Actualité > À la une
À la une
Libertés fondamentales - droits de l'homme
Liberté d’expression d’un avocat : la Cour de Cassation prend acte de la décision de la CEDH
Mots-clefs : Liberté d’expression, Avocat, Magistrat, Cour européenne des droits de l’homme
La Haute juridiction, dans son arrêt du 16 décembre 2016, tire les conséquences de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme qui avait constaté la violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme par la France (CEDH, gr. ch., 23 avr. 2015, Morice c/ France, n° 29369/10).
Une information judiciaire avait été ouverte à la suite de l’assassinat d’un magistrat français, en octobre 1995, à Djibouti. Après le dessaisissement des juges d’instruction M. et L., le juge d’instruction nouvellement désigné, avait constaté qu’une cassette vidéo réalisée en mars 2000 lors d’un transport à Djibouti ne figurait pas au dossier et n’était pas référencée comme pièce à conviction. Or, cette cassette avait été envoyée à la juge M. dans une enveloppe à son nom accompagnée d’une note manuscrite émanant du procureur de Djibouti traduisant une grande familiarité entre les juges français et le procureur djiboutien et alors que l’État de ce pays soutient la thèse du suicide. Les avocats de la veuve du magistrat assassiné adressèrent un courrier au Garde des sceaux afin de dénoncer le comportement « parfaitement contraire aux règles d’impartialité et de loyauté » de ces deux magistrats. Cette lettre fût ensuite reprise dans le quotidien Le Monde, accompagnée de commentaires de l’un des avocats, Me Morice qui évoque « l’étendue de la connivence entre le procureur djiboutien et les juges d’instruction français ». Il évoque également le dessaisissement de la juge M., une condamnation de l’État français dans le dossier de la scientologie et des poursuites disciplinaires contre la même juge dans l’affaire de la disparition de pièces de ce dossier. Les deux juges d’instruction déposèrent plainte, notamment contre Me Morice pour diffamation publique envers un fonctionnaire. La cour d’appel de Rouen, le 16 juillet 2008, statuant sur renvoi de cassation condamna ce dernier à une peine de 4 000 euros d’amende. A la suite du rejet de son pourvoi par la chambre criminelle, Me Morice a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle, par arrêt de grande chambre du 23 avril 2015, a dit qu’il y avait eu violation de l’article 6, § 1, et de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Sur le fondement des articles 626-1 et suivants du Code de procédure pénale lesquels offrent la possibilité aux personnes ayant obtenu un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme constatant que leur condamnation résulte d’une violation de la Convention européenne des droits de l’homme, un réexamen des condamnations pénales, la Cour de révision et de réexamen a ordonné le réexamen du pourvoi formé par l’intéressé et le renvoi devant l’assemblée plénière.
Deux moyens étaient invoqués à l’appui du pourvoi. Le premier tendait à voir reconnaître l’immunité juridictionnelle de l’avocat (L. 29 juill. 1881, art. 41, al. 4) hors des prétoires. Le moyen est rejeté, dans la lignée de la jurisprudence constante de la Cour de cassation laquelle considère que cette disposition « ne protège pas les écrits faisant l'objet, en dehors des juridictions, d'une publicité étrangère aux débats ». Hors du prétoire, les propos qui constituent un manquement à l’honneur et à la délicatesse ne peuvent bénéficier de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et doivent être sanctionnés (Civ. 1re, 14 oct. 2010, n° 09-16.495 et 09-69.266. Civ. 1re , 4 mai 2012, n° 11-30.193). Peu importe que la défense s’exerce désormais aussi dans les médias, l’immunité ne vaut pas dans ce cadre.
Le second moyen est directement en lien avec la condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme relative à la violation de la liberté d’expression. Pour mémoire, Si la cour admettait la nécessité de « protéger le pouvoir judiciaire contre des attaques gratuites et non fondées qui pourraient n’être motivées que par la volonté d’une stratégie de déplacer le débat judiciaire sur le terrain strictement médiatique ou d’en découdre avec les magistrats en charge de l’affaire », elle exigeait tout de même niveau de protection de la liberté d’expression doit être élevé, « un avocat doit pouvoir attirer l’attention du public sur d’éventuels dysfonctionnements judiciaires, l’autorité judiciaire pouvant tirer un bénéfice d’une critique constructive ». Dans cette perspective, la juridiction européenne avait opéré une double distinction. Une distinction tout d’abord, entre les propos tenus dans l’enceinte judiciaire pour lesquels existe un principe d’immunité et ceux tenus en dehors des prétoires. S’agissant de ces derniers, et en présence de propos vifs, voire virulents, une seconde distinction doit être faite entre les déclarations de faits qui peuvent être prouvées et les jugements de valeur. Dans ce dernier cas, elle exige alors non la démonstration d’une preuve parfaite mais l’existence d’une « solide base factuelle », laquelle existait en l’espèce selon la Cour européenne concernant les propos de Me Morice.
C’est exactement le raisonnement repris par l’assemblée plénière laquelle admet que « les propos litigieux, qui portaient sur un sujet d'intérêt général relatif au traitement judiciaire d'une affaire criminelle ayant eu un retentissement national et reposaient sur une base factuelle suffisante, à savoir le défaut de transmission spontanée au juge nouvellement désigné d’une pièce de la procédure et la découverte d’une lettre empreinte de familiarité, à l’égard des juges alors en charge de l’instruction, du procureur de Djibouti qui dénonçait le comportement de (la veuve) et de ses avocats, ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression d’un avocat dans la critique et le jugement de valeur portés sur l'action des magistrats et ne pouvaient être réduits à la simple expression d’une animosité personnelle envers ces derniers ».
Pliant aux exigences de la juridiction européenne, l’assemblée plénière désavoue l’analyse adoptée par la chambre criminelle laquelle avait considéré que le requérant avait, au moyen de propos « graves et injurieux », adopté un comportement dépassant les limites que les avocats doivent respecter dans la critique publique de la justice. La cassation est prononcée sans renvoi, les jugements de valeur reprochés à l’avocat reposent sur une base factuelle suffisante pour écarter toute la qualification de diffamation.
Cass., ass. plén., 16 décembre 2016, n° 08-86.295
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 6, § 1
« Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »
Article 10
« Liberté d'expression. 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ CEDH, gr. ch., 23 avr. 2015, Morice c/ France, n° 29369/10, D. 2015. 974 ; ibid. 2016. 225, obs. J.-F. Renucci ; AJ pénal 2015. 428, obs. C. Porteron ; Constitutions 2016. 312, chron. D. de Bellescize ; RSC 2015. 740, obs. D. Roets.
■ Civ. 1re, 14 oct. 2010, n° 09-16.495 et 09-69.266.
■ Civ. 1re, 4 mai 2012, n° 11-30.193, D. 2012. 1275 ; ibid. 2013. 136, obs. T. Wickers.
Autres À la une
-
[ 20 décembre 2024 ]
À l’année prochaine !
-
Droit du travail - relations collectives
[ 20 décembre 2024 ]
Salariés des TPE : à vous de voter !
-
Droit du travail - relations individuelles
[ 19 décembre 2024 ]
Point sur la protection de la maternité
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 18 décembre 2024 ]
PMA post-mortem : compatibilité de l’interdiction avec le droit européen
-
Droit de la famille
[ 17 décembre 2024 ]
GPA : l’absence de lien biologique entre l’enfant et son parent d’intention ne s’oppose pas à la reconnaissance en France du lien de filiation établi à l'étranger
- >> Toutes les actualités À la une