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Droit des personnes
Limite au droit à l’image de la personne filmée
Mots-clefs : Droit des personnes, Droits de la personnalité, Droit à l’image, Personne filmée, Lettre d’autorisation d’utilisation de l’image, Non-respect, Atteinte au droit à l’image (non)
L’auteur dont l’ouvrage contribue à un débat d’intérêt général, et qui n’est pas filmé, ni interviewé à son insu, ne peut demander réparation pour atteinte à son droit à l’image même si la diffusion de celle-ci, uniquement à l’effet pour illustrer son témoignage, ne respectait pas les stipulations de la lettre d’autorisation d’utilisation d’image qu’il avait signée.
Un auteur avait accordé à une réalisatrice un entretien filmé. Un extrait a été inséré dans un documentaire diffusé sur une chaîne de télévision. Contrairement aux termes de la lettre d'autorisation d'utilisation d'image qu'il avait signée, l’auteur n’a pas été préalablement invité à le visionner. Invoquant l'atteinte ainsi portée au droit dont il disposait sur son image, il a assigné les sociétés productrices de l’émission en réparation du préjudice en résultant.
La cour d’appel a rejeté sa demande indemnitaire fondée sur les dispositions de l'article 9 du Code civil, au motif qu'aucune atteinte n'avait été portée à l'image de l'intéressé, dès lors que l'intervention de celui-ci, dans le débat d'idées faisant l'objet du documentaire litigieux, était d'intérêt général.
Au soutien de son pourvoi en cassation, la prétendue victime fait valoir que seules les dispositions de l'article 9 du Code civil, à l'exclusion notamