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Droit du travail - relations individuelles
L’identité de « l’employeur » en droit disciplinaire
L'employeur, en droit disciplinaire, s'entend non seulement du titulaire du pouvoir disciplinaire mais également du supérieur hiérarchique du salarié.
Soc. 23 juin 2021, n° 20-13.762
Soc. 23 juin 2021, n° 19-24.020
En droit du travail, il est essentiel de distinguer l’employeur du chef d’entreprise.
L’employeur désigne la partie au contrat de travail et le titulaire du pouvoir de direction. Il est donc l’auteur des actes affectant le salarié et le défendeur aux actions en justice qui concernent la relation de travail. Il peut s’agir d’une personne physique ou - plus souvent - d’une personne morale.
Le chef d’entreprise renvoie à la personne physique (président, gérant…) qui représente la personne morale et qui assure au nom et pour le compte de cette entité, l’exercice de diverses prérogatives juridiques. Le Code du travail ne prend pas la peine d’attribuer explicitement le pouvoir de sanctionner à l’employeur. Ce pouvoir se découvre en creux, à la lecture des dispositions relatives au droit disciplinaire, objet du titre III du Livre 1, qui viennent borner le prononcé d'une sanction. Ainsi, l’article L. 1332-4 du Code du travail énonce « qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuite disciplinaires au-delà d’un délai de 2 mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance ». Une autre garantie importante est déduite par la Cour de cassation de l’article L. 1331-1 du Code du travail : l’épuisement du pouvoir disciplinaire. « Dès lors que l’employeur, ayant connaissance de divers faits commis par le salarié choisit de n’en sanctionner que certains, il ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction » (Soc. 25 sept. 2013, n° 12-12.976). Ces deux garanties s’ancrent sur la connaissance des faits par « l’employeur ». Cerner l’identité de cette personne est par conséquent essentiel puisque selon l’interprétation retenue, le salarié pourra ou non bénéficier du droit à l’oubli.
Dans une première affaire, un salarié dénigre son employeur au cours d’une réunion qui se déroule le 6 avril 2012, en présence du responsable de la formation. Ce dernier, qui ne dispose d’aucune compétence disciplinaire, en informe sa hiérarchie le 17 avril. Le salarié est convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement le 7 juin. L’enjeu du débat consiste à identifier la date de la connaissance des faits par « l’employeur ». Est-ce le 6 avril - et dans ce cas les faits fautifs sont prescrits - ou le 17 avril ?
Dans la seconde affaire, un salarié est surpris le 30 décembre 2012 enfermé à clé dans la chambre d’une résidante dépendante. L’infirmière coordinatrice est avisée immédiatement du problème mais n’en informe sa hiérarchie que le 15 janvier. Après une mise à pied conservatoire déclenchée le 18 janvier, il est licencié pour faute grave le 4 février. Parallèlement, ce même salarié fait l’objet d’un avertissement écrit le 4 janvier pour des absences injustifiées constatées en novembre. Là encore, l’essentiel consiste à déterminer la date de connaissance des faits par « l’employeur ». Si on considère que les faits commis le 30 décembre étaient connus de l’employeur à cette date, il a épuisé son pouvoir disciplinaire en ne sanctionnant que les retards le 4 janvier et en « oubliant » la violation des règles déontologiques de l’établissement. À l’inverse, si la date de connaissance des faits est fixée au 15 janvier, les faits commis le 30 décembre peuvent valablement être sanctionnés.
Il est évident que lorsque l’employeur est une personne morale, la connaissance des faits implique l’information d’une personne physique. Mais comme il est question de l’exercice par délégation du pouvoir disciplinaire, on pourrait considérer que les faits doivent être connus du représentant légal, c’est-à-dire du chef d’entreprise ou du moins, d’une personne titulaire d’une délégation de pouvoir l’habilitant officiellement à prendre une sanction. Ce n’est pourtant pas l’option retenue par la Cour de cassation dans ces deux affaires. Selon les magistrats, la référence à l’employeur, s’entend « non seulement du titulaire du pouvoir disciplinaire mais également du supérieur hiérarchique du salarié, même non titulaire de ce pouvoir ». La solution n’est pas nouvelle. Dès 1997, la chambre sociale réfutait l’idée que l’employeur ne devait être réputé informé que lorsqu’un un délégataire de pouvoir l’était (Soc. 30 avr. 1997, n° 94-41.320). En 2005, le Conseil d’État adoptait une formule un peu ambigüe : « l'employeur doit être entendu comme pouvant être non seulement le représentant légal de l'entreprise investi du pouvoir disciplinaire mais également le représentant de ce dernier ayant qualité pour prendre l'initiative d'une action disciplinaire » (CE 9 mars 2005, n° 253458). On pouvait se demander qui était exactement le représentant visé.
La formule retenue par la chambre sociale de la Cour de cassation dans les deux arrêts commentés se veut plus franche : il suffit que le supérieur hiérarchique du salarié soit informé. Mais encore faut-il vérifier qu’il s’agit bien d’un supérieur.
Ainsi, dans la première affaire, l’arrêt de la cour d’appel est cassé car les juges du fond ont omis de vérifier que le responsable de la formation avait bien cet ascendant hiérarchique. Dans la seconde affaire, il n’était pas contesté que l’infirmière coordinatrice avait cette qualité. Ainsi, la personne qui « a qualité pour prendre l’initiative d’une action disciplinaire » n’est pas nécessairement celle qui a qualité pour prononcer la sanction (sur la délégation de ce pouvoir, qui peut découler des fonctions : Ch. mixte 19 nov. 2010, n° 10-30.215).
Aussi, le supérieur hiérarchique, lorsqu’il n’a pas qualité pour engager lui-même la procédure disciplinaire, doit informer au plus vite sa propre hiérarchie. La solution se révèle très protectrice des intérêts du salarié puisque l’employeur ne pourra pas invoquer son organisation managériale pour plaider son absence de connaissance des faits.
Références
■ Soc. 30 avr. 1997, n° 94-41.320 P : D. 1998. 53, note C. Puigelier ; Dr. soc. 1998. 25, note A. Coeuret
■ Ch. mixte 19 nov. 2010, n° 10-30.215 P : D. 2011. 344, note F. Marmoz ; ibid. 123, chron. V. Vigneau ; ibid. 314, point de vue A. Outin-Adam et M. Canaple ; ibid. 1246, obs. G. Borenfreund, E. Dockès, O. Leclerc, E. Peskine, J. Porta, L. Camaji, T. Pasquier, I. Odoul-Asorey et M. Sweeney ; Rev. sociétés 2011. 34, note P. Le Cannu ; Dr. soc. 2011. 382, note A. Coeuret et F. Duquesne ; RTD com. 2011. 130, obs. B. Dondero et P. Le Cannu
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