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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Liberté de parole de l’avocat et provocation
Mots-clefs : Injure, Provocation
L’immunité dont bénéficient les discours prononcés devant les tribunaux, en vertu de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, n'interdit pas de leur attribuer, le cas échéant, le caractère d'une provocation au sens de l’article 33, alinéa 2, de la même loi.
En matière d’injure (injure publique envers particuliers ; L. 29 juill. 1881, art. 33, al. 2), l’auteur de l’infraction est affranchi de toute peine en cas de provocation. Les contours de cette excuse légale ont été définis par la jurisprudence. Selon la Cour de cassation, la provocation doit s'entendre comme « tous faits accomplis volontairement dans le but d'irriter une personne et venant par suite expliquer et excuser les propos injurieux qui lui sont reprochés » (Crim. 17 janv. 1936).
La provocation, qui peut résulter de toute parole ou tout écrit, tout acte ou toute attitude, est de nature à atteindre l'auteur du délit ou de la contravention, soit dans son honneur ou sa considération, soit dans ses intérêts pécuniaires ou moraux (Crim. 26 déc. 1956). Pour qu’elle puisse être retenue, cette excuse légale doit être personnelle au prévenu, injuste (Crim. 16 avr. 1985) et directe (Crim. 10 mai 2006). L'appréciation par les juges du fond des caractères de l’injure dont ils font résulter la provocation est soumise au contrôle de la Cour de cassation (Crim. 15 avr. 1959).
En l’espèce, lors d'une audience devant le tribunal correctionnel, une femme, qui accompagnait son mari, gérant de la librairie « Résistances », partie civile dans la poursuite exercée contre les auteurs du saccage de son établissement, s'est adressée à l'avocat des prévenus, en lui disant « Vous êtes un salaud », alors que celui-ci venait, dans sa plaidoirie, d'établir un parallèle entre les actions de boycott des produits israéliens, prônées par cette dernière, et l'ostracisme des commerces juifs orchestré par le régime nazi. L’avocat a porté plainte et s’est constitué partie civile du chef d'injure publique envers un particulier. Les magistrats, retenant le caractère injurieux du propos incriminé, ont cependant relaxé la prévenue au bénéfice de l’excuse de provocation.
Statuant sur le pourvoi formé par l’avocat, la chambre criminelle considère que les juges du fond ne se sont pas mépris sur le caractère juridique de la provocation estimant que la prévenue, qui a spontanément proféré une injure, était personnellement visée par la comparaison établie par l’avocat et répondait ainsi directement à des propos qui, eu égard aux circonstances dans lesquels ils avaient été tenus, étaient de nature à porter gravement atteinte à son honneur et à ses intérêts moraux.
Elle rejette également l’argument du demandeur au pourvoi selon lequel l'excuse de provocation devrait être écartée au motif que ses propos commandés par les nécessités de la défense relevaient de la liberté de parole des avocats devant les juridictions (sur l’absence d’immunité pour des propos tenus hors de la salle d'audience : Paris, 9 mars 2000). Selon la chambre criminelle, « l’immunité dont bénéficient les discours prononcés devant les tribunaux, en vertu de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, n'interdit pas de leur attribuer, le cas échéant, le caractère d'une provocation au sens de l’article 33, alinéa 2, de la même loi ». Une telle solution ne peut qu’être approuvée.
Crim. 31 mars 2015, n°13-81.842
Références
■ Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
« L'injure commise par les mêmes moyens envers les corps ou les personnes désignés par les articles 30 et 31 de la présente loi sera punie d'une amende de 12 000 euros.
L'injure commise de la même manière envers les particuliers, lorsqu'elle n'aura pas été précédée de provocations, sera punie d'une amende de 12 000 euros.
Sera punie de six mois d'emprisonnement et de 22 500 euros d'amende l'injure commise, dans les conditions prévues à l'alinéa précédent, envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Sera punie des peines prévues à l'alinéa précédent l'injure commise dans les mêmes conditions envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap.
En cas de condamnation pour l'un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :
1° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal. »
« Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l'Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l'une de ces deux assemblées.
Ne donnera lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques des assemblées visées à l'alinéa ci-dessus fait de bonne foi dans les journaux.
Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d'enquête créée, en leur sein, par l'Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d'y déposer, sauf s'ils sont étrangers à l'objet de l'enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi.
Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.
Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.
Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers. »
■ Crim. 17 janv. 1936, Gaz. Pal. 1936.1.320.
■ Crim. 26 déc. 1956, Bull. crim., n° 883.
■ Crim. 16 avr. 1985, n°83-94.866, Bull. crim. n° 140 ; RSC 1986. 377, obs. Levasseur.
■ Crim. 10 mai 2006, n°05-82.971, D. 2006. 2220, note Dreyer.
■ Crim. 15 avr. 1959, Bull. crim. n° 226.
■ Paris, 9 mars 2000, no 4859/99, D. 2000. IR. 138.
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