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[ 23 avril 2024 ] Imprimer

Droit des obligations

Liberté de la preuve d’un acte sous seing privé non daté entre les parties

En application de l'article 1328 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, si un acte sous seing privé n'a de date contre les tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort de celui ou de l'un de ceux qui l'ont souscrit, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte dressé par un officier public, en revanche, entre les parties à un acte non daté dont l'existence n'est pas contestée, la preuve de sa date peut être faite par tout moyen.

Com. 20 mars 2024, n° 23-11.844

Les associés d’une société, dont l'activité a débuté le 1er octobre 2009, ont, par un acte sous seing privé dépourvu de date, conclu un pacte d'associés stipulant une clause de non-concurrence à l'égard de cette société. L’un des cosignataires du pacte, ayant perdu la qualité d'associé le 11 septembre 2017, se voit assigner en responsabilité par la société, lui reprochant une violation de son obligation de non-concurrence. Le pacte étant signé mais non daté, sa demande échoue en appel. Devant la Cour de cassation, la société créancière de l’obligation de non-concurrence soutient que seuls les tiers peuvent se prévaloir de l'absence de date certaine faute d'enregistrement de l’acte, en sorte que lorsqu'un acte sous signature privée ne porte aucune date, la partie qui s'en prévaut peut toujours apporter la preuve de la date à laquelle il a été conclu. Au visa de l'article 1328 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, la chambre commerciale censure la décision des juges du fond. Il résulte de ce texte que si un acte sous seing privé n'a de date contre les tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort de celui ou de l'un de ceux qui l'ont souscrit, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte dressé par un officier public, en revanche, entre les parties à un acte non daté dont l'existence n'est pas contestée, la preuve de sa date peut être faite par tout moyen. Or pour rejeter les demandes de la société, l'arrêt relève que le pacte d'associés sur lequel celle-ci se fonde stipule une obligation de non-concurrence prenant effet à la date de sa signature et que si cet acte est signé par tous les associés, dont le défendeur, il n'indique pas de date. Il retient que l'absence de date vide de sa substance l'obligation qui est opposée à l'associé, dès lors qu'un acte sous seing privé n'a pas date certaine, sauf s'il est enregistré, et que la date de l'acte ne peut pas être déduite du contexte dans lequel il a été établi. L'arrêt en déduit que la société ne peut pas se prévaloir à l'égard de son ancien associé de la clause de non-concurrence figurant dans le pacte. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

La décision rapportée rappelle la dualité des règles gouvernant la force probante de l’acte sous signature privée quant à sa date. La Cour souligne ainsi qu’il convient de distinguer selon que l’on se place dans les rapports entre les parties ou dans les rapports avec les tiers.

Elle commence par rappeler les termes de l’ancien article 1328 du Code civil, qui disposait que « les actes sous seing privé n’ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l'un de ceux qui l'ont souscrit, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics ». Il ressortait de cette disposition que la date figurant sur un acte sous signature privée n’était pourvue, par principe, d’aucune force probante à l’égard des tiers, sauf à acquérir un caractère certain, dans les trois cas énumérés. Hors ces trois hypothèses d’acquisition d’une date certaine, l’acte sous signature privée était réputé n’avoir aucune date contre les tiers. La raison résidait dans le risque de falsification de l’acte par les parties qui, en l’antidatant ou en le postdatant, sont susceptible de nuire aux tiers. La règle visait donc à protéger les tiers contre la fraude éventuelle des parties, ce qui explique son maintien par l’ordonnance du 10 février 2016, ayant simplement introduit la notion nouvelle de « date certaine » pour signifier que dans les trois cas énumérés, le risque de falsifier la date de l’acte n’existe pas (C. civ., art. 1377 : « l’acte sous signature privée n’acquiert date certaine à l’égard des tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort d’un signataire, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique »). 

En toutes hypothèses, ce risque n’existe pas entre les parties, raison pour laquelle la date de l’acte sous signature privée fait foi entre ceux qui l’ont souscrit (C. civ., art. 1372 ; art. 1322 anc.), au même titre que les autres mentions de l’acte, jusqu’à la preuve du contraire. Partant, les conditions précitées d’acquisition de la date certaine d’un acte à l’égard des tiers ne sont pas applicables aux rapports entre les parties. En particulier, contrairement à ce qu’avait retenu la cour d’appel, la formalité de l’enregistrement prévue pour rendre la date certaine à l’égard des tiers n’est pas transposable aux rapports entre les parties, entre lesquelles la restitution de la date peut être rapportée par tous moyens par celui qui se prévaut de l’acte. En effet, la preuve de la date d’un acte non daté dont l’existence n’est pas contestée par les parties doit pouvoir être librement rapportée (v. déjà, Civ. 1re, 11 avr. 1964, Bull, n°180 : lorsqu’un acte sous signature privée dont la validité dépend de sa date ne mentionne pas celle-ci, il appartient à la partie qui se prévaut de cet acte d’apporter par tout moyen la preuve de la date à laquelle il a été passé). En l’espèce, nonobstant l’absence d’enregistrement du pacte d’associés, sa date pouvait être valablement déduite du contexte dans lequel il avait été conclu (sans doute la date à compter de laquelle l’ensemble des signataires ont revêtu la qualité d’associés). La société pouvait dès lors valablement opposer à son ancien associé la méconnaissance de l’obligation de non-concurrence dont il était débiteur.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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