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[ 11 octobre 2018 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Licenciement et Facebook

Dans un arrêt rendu par la chambre sociale le 12 septembre 2018, la Cour de cassation a confirmé le caractère injustifié du licenciement intervenu contre un salarié ayant tenu des propos dénigrants envers son employeur sur le réseau social Facebook. Ces propos, tenus au sein d’un groupe « fermé » de 14 personnes, ayant un caractère privé selon la Cour, ne pouvaient justifier une sanction disciplinaire. Il convient de revenir sur cette décision.

Dans cette affaire, une salariée a été licenciée pour faute grave à la suite de la lecture par son employeur, de propos dénigrants tenus sur un groupe fermé Facebook dénommé « Extermination des directrices chieuses ». La salariée a saisi le conseil de prud’hommes pour contester le caractère réel et sérieux du licenciement. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 3 décembre 2015, a estimé que le licenciement pour faute grave était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Les propos tenus dans un groupe fermé relevaient d’une conversation privée.

L’employeur a formé un pourvoi en cassation. Ce dernier estimait que constituait une faute grave la seule diffusion publique ou privée, sur le réseau social Facebook de propos injurieux et humiliants à son encontre. La cour d’appel avait estimé qu’il ne s’agissait pas d’une faute grave au motif que l’employeur ne démontrait pas le caractère public des propos dès lors que les termes litigieux n’étaient accessibles que pour un groupe « fermé » de 14 personnes et étaient donc d’ordre privé.

La Cour de cassation, valide la position de la cour d’appel de Paris qui a justement constaté que les propos litigieux n’étaient accessibles qu’à des personnes agréées par la salariée et peu nombreux, de sorte que cette discussion était de nature privée et qu’ainsi, la juridiction d’appel avait justement décidé qu’il ne s’agissait pas d’une cause réelle et sérieuse de licenciement. 

La Cour de cassation confirme une position déjà tenue par la première chambre civile dans un arrêt du 10 avril 2013 (Civ. 1re, 10 avr. 2013, n° 11-19.530). Elle sera probablement amenée, à se prononcer à nouveau sur des sanctions disciplinaires ayant pour origine les propos de salariés sur les réseaux sociaux.

En effet, l’émergence des réseaux sociaux, comme Facebook ou Twitter, n’est pas sans impact sur les relations de travail. Ces espaces de partage, dans lesquels peuvent s’exprimer l’opinion des salariés, sont accessibles depuis un ordinateur ou un smartphone à tout moment et en tout lieu. Les propos tenus sur ces réseaux sont susceptibles de créer des conflits entre employeurs et salariés et permettent de tracer les contours de la liberté d’expression. 

L’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 a consacré la liberté d’expression : «  La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Cette liberté fondamentale ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise. En effet, les salariés jouissent des droits et libertés reconnus aux citoyens et ne peuvent, sauf en cas d’abus, être sanctionnés pour en avoir fait usage. Quant à l’employeur, il ne peut, en application de l’article L. 1121-1 du Code du travail, apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. 

L’enjeu du débat sur les réseaux sociaux est de distinguer les propos, nuisibles à l’employeur, ayant un caractère public et pouvant constituer des « injures publiques » et les propos tenus dans un cadre privé. Cette distinction permet de déterminer si le salarié peut ou non être sanctionné disciplinairement pour ses propos tenus sur un réseau social.

Par ailleurs, l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit l’injure comme : « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait ». Celle-ci peut être publique ou privée. L'injure publique est une injure pouvant être entendue ou lue par un public. Les personnes susceptibles d'en être témoins ne sont pas nécessairement liées par une « communauté d'intérêt ». C'est notamment le cas des injures publiées sur un site internet, ou sur un réseau social.

Lorsque les propos sont tenus sur un réseau social et selon le verrouillage choisi par le détenteur du compte, les propos tenus peuvent être accessibles à tout internaute ou à un cercle plus ou moins restreint d'amis. Si le compte est accessible à tous, des propos injurieux constitueront une injure publique. A l’inverse, si l’accès n’est possible qu’aux seules personnes agréées par l’auteur, et en nombre restreint, celles-ci forment une communauté d’intérêt qui exclut la qualification d’injure publique et donc des conséquences disciplinaires. 

Les juridictions compétentes en matière sociale, sont amenées régulièrement à se prononcer sur des propos tenus par des salariés à l’encontre de leur employeur sur les réseaux sociaux. La première chambre civile, dans un arrêt du 10 avril 2013 (Civ. 1re, 10 avr. 2013, n° 11-19.530) s’était déjà prononcée sur cette problématique, et avait estimé que, dès lors que seules des personnes agréées pas l’intéressée (la « communauté d’intérêts ») avaient accès à ces propos, ceux-ci demeuraient privés.

Pour rappel, l’employeur a la possibilité de contrôler et de surveiller les salariés sur le lieu et pendant le temps de travail, en vertu du lien de subordination qui découle du contrat de travail. Les droits et libertés des salariés dans l’entreprise viennent limiter le pouvoir disciplinaire. 

L’utilisation de propos du salarié par l’employeur pour prendre une mesure disciplinaire fait débat. En effet, des propos tenus sur un réseau social peuvent être tenus en dehors du temps et du lieu de travail alors que le salarié n’est pas sous la subordination de l’employeur. Toutefois, l’employeur est fondé à prendre des mesures dès lors que des propos « publics » sont susceptibles de porter atteinte à l’image de l’entreprise. A ce titre, il a été admis la production en justice par l’employeur, des propos d'un salarié tenus sur un « mur » public de Facebook (Lyon, 24 mars 2014, n° 13/03463).

Il a par ailleurs été jugé que des informations recueillies sur le profil Facebook d'un salarié en utilisant le portable professionnel d'un autre salarié ne sont pas recevables car l'employeur ne peut y accéder sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée du salarié (Soc. 20 déc. 2017, n° 16-19.609).

L’arrêt du 12 septembre 2018 permet de préciser les contours de la liberté d’expression des salariés sur les réseaux sociaux. La chambre sociale a la même position que la première chambre civile sur le sujet. Elle affirme, que les propos qui ne sont accessibles qu’à des personnes agréées et peu nombreuses, relèvent du cadre privé, et ne peuvent constituer une faute et un motif de sanction. A l’inverse, les propos accessibles à tout internaute, ou, à un très grand nombre de personnes agréées, ont un caractère public, et, s’ils nuisent à l’image de l’entreprise, peuvent constituer une faute justifiant le licenciement d’un salarié.

Soc. 12 septembre 2018, n° 16-11.690

Références

■ Civ. 1re, 10 avr. 2013, n° 11-19.530 P : D. 2013. 1004 ; ibid. 2014. 508, obs. E. Dreyer.

■ Lyon, 24 mars 2014, n° 13/03463

■ Soc. 20 déc. 2017, n° 16-19.609 : JA n° 573/2018, p. 11 ; Dalloz IP/IT 2018. 315, obs. G. Péronne et E. Daoud.

 

Auteur :Quentin Mlapa


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