précisait pas s’en approprier le contenu et n’indiquait pas que l’avis de ce praticien était joint à la décision ». C’est donc avec une logique implacable que la Cour de cassation en conclut que « la cour d’appel a pu en déduire qu’il était insuffisamment motivé, et partant, irrégulier ». 

Indéniablement, cet arrêt, en pointant le degré d’exigence dans la motivation des décisions ordonnant de manière provisoire ou plus pérenne une hospitalisation d’office, met en exergue l’indispensable équilibre garanti par le juge judiciaire, entre la protection de la santé et de la liberté individuelle des malades mentaux et la nécessité de protection de l’ordre public et de la société. Le seul fait d’être atteint d’une maladie mentale n’est évidemment pas suffisant pour que soit ordonnée une hospitalisation d’office, encore doit-elle être motivée pour être régulière.

Force également est de constater que cet arrêt participe de la jurisprudence judiciaire relative à la procédure d’hospitalisation d’office. Ces dernières années, la 1re chambre civile s’est prononcée, à titre d’exemples, sur la modification des modalités de prise en charge sur proposition du psychiatre (Civ. 1re, 15 oct. 2014, no 13-12.220), sur la computation des délais pour l’établissement des certificats médicaux (Civ. 1re, 21 nov. 2018, no 17-21.184), sur la nature du moyen tiré de l’absence de transmission de l’avis médical (Civ. 1re, 4 mars 2020, no 19-14.269), et plus récemment, sur le respect du contradictoire en cas de prolongation de l’hospitalisation (Civ. 1re, 26 mai 2021, no 20-12.512) ou sur la mainlevée de la mesure pour défaut de production de certificat médical (Civ. 1re, 15 sept. 2021, no 20-15.610).

Ce contentieux a par ailleurs été abondamment développé par le Conseil constitutionnel. Par la multiplication des questions prioritaires de constitutionnalité dont il est saisi dans ce domaine et la jurisprudence foisonnante qui en découle, le Conseil constitutionnel a permis l’évolution de la législation et la quasi émergence d’un statut constitutionnel de la personne atteinte de troubles mentaux (Cons. const. 25 févr. 1992, Loi portant modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, n° n° 92-307 DC ; Cons. const. 21 févr. 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, n° 2008-562 DC ; Cons. const. 26 nov. 2010, Mlle Danielle S., n° 2010-71 QPC ; Cons. const. 9 juin 2011, M. Abdellatif B. et autre, n° 2011-135/140 QPC ; Cons. const. 6 oct. 2011, Mme Oriette P., n° 2011-174 QPC ; Cons. const. 21 oct. 2011, M. Jean-Louis C., n° 2011-185 QPC ; Cons. const. 2 déc. 2011, Mme Lucienne Q., n° 2011-202 QPC ; Cons. const. 20 avr. 2012, Association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie, n° 2012-235 QPC ; Cons. const. 14 févr. 2014, Consorts L., n° 2013-367 QPC ; Cons. const. 9 juin 2020, M. Éric G., n° 2020-844 QPC Cons. const. 4 juin 2021, M. Pablo A. et autresn° 2021-912/913/914 QPC).

Références

■ CA Paris, 20 nov. 2019, n17/23086

■ Civ. 1re, 15 oct. 2014, no 13-12.220 P : D. 2014. 2117

■ Civ. 1re, 21 nov. 2018, no 17-21.184 P : D. 2018. 2310

■ Civ. 1re, 4 mars 2020, no 19-14.269 P : D. 2020. 605

■ Civ. 1re, 26 mai 2021, no 20-12.512 P : D. 2021. 1033

■ Civ. 1re, 15 sept. 2021, no 20-15.610 P : D. 2021. 1675

■ Cons. const. 25 févr. 1992, Loi portant modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, n° n° 92-307 DC AJDA 1993. 105, chron. J.-F. Flauss ; RFDA 1992. 185, note B. Genevois

■ Cons. const. 21 févr. 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, n° 2008-562 DC AJDA 2008. 714, note P. Jan ; D. 2008. 1359, chron. Y. Mayaud ; ibid. 2025, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2009. 123, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; Constitutions 2010. 235, obs. M. Disant ; RSC 2008. 731, note C. Lazerges ; ibid. 2009. 166, obs. B. de Lamy

■ Cons. const. 26 nov. 2010, Mlle Danielle S., n° 2010-71 QPC AJDA 2011. 174, note X. Bioy ; ibid. 2010. 2284 ; D. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2565, obs. A. Laude ; RFDA 2011. 951, étude A. Pena ; RDSS 2011. 304, note O. Renaudie ; Constitutions 2011. 108, obs. X. Bioy ; RTD civ. 2011. 101, obs. J. Hauser

■ Cons. const. 9 juin 2011, M. Abdellatif B. et autre, n° 2011-135/140 QPC AJDA 2011. 1177 ; D. 2011. 2565, obs. A. Laude ; RFDA 2011. 951, étude A. Pena ; Constitutions 2011. 400, obs. X. Bioy ; RTD civ. 2011. 514, obs. J. Hauser

■ Cons. const. 6 oct. 2011, Mme Oriette P., n° 2011-174 QPC : AJDA 2011. 1927 ; Constitutions 2012. 140, obs. D. Fallon ; RTD civ. 2012. 92, obs. J. Hauser

■ Cons. const. 21 oct. 2011, M. Jean-Louis C., n° 2011-185 QPC AJDA 2011. 2042 ; Constitutions 2012. 140, obs. D. Fallon ; RTD civ. 2012. 92, obs. J. Hauser

■ Cons. const. 2 déc. 2011, Mme Lucienne Q., n° 2011-202 QPC Constitutions 2012. 140, obs. D. Fallon

■ Cons. const. 20 avr. 2012, Association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie, n° 2012-235 QPC AJDA 2012. 855

■ Cons. const. 14 févr. 2014, Consorts L., n° 2013-367 QPC AJDA 2014. 375 ; D. 2014. 427 ; Constitutions 2014. 95, chron. D. Fallon

■ Cons. const. 9 juin 2020, M. Éric G., n° 2020-844 QPC : AJDA 2020. 1265 ; D. 2020. 1559, et les obs., note K. Sferlazzo-Boubli ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; RTD civ. 2020. 853, obs. A.-M. Leroyer

■ Cons. const. 4 juin 2021, M. Pablo A. et autres, n° 2021-912/913/914 QPC AJDA 2021. 1176 ; D. 2021. 1324, et les obs., note K. Sferlazzo-Boubli

 

Auteur :Anne Renaux

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