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[ 10 avril 2014 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

L’imitation n’autorise pas l’identification

Mots-clefs : Droit au respect de la vie privée et familiale, Droit à l'anonymat, Droit au respect de son identité, Droit au respect de sa filiation et de ses liens de parenté

Le droit à la satire n’autorise pas de porter atteinte à la vie privée et familiale d’un enfant en permettant son identification et en révélant sa filiation.

Un célèbre imitateur avait, dans le contexte de sa chronique satirique qu'il anime quotidiennement sur les ondes d’une station de radio, contrefait la voix de la fille d’une responsable politique, pour imaginer un dialogue visant à caricaturer et se moquer de son grand-père, ancien chef de parti politique.

Les parents de l’enfant, agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fille, avaient assigné l’imitateur et la société radiophonique en dommages-intérêts pour atteinte à leur vie privée et familiale.

Pour les débouter de leur demande, la cour d’appel, rappela tout d’abord qu'il appartient au juge de concilier la liberté de l'information avec le droit de chacun au respect de sa vie privée.

Elle releva, ensuite, que les propos litigieux avaient été tenus en direct dans un sketch radiophonique par un imitateur humoriste ; que la scène ayant été purement imaginaire et caricaturale, aucune confusion n’avait pu être possible pour les auditeurs avec une véritable émission d'information ; qu’enfin, le recours à l'enfant n'avait été qu'une façon, pour l'humoriste, de brocarder l’ancien président du parti politique, tout en précisant qu’un homme politique se doit de faire preuve d'une grande tolérance, d'autant plus lorsqu'il est connu pour ses positions polémiques.

Selon la Cour, l’imitateur s’était livré, en l'espèce, certes en des termes outranciers et provocateurs, dans une émission à vocation comique et parodique, à une satire humoristique et caricaturale exclusive d'une atteinte à l'intimité de la vie privée et que, pour singulier que fut le choix opéré par ce dernier d'utiliser la figure symbolique d'une petite-fille pour faire rire de son grand-père, la convention de lecture inhérente à un sketch de cette nature, comme la recherche d'un effet comique résultant de l'invraisemblance de la scène, excluaient toute atteinte à la vie privée de l'enfant. Elle poursuit en soulignant : que la voix utilisée n'avait pas été celle de l’enfant ; qu’aucune information n'avait été livrée sur son compte autre que son prénom et son âge approximatif, toutes choses qui, comme son ascendance, relèvent de son état civil ; qu’enfin, le caractère imaginaire manifeste contredisait l’idée que les sentiments supposés de l'enfant, ou le type de relations qu'elle entretient avec son grand-père ou ce dernier avec elle, pussent être ainsi révélés au public.

Particulièrement motivée, cette décision se trouve néanmoins cassée par la première chambre civile au visa, emblématique du contrôle de proportionnalité opéré, des articles 9 du Code civil et 10 de la Conv. EDH.

La Haute cour affirme que le droit de chacun au respect de sa vie privée et familiale s'oppose à ce que l'animateur d'une émission radiophonique, même à dessein satirique, utilise la personne de l'enfant et exploite sa filiation pour lui faire tenir des propos imaginaires et caricaturaux à l'encontre de son grand-père ou de sa mère, fussent-ils l'un et l'autre des personnalités notoires et dès lors, légitimement exposées à la libre critique et à la caricature incisive. Or, en l’espèce, même si les noms des parents de la petite fille n'avaient pas été cités, celle-ci avait néanmoins été rendue identifiable en raison de la référence à son âge, à son prénom exact et celui de sa mère, ainsi qu’au tic de langage de son grand-père.

Protégeant la tranquillité des personnes, le droit au respect de la vie privée implique nécessairement le droit à l'anonymat (v. J. Pousson-Petit ; J.-Ch. Saint-Pau). Certaines déclinaisons de ce droit sont d’ailleurs légalement consacrées : liberté d'accoucher sous X (C. civ., art. 326, CASF., art. L. 222-6), liberté de ne pas signer une œuvre littéraire et artistique (CPI, art. L. 113-6).

Mais au-delà d'être une simple liberté de révéler son identité, ce droit à l'anonymat se traduit par la prérogative plus précise de s'opposer à la recherche, à la divulgation ou même à la suggestion de l'identité civile (physique et économique également) de la personne, mineure ou majeure, prérogative dont la violation ouvre droit à réparation sur le fondement de l'article 9 du Code civil.

Cette perspective s'inscrit dans la jurisprudence européenne (v. p. ex., CEDH 8 janv. 2009, Schlumpf c/ Suisse, § 100) qui précise que la notion de vie privée peut parfois englober des aspects de l'identité physique et sociale d'un individu (CEDH 7 févr. 2002, Mikulic c/ Croatie, § 53).

Ainsi, le nom comme le prénom, s’ils sont des attributs publics de la personnalité en ce qu’ils permettent aux autorités et aux tiers d'identifier la personne, constituent également des informations personnelles et, à ce titre, protégées. La publicité légale donnée à cet élément de la personnalité, notamment celle résultant de l'État civil, n'empêche en rien, comme le rappelle ici la Haute cour, que la divulgation ou la suggestion non consenties de l'identité puissent constituer une atteinte à sa vie privée.

