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[ 24 mars 2023 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Liberté de réunion et pouvoirs de police du maire

En interdisant une réunion en raison du contenu très prévisible des interventions ne respectant pas la dignité de la personne humaine, un maire n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés d'expression et de réunion.

CE, réf., 4 mars 2023, n° 471871

Le maire de la commune de Brétigny-sur-Orge avait pris un arrêté interdisant une conférence prévue le 5 mars 2023 sur le territoire de sa commune. 

Il justifiait cette interdiction en raison du contenu très prévisible des interventions portant atteinte aux principes et valeurs de la République, à la cohésion nationale et à la dignité des femmes, pouvant constituer dans certains cas des infractions pénales et des risques d'atteintes graves compte tenu du nombre important de participants prévus et de la montée en puissance de vives réactions sur les réseaux sociaux et ainsi, de la difficulté pour les forces de police de maintenir l’ordre.

L’organisatrice de la conférence demandait la suspension de l’arrêté d’interdiction. Toutefois, ni le juge des référés du tribunal administratif, ni celui du Conseil d’État n’ont fait droit à sa demande.

Le maire est l'autorité de police administrative dans la commune, à ce titre il a le pouvoir d’interdire des réunions dans sa commune s’il estime qu’il existe un risque d’atteinte à l’ordre public. 

En vertu des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, le maire a en charge, sous le contrôle du préfet, la police municipale dont l’objet est d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Le Conseil d’État a depuis longtemps ajouté à cette trilogie traditionnelle le respect de la dignité de la personne humaine (CE, ass., 27 oct. 1995, Cne de Morsang-sur-Orge, n° 136727 : l'attraction de « lancer de nain », qui conduit à utiliser comme projectile une personne affectée d'un handicap physique et présentée comme telle, porte atteinte, par son objet même, à la dignité de la personne humaine. Légalité de l'interdiction prononcée par l'autorité de police municipale alors même que des mesures de protection ont été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition contre rémunération) et la défense de la moralité publique (CE 18 déc. 1959, Sté «Les films Lutétia» et Synd. fr. des producteurs et exportateurs de films, n° 36385 : caractère immoral du film et circonstances locales ; CE 30 sept. 1960, Sieur Jauffret : lieu de débauche ; CE 8 juin 2005, Cne de Houilles, n° 281084 : sex-shop). Pour rappel, le pouvoir de police administrative doit notamment être distingué du pouvoir de police judiciaire. Ce dernier consiste à rechercher les auteurs d’une infraction déterminée et le maire peut également l’exercer au nom et pour le compte de l’État (CGCT, art. L. 2122-31). 

Dans l’affaire du 4 mars 2023, le juge des référés du Conseil d’État rappelle le principe énoncé dans la décision du Conseil d’État, Cne de Morsang-sur-Orge (préc.) qu’il « appartient à l'autorité investie du pouvoir de police de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l'ordre public. Le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public. L'autorité investie du pouvoir de police peut, même en l'absence de circonstances locales particulières, interdire une manifestation qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine. L'exercice de la liberté d'expression est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l'exercice de la liberté de réunion. Les atteintes portées, pour des exigences d'ordre public, à l'exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées. » 

Le juge procédé ainsi à la mise en balance de différents droits fondamentaux en présence. Il s’agissait en l’espèce pour le juge des référés d’étudier les principes et critères de mise en balance entre les libertés d’expression et de réunion et le respect de la dignité de la personne humaine.

Lors de cette réunion, un imam salafiste devait intervenir, or le juge des référés relève que cet homme a coutume de tenir « des propos attentatoires à la dignité humaine et gravement discriminatoires envers les femmes, théorisant l'infériorité des femmes et le fait qu'elles ne doivent pas bénéficier des mêmes droits que les hommes, justifiant au nom de leur devoir conjugal, les relations sexuelles ou les violences conjugales imposées par leur époux, défendant ouvertement la polygamie ou l'obligation du port du voile en toutes circonstances, en méconnaissance des lois de la République ». Les autres conférenciers et intervenants sont également issus de la même mouvance salafiste et prônent, également, de manière récurrente, les mêmes idées et théories. 

Par ailleurs, même si les textes des interventions des conférenciers ne comportent aucun propos susceptible de porter atteinte à la dignité de la personne humaine, il n’est pas tenu compte des réponses que les intervenants peuvent apporter aux questions posées par le public lors de la conférence.

Enfin, même si l’organisatrice s’engageait à limiter l’intervention de l’imam salafiste à une seule prise de parole sans répondre aux questions du public, « un tel engagement, à supposer qu'il puisse être tenu, ne saurait à lui seul, compte tenu de la pluralité d'intervenants et de la nature de cette réunion accueillant un public nombreux, suffire à garantir l'absence de risque que soient tenus au cours de cette manifestation des propos contraires à la dignité de la personne humaine ».

Références

■ CE, ass., 27 oct. 1995, Cne de Morsang-sur-Orge, n° 136727 A : AJDA 1995. 942 ; ibid. 878, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux ; ibid. 2014. 106, chron. M. Franc ; D. 1995. 257 ; RFDA 1995. 1204, concl. P. Frydman.

■ CE 18 déc. 1959, Sté «Les films Lutétia» et Synd. fr. des producteurs et exportateurs de films, n° 36385 A: S. 1960. 94, concl. Mayras; D. 1960. 171, note Weil; AJDA 1960. 21, chron. Combarnous et Galabert; GAJA.

■ CE 30 sept. 1960, Sieur Jauffret : Lebon 504.

■ CE 8 juin 2005, Cne de Houilles, n° 281084 A: AJDA 2005. 1260 ; ibid. 1851, note S. Hul.

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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