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[ 2 juillet 2013 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Liberté d'expression : un député n’est pas journaliste !

Mots-clefs : Bonne foi, Diffamation, Député

En matière de diffamation, le prévenu, qui n’est pas un professionnel de l’information, n’est pas tenu aux mêmes exigences déontologiques qu’un journaliste. Ainsi, doit se voir accorder le bénéfice de la bonne foi, un député, qui disposant d’une base factuelle suffisante, s’interroge publiquement, avec prudence, sans excéder les limites admissibles de la liberté d’expression, en sa qualité de membre de la commission des Affaires étrangères, dans le contexte d’un débat d’intérêt général, sur des informations faisant état de pratiques journalistiques contestables.

Au nom de la liberté d’expression, un homme politique peut-il tout dire ou est-il tenu aux mêmes exigences déontologiques que les journalistes ? Comment apprécier la bonne foi, cause d’exonération en matière de diffamation, d’un élu ? Telle est la question à laquelle répond la chambre criminelle dans l’arrêt rendu le 11 juin 2013.

À la suite de la publication, par l’hebdomadaire Paris Match, d’un reportage consacré à un groupe de combattants afghans présentés comme les auteurs d’une embuscade ayant coûté la vie à dix militaires français, le député des Yvelines a diffusé un communiqué demandant l’ouverture d’une enquête sur le financement de ce reportage, faisant état d’informations selon lesquelles le journal aurait versé une somme de 50 000 dollars aux « talibans », et concluant que si l’affaire était avérée, il contribuait à financer des actions de guerre contre les soldats français. Le lendemain, le député renouvela ses déclarations, dans un entretien accordé au journal Le Parisien : « il se dit dans la région que les journalistes de Paris Match auraient payé une somme de 50 000 dollars pour faire leur reportage ; sinon, ils auraient été pris en otage et les talibans auraient demandé une rançon ».

Estimant ces propos diffamants (L. 29 juill. 1881, art. 29), le directeur de publication de Paris Match, les journalistes en cause, ainsi que la société éditrice de l’hebdomadaire, ont porté plainte contre le député et se sont constitués parties civiles. Condamné en première instance pour diffamation envers particuliers, ce dernier fut finalement relaxé par la cour d’appel.

Statuant sur le pourvoi formé par les parties civiles, la chambre criminelle approuve les juges d’appel d’avoir retenu que le député n’était pas soumis aux mêmes règles que des journalistes dans l’administration de la preuve de sa bonne foi. Elle retient que « dès lors que le prévenu, qui n’est pas un professionnel de l’information, n’était pas tenu aux mêmes exigences déontologiques qu’un journaliste, qu’il disposait d’une base factuelle suffisante pour s’interroger publiquement, en sa qualité de membre de la commission des Affaires étrangères, dans le contexte d’un débat d’intérêt général, sur des informations faisant état de pratiques journalistiques contestables, et qu’il l’a fait avec prudence, sans excéder les limites admissibles de la liberté d’expression ».

Par cet arrêt, la Cour rappelle que le fait justificatif de la bonne foi, laquelle suppose la réunion de quatre éléments (la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure de l’expression, la fiabilité de l’enquête), s’apprécie in concreto. À ce titre, doivent être pris en compte notamment le caractère d’intérêt général du sujet sur lequel portent les propos et du contexte dans lequel ils s’inscrivent (Crim. 19 janv. 2010) et la qualité du prévenu.

Cette solution s’inscrit, en outre, dans la lignée de la jurisprudence européenne, laquelle en matière de liberté d’expression des hommes politiques, reconnaît que « les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier » dès lors qu’il « s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens, et doit montrer une plus grande tolérance » (CEDH 8 juill. 1986, Lingens c. Autriche CEDH 23 mai 1991, Oberschlik c. Autriche).

Crim. 11 juin 2013, n°12-83.487 

Références

■ Crim. 19 janv. 2010Bull. crim. n° 12, n° 09-84.408.

■ CEDH 8 juill. 1986Lingens c. Autriche, req. no 9815/82, A-103, § 42.

■ CEDH 23 mai 1991Oberschlik c. Autriche, req. no 11662/85, A-204, § 59.

■ Article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales - Liberté d'expression

« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. 

2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

■ Loi du 29 juillet 1881

Article 29 

« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. »

Article 32

« La diffamation commise envers les particuliers par l'un des moyens énoncés en l'article 23 sera punie d'une amende de 12000 euros. 

La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie d'un an d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement. 

Sera punie des peines prévues à l'alinéa précédent la diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap. 

En cas de condamnation pour l'un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner : 

1° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal. »

Article 35

« La vérité du fait diffamatoire, mais seulement quand il est relatif aux fonctions, pourra être établie par les voies ordinaires, dans le cas d'imputations contre les corps constitués, les armées de terre, de mer ou de l'air, les administrations publiques et contre toutes les personnes énumérées dans l'article 31.

La vérité des imputations diffamatoires et injurieuses pourra être également établie contre les directeurs ou administrateurs de toute entreprise industrielle, commerciale ou financière, faisant publiquement appel à l'épargne ou au crédit.

La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf :

a) Lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne ;

b) Lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années ;

c) Lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ;

Les deux alinéas a et b qui précèdent ne s'appliquent pas lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-23 à 222-32 et 227-22 à 227-27 du code pénal et ont été commis contre un mineur.

Dans les cas prévus aux deux paragraphes précédents, la preuve contraire est réservée. Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte.

Dans toute autre circonstance et envers toute autre personne non qualifiée, lorsque le fait imputé est l'objet de poursuites commencées à la requête du ministère public, ou d'une plainte de la part du prévenu, il sera, durant l'instruction qui devra avoir lieu, sursis à la poursuite et au jugement du délit de diffamation. »

Article 42

« Seront passibles, comme auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse, dans l'ordre ci-après, savoir :

1° Les directeurs de publications ou éditeurs, quelles que soient leurs professions ou leurs dénominations, et, dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article 6, de les codirecteurs de la publication ;

2° A leur défaut, les auteurs ;

3° A défaut des auteurs, les imprimeurs ;

4° A défaut des imprimeurs, les vendeurs, les distributeurs et afficheurs.

Dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article 6, la responsabilité subsidiaire des personnes visées aux paragraphes 2°, 3° et 4° du présent article joue comme s'il n'y avait pas de directeur de la publication, lorsque, contrairement aux dispositions de la présente loi, un codirecteur de la publication n'a pas été désigné. »

Article 43

« Lorsque les directeurs ou codirecteurs de la publication ou les éditeurs seront en cause, les auteurs seront poursuivis comme complices. 

Pourront l'être, au même titre et dans tous les cas, les personnes auxquelles l'article 121-7 du code pénal pourrait s'appliquer. Ledit article ne pourra s'appliquer aux imprimeurs pour faits d'impression, sauf dans le cas et les conditions prévus par l'article 431-6 du code pénal sur les attroupements ou, à défaut de codirecteur de la publication, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article 6. 

Toutefois, les imprimeurs pourront être poursuivis comme complices si l'irresponsabilité pénale du directeur ou du codirecteur de la publication était prononcée par les tribunaux. En ce cas, les poursuites sont engagées dans les trois mois du délit ou, au plus tard, dans les trois mois de la constatation judiciaire de l'irresponsabilité du directeur ou du codirecteur de la publication. »

 

Auteur :C. L.

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