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[ 20 novembre 2020 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Liberté d'association, liberté d'expression et dissolution d'associations d'extrême-droite

Ne constitue pas une violation de l’article 11, lu à la lumière de l’article 10, de la Convention européenne des droits de l’Homme, la dissolution d’associations d’extrême-droite pour prévenir les troubles à l’ordre public et y mettre fin, notamment lorsque ces dernières ont abusé de leur liberté d’association en poursuivant des buts prohibés par l’article 17 de la Convention. 

CEDH 8 oct. 2020, A c/ France, n° 77400/14

En juin 2013, des rixes ont eu lieu entre plusieurs associations d’extrême-droite et d’extrême gauche, entrainant la mort d’un étudiant, membre de la mouvance antifasciste. Il a notamment été établi que les sympathisants d’extrême-droite mis en examen pour violences volontaires en réunion ayant entrainé la mort sans intention de la donner, ont été en contact avec le dirigeant de l’association Troisième voie. 

Suite à ces évènements, le Gouvernement a procédé à la dissolution administrative, au visa de l'article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure, de l’association Troisième voie, de son service d’ordre et des associations L’œuvre française et Jeunesses nationalistes, associations d’extrême-droite. Les présidents de ces associations ont chacun présenté des requêtes en suspension et en annulation des décrets de dissolution qui ont été rejetées par le Conseil d’État. 

Face au rejet de ces requêtes, les présidents de ces trois associations ont alors introduit des requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme.

La Cour européenne des droits de l'homme considère que ne constitue pas une violation de l’article 11, lu à la lumière de l’article 10, de la Convention européenne des droits de l’Homme, la dissolution d’associations d’extrême-droite pour prévenir les troubles à l’ordre public et y mettre fin, notamment lorsque ces dernières ont abusé de leur liberté d’association en poursuivant des buts prohibés par l’article 17 de la Convention. 

Une liberté d'association limitée. La Cour rappelle que la protection des opinions et de la liberté de les exprimer telle que visée à l'article 10 de la Convention, est l'un des objectifs de la liberté de réunion et plus particulièrement de la liberté d'association consacrée quant à elle à l'article 11 de la Convention. Ainsi dans son arrêt du 8 octobre 2020, la Cour vient faire une lecture du principe de la liberté d'association à la lumière de la liberté d'expression.

En effet, en présence de requêtes se fondant sur les articles 10 et 11 de la Convention, la Cour peut estimer qu'il est « plus approprié » d'examiner la demande sur le fondement de l'article 11, tout en le faisant « à la lumière de l'article 10 ». Une telle analyse se retrouve notamment lors du contrôle de la justification des restrictions de l'article 11, qui est calqué sur celui mis en œuvre dans le cadre de l'article 10, comme cela est le cas dans cette affaire. 

L'exercice de la liberté de réunion et d'association permet l'échange des idées, le partage des points de vue et l'organisation de leur défense. La Cour européenne rappelle que « le droit à la liberté de réunion est un droit fondamental dans une société démocratique et, à l'instar du droit à la liberté d'expression, l'un des fondements de pareille société » (CEDH 20 févr. 2003, Djavit An c/ Turquie, no 20652/92). 

Toutefois, cette liberté, bien qu'elle soit l'un des fondements d'une société démocratique, n'est pas sans restrictions. En effet, des restrictions peuvent être prévues par la loi, si elles constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. 

Dans cet arrêt la Cour a donc été amenée à s'interroger sur l'ingérence à la liberté d'association réalisée par le Gouvernement français en prononçant la dissolution administrative, au visa l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, de ces trois associations. 

Ainsi, elle considère que la dissolution de ces associations « peut être regardée comme visant à la protection de la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la protection des droits d'autrui, tous buts légitimes aux fins de l'article 11 de la Convention [européenne des droits de l'homme] ». Elle admet qu'il existait des motifs pertinents et suffisants pour démontrer qu'il existait un « besoin social impérieux » d'imposer la dissolution de ces associations et ainsi mettre fin aux divers troubles à l'ordre public résultant de ces dernières, notamment au regard des incitations à la haine et aux attaques physiques tenues par ces associations.

La dissolution administrative d'association ne constitue pas une violation de la liberté d'association à la lumière de la liberté d'expression. 

L'introduction de l'abus le liberté d'association. La Cour est venue, de façon inédite, rattacher l'article 17 de la Convention au principe de la liberté d'association.

Cet article a pour but de mettre des groupements – ou des individus – dans l’impossibilité de tirer de la Convention un droit qui leur permette de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans cette dernière. Ainsi personne ne doit pouvoir se prévaloir des dispositions de la Convention pour se livrer à des actes visant à la destruction des droits et libertés qu’elle protège (CEDH 20 oct. 2015, M’Bala M’Bala c/ France, no 25239/13, § 32).

Pour la Cour, ces associations contenaient et poursuivaient des objectifs à visée haineuse et discriminatoire. Elle en a donc déduit que ces dernières cherchaient à utiliser leur droit à la liberté d'association dans le but de détruire les idéaux et valeurs d'une société démocratique. En faisant la promotion d'idées discriminatoires envers les musulmans immigrés, de l'antisémitisme ou encore de haine envers les personnes homosexuelles, les activités de ces associations étaient, pour la Cour, incompatibles avec les fondements de la démocratie. 

Ainsi, de manière inédite, la Cour considère que les associations en cause et leurs dirigeants « poursuivaient des buts prohibés par l'article 17 de la [Convention] et […] avaient abusé de leur liberté d'association, en tant qu'organisation radicale menaçant le processus politique démocratique, en contradiction avec les valeurs de tolérance, de paix sociale et de non-discrimination qui sous-tendent la Convention » (§ 138).

Il s’ensuit que des associations ne peuvent utiliser leur liberté d'association en poursuivant des buts prohibés par l'article 17 de la Convention, et notamment lorsqu'il s'agit de buts en contradiction avec les valeurs de tolérance, de paix sociale et de non-discrimination. L'application de l'article 17 de la Convention à la liberté d'association est un syllogisme inédit opéré par la Cour européenne des droits de l'homme qui sera – sans en douter – repris dans de futurs arrêts. 

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Art. 10. « Liberté d’expression. 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.

« Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

« 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

Art. 11. « Liberté de réunion et d'association. 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

« 2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. » 

Art. 17  « Interdiction de l'abus de droit. Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention. »

■ CEDH 20 févr. 2003, Djavit An c/ Turquie, no 20652/92 AJDA 2003. 603, chron. J.-F. Flauss

■ CEDH 20 oct. 2015, M’Bala M’Bala c/ France, no 25239/13 AJDA 2015. 2118 ; ibid. 2512, note X. Bioy ; RSC 2015. 877, obs. J. Francillon

 

Auteur :Clémence Bonnet


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