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[ 12 octobre 2016 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Liberté d’expression : frontière entre satire politique et injure publique

Mots-clefs : Injure publique, Personnalité politique, Liberté d’expression, Satire politique, Presse

Représenter l’image d’une personnalité politique en l’associant à un excrément constitue une atteinte à sa dignité et dépasse les limites admissibles de la liberté d’expression.

A la suite de la diffusion, en janvier 2012, dans l’émission de France 2 « On n’est pas couché » d’une séquence au cours de laquelle avaient été montrées des affiches parodiques, publiées trois jours avant par le journal « Charlie Hebdo », concernant les candidats à l’élection présidentielle, dont l’une présentait le slogan « Y…, la candidate qui vous ressemble », inscrit au-dessus d’un excrément, ladite candidate déposa une plainte avec constitution de partie civile pour injure publique envers un particulier. 

Le président de la chaîne et l’animateur furent renvoyés devant le tribunal correctionnel mais relaxés, et la cour d’appel confirma ce jugement aux motifs que « l’affiche litigieuse [bien que] particulièrement grossière à l’égard de la plaignante […] ne [relevait] pas d’une attaque contre sa personne, destinée à atteindre sa dignité, mais d’une pique visant la candidate à l’élection présidentielle », que « l’humour d[evait] être largement toléré lorsqu’il vis[ait], comme en l’espèce, une personnalité politique », que « cette représentation se situ[ait] dans le registre d’une forme d’humour débridé propre au journal Charlie Hebdo », et que « l’animateur (…) a[vait] pris soin de préciser le contexte satirique dans lequel devaient être compris les dessins, manifestant clairement son intention de provoquer le rire et non de présenter une image dégradante de la partie civile ».  

Saisie par la partie civile, la chambre criminelle casse et annule l’arrêt d’appel (et renvoie la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris autrement composée) au visa de l’article 33, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 (qui prévoit la pénalité encourue en cas d’injure), « ensemble l’article 10 de la Convention européen des droits de l’homme » (qui garantit le droit à la liberté d’expression). Rappelant l’étendue de son contrôle en matière de presse, lequel « porte sur le sens et la portée des propos poursuivis », la Haute cour estime que « le dessin et la phrase poursuivis, qui portaient atteinte à la dignité de la partie civile en l'associant à un excrément, fût-ce en la visant en sa qualité de personnalité politique lors d'une séquence satirique de l'émission précitée, dépassaient les limites admissibles de la liberté d'expression ».

Si les limites de la critique admissible sont plus larges pour un homme ou une femme politique, précisément en raison de ses fonctions, qui l’exposent au contrôle étroit du public et des médias, la liberté d’expression elle-même, bien qu’essentielle dans une société démocratique (V. CEDH 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, n° 5493/72, § 49 ; CEDH 8 juill. 1986, Lingens c/ Autriche, n° 9815/82, § 41), ne saurait être illimitée, même en matière de débat politique au sens large. L’article 10 de la Convention européenne contient lui-même une clause de restriction à la liberté d’expression en son paragraphe 2 (« L’exercice de ces libertés […] peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre ou à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation et des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire »), et l’on comprend aisément que le respect de la dignité constitue une limite légitime, justifiant la mise en jeu de la responsabilité des auteurs de certaines publications. 

En outre, si l’article 10 de la Convention européenne garantit bien un droit à la satire dans le domaine du discours portant sur des questions d’intérêt général, la satire étant entendue comme « une forme d’expression artistique et de commentaire social qui, de par l’exagération et la déformation de la réalité qui la caractérisent, vise naturellement à provoquer et à agiter » (V. CEDH 25 janv. 2007, Vereinigung Bildender Künstler c/ Autriche, n° 68354/01, § 33; V. par ex., pour la reconnaissance de ce droit au profit de l’auteur d’une pancarte « Casse-toi pov’con » adressée à un Président de la République, CEDH 14 mars 2013, Eon c/ France, no 26118/10), il ne saurait par exemple s’appliquer à un spectacle exprimant une idéologie allant à l’encontre des valeurs fondamentales de la Convention (V. CEDH 10 nov. 2015, Mbala Mbala c/ France, n° 25239/13).

Crim. 20 sept. 2016, n° 15-82.942

Références

■ CEDH 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, n° 5493/72, § 49.

■ CEDH 8 juill. 1986, Lingens c/ Autriche, n° 9815/82, § 41.

■ CEDH 25 janv. 2007, Vereinigung Bildender Künstler c/ Autriche, n° 68354/01, § 33, AJDA 2007. 902, chron. J.-F. Flauss.

■ CEDH 14 mars 2013, Eon c/ France, no 26118/10, Dalloz actualité, 19 mars 2013, obs. O. Bachelet ; AJDA 2013. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; ibid. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2013. 968, obs. S. Lavric, note O. Beaud ; ibid. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2013. 477, obs. C. Porteron ; RFDA 2013. 576, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ; ibid. 594, chron. N. Droin ; Constitutions 2013. 257, obs. D. de Bellescize ; RSC 2013. 670, obs. D. Roets.

■ CEDH 10 nov. 2015, Mbala Mbala c/ France, n° 25239/13, § 39, Dalloz actualité, 13 nov. 2015, obs. J.-M. Pastor, AJDA 2015. 2118 ; ibid. 2512, note X. Bioy ; RSC 2015. 877, obs. J. Francillon.

 

Auteur :S. L.


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