Actualité > À la une
À la une
Droit des obligations
Limite à l’obligation d’information du banquier prestataire de services d’investissement
Mots-clefs : Banque, Prestataire de services d’investissement, Opérations de couverture, Mise en garde, Obligation d’information, Objet, Profit escompté de l’opération (non)
Une banque n’a pas le devoir d'informer son client du profit qu’elle escompte retirer de l’opération conclue.
Une société ayant pour activité principale l'extraction et l'exportation de minerai de nickel avait entrepris de se couvrir contre le risque de baisse du cours du nickel. Dans cette perspective, elle avait conclu avec une banque plusieurs contrats de couverture contre ce risque, prenant la forme d'opérations sur produits dérivés à prime nulle (qui ne donnent lieu au versement d'aucune prime ni d'aucune commission), ayant fait l’objet, un an après leur souscription, d’une restructuration à l’effet d’adapter la couverture à l’évolution du marché.
Contestant les conditions de la souscription et d'exécution de ces opérations, la société avait sollicité la résolution de celles-ci pour vice du consentement, ainsi que le versement de dommages-intérêts pour manquement de la banque à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde.
La cour d’appel fit partiellement droit à ses demandes. Elle considéra que la preuve du dol n'était pas apportée, celui-ci ne pouvant être déduit du seul manquement de la banque à une obligation d'information sur sa marge commerciale, d'autant plus que l’intention malicieuse de l’établissement bancaire n’avait pu être établie et que la preuve du caractère déterminant du consentement de la société que la connaissance de cette marge rémunératrice aurait eu pour les opérations de couverture litigieuses n’avait pas davantage été rapportée. Mais elle jugea aussi, pour en conclure ainsi, que la banque avait bien « le devoir d'informer son client de [la] manière dont elle va se rémunérer pour sa prestation même dans le cadre d'opération à prime nulle par loyauté et transparence », ainsi qu'une obligation de conseil l'obligeant à proposer à son client des opérations adaptées à ses objectifs.
La société forma alors un pourvoi en cassation.
Elle invoquait tout d’abord le manquement de la banque à son devoir de mise en garde. L’argument est évidemment rejeté par la Cour : les opérations de couverture n’étant pas, par le seul fait qu'elles présentent un aléa, des opérations spéculatives, la banque ne pouvait être tenue, dans ces conditions, d’un devoir de mise en garde sur les risques encourus par la société, malgré sa qualité d’investisseur profane.
Elle rejette ensuite le moyen tiré du manquement par la banque à son obligation d’information. Au visa de l’article 1147 du Code civil, elle juge que l’établissement bancaire, « qui est partie à une opération de couverture à prime nulle contre le risque de fluctuation du cours de matières premières, n’est pas tenue de révéler à son cocontractant le profit qu’elle compte retirer de cette opération ». En conséquence, si la banque avait bien l’obligation d’informer son client des « obligations financières résultant (…) des opérations de couverture à prime nulle litigieuses », ce qu’elle avait valablement exécuté, elle n’avait pas à l’informer des « méthodes utilisées afin d’en retirer un profit ».
La censure de la décision de la cour d’appel de Paris était tout à fait prévisible.
L'affirmation selon laquelle le prestataire de services d’investissement serait débiteur d'une obligation d'information sur la manière dont il va se rémunérer, en vertu d'un principe de loyauté et de transparence, révélait une exploitation maladroite, pour ne pas dire abusive, de concepts standards dont la généralité ne doit cependant pas pouvoir justifier la création prétorienne d'une obligation de révélation qui n’est prévue par aucun des textes spéciaux applicables aux prestataires de services d’investissement (loi et règlement général de l’AMF).
Illégitime, une telle obligation aurait été, en outre, contradictoire avec le refus d’annulation des contrats pour réticence dolosive opposé à la société par les juges du fond, alors que celle-ci reprochait à la banque de lui avoir caché l'existence de sa rémunération. Même s'il est vrai que le simple manquement à une obligation précontractuelle d'information ne suffit pas à constituer le dol, lequel suppose également la démonstration d’une intention dolosive, à supposer que le silence gardé par la banque sur les informations relatives à sa marge commerciale constitue une déloyauté, au sens du droit financier comme du droit contractuel, la preuve du dol aurait dû considérée comme rapportée sitôt prouvé le défaut d'information, révélateur en lui-même d’une intention malicieuse puisque « déloyale ».
Or les juges du fond avaient admis que la banque était dépourvue d'une telle intention. L’atteinte prétendue au principe de loyauté ne pouvait donc que difficilement convaincre les Hauts magistrats.
Par ailleurs, l’objet de l’obligation d’information n’ayant pas été clairement précisé par les juges du fond, ce dernier pouvait alors soit porter sur le coût implicite de la couverture, soit sur la marge commerciale strictement entendue de la banque. Dans les deux cas, l’analyse était erronée.
Pour le premier, elle l’était par omission du fait qu’un tel coût est consubstantiel au mécanisme des options à prime nulle et que la démonstration de ce que la société avait, en l’espèce, été dûment informée de leur fonctionnement suffisait à considérer le devoir d'information de la banque comme valablement rempli.
Pour le second, elle l’était également par contradiction à la règle selon laquelle le prestataire de services d’investissement est en droit, pour les opérations qu’il réalise, comme en l’espèce, pour son compte propre, de rechercher la meilleure rémunération possible sans avoir à faire prévaloir l'intérêt de son client. L’obliger à informer son client de sa marge et des éléments entrant dans son calcul contredirait ce principe et conduirait, en outre, à l’engagement systématique de la responsabilité du prestataire de services d’investissement s’il devait, pour délivrer la bonne information, individualiser la rémunération de chaque opération alors qu'il procède à une gestion globale de son portefeuille de positions, en fonction des opportunités du marché (V., S. Torck)
Com. 17 mars 2015, n° 13-25.142
Références
■ Code civil
« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
■ S. Torck, Dr. sociétés 2014, n° 4, étude 7.
Autres À la une
-
[ 20 décembre 2024 ]
À l’année prochaine !
-
Droit du travail - relations collectives
[ 20 décembre 2024 ]
Salariés des TPE : à vous de voter !
-
Droit du travail - relations individuelles
[ 19 décembre 2024 ]
Point sur la protection de la maternité
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 18 décembre 2024 ]
PMA post-mortem : compatibilité de l’interdiction avec le droit européen
-
Droit de la famille
[ 17 décembre 2024 ]
GPA : l’absence de lien biologique entre l’enfant et son parent d’intention ne s’oppose pas à la reconnaissance en France du lien de filiation établi à l'étranger
- >> Toutes les actualités À la une