Aussi la Cour réaffirme-t-elle le principe selon lequel les informations relatives aux liens de parenté et de filiation sont personnelles et donc protégées au nom du respect dû à la vie privée et familiale (v. déjà Civ. 2e, 14 nov. 1975, énonçant que « quelle que soit la personne envisagée, des renseignements relatifs à ses ascendants, conjoints et descendants relèvent, en tout état de cause, de la vie privée »), la divulgation d'informations relatives à la filiation étant aussi, d’ailleurs, parfois pénalement sanctionnée (L. 29 juill. 1881, art. 39 et 39 quarter).

Civ. 1re, 20 mars 2014, n°13-16.829

Références

■ Code civil

Article 9

« Chacun a droit au respect de sa vie privée.

Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée; ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »

Article 326

« Lors de l'accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé. »

■ Article 10 de la Convention européen des droits de l’homme

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité 12 13nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

■ Article L. 222-6 Code de l’action sociale et des familles

« Toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité par un établissement de santé est informée des conséquences juridiques de cette demande et de l'importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire. Elle est donc invitée à laisser, si elle l'accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. Elle est informée de la possibilité qu'elle a de lever à tout moment le secret de son identité et, qu'à défaut, son identité ne pourra être communiquée que dans les conditions prévues à l'article L. 147-6. Elle est également informée qu'elle peut à tout moment donner son identité sous pli fermé ou compléter les renseignements qu'elle a donnés au moment de la naissance. Les prénoms donnés à l'enfant et, le cas échéant, mention du fait qu'ils l'ont été par la mère, ainsi que le sexe de l'enfant et la date, le lieu et l'heure de sa naissance sont mentionnés à l'extérieur de ce pli. Ces formalités sont accomplies par les personnes visées à l'article L. 223-7 avisées sous la responsabilité du directeur de l'établissement de santé. A défaut, elles sont accomplies sous la responsabilité de ce directeur.

Les frais d'hébergement et d'accouchement des femmes qui ont demandé, lors de leur admission dans un établissement public ou privé conventionné, à ce que le secret de leur identité soit préservé, sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département siège de l'établissement.

Sur leur demande ou avec leur accord, les femmes mentionnées au premier alinéa bénéficient d'un accompagnement psychologique et social de la part du service de l'aide sociale à l'enfance.

Pour l'application des deux premiers alinéas, aucune pièce d'identité n'est exigée et il n'est procédé à aucune enquête.

Les frais d'hébergement et d'accouchement dans un établissement public ou privé conventionné des femmes qui, sans demander le secret de leur identité, confient leur enfant en vue d'adoption sont également pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département, siège de l'établissement. »

■ Article L. 113-6 Code de la propriété intellectuelle

« Les auteurs des œuvres pseudonymes et anonymes jouissent sur celles-ci des droits reconnus par l'article L. 111-1.

Ils sont représentés dans l'exercice de ces droits par l'éditeur ou le publicateur originaire, tant qu'ils n'ont pas fait connaître leur identité civile et justifié de leur qualité.

La déclaration prévue à l'alinéa précédent peut être faite par testament; toutefois, sont maintenus les droits qui auraient pu être acquis par des tiers antérieurement.

Les dispositions des deuxième et troisième alinéas ne sont pas applicables lorsque le pseudonyme adopté par l'auteur ne laisse aucun doute sur son identité civile. »

■ Loi du 29 juillet 1881

Article 39

« Il est interdit de rendre compte des procès en diffamation dans les cas prévus aux paragraphes a, b et c de l'article 35 de la présente loi. Il est pareillement interdit de rendre compte des débats et de publier des pièces de procédures concernant les questions de filiation, actions à fins de subsides, procès en divorce, séparation de corps et nullités de mariage, procès en matière d'avortement. Cette interdiction ne s'applique pas au dispositif des décisions, qui peut toujours être publié.

Les dispositions qui précèdent ne s'appliquent pas aux publications techniques à condition que soit respecté l'anonymat des parties.

Dans toutes affaires civiles, les cours et tribunaux pourront interdire le compte rendu du procès.

Il est également interdit de rendre compte des délibérations intérieures, soit des jurys, soit des cours et tribunaux.

Toute infraction à ces dispositions sera punie d'une amende de 18 000 euros. »

Article 39 quarter

« Il est interdit, moins de trente ans après la mort de l'adopté, de publier par le livre, la presse, la radiodiffusion, le cinématographe ou de quelque manière que ce soit, une information relative à la filiation d'origine d'une personne ayant fait l'objet d'une adoption plénière.

Les infractions à la disposition qui précède sont punies de 6 000 euros d'amende ; en cas de récidive un emprisonnement de deux ans pourra être prononcé. »

 CEDH 8 janv. 2009, Schlumpf c/ Suisse, n°29002/06, § 100.

■ CEDH 7 févr. 2002, Mikulic c/ Croatie, n° 53176/99, § 53.

 Civ. 2e, 14 nov. 1975, D. 1976. Jur. 421, note B. Edelman.

■ J. Pousson-Petit, Le droit à l'anonymat, Mélanges L. Boyer, PUT, 1996, p. 596.

■ J.-Ch. Saint-Pau, L'anonymat et le droit, thèse Bordeaux IV, 1998.

 

Auteur :M. H.

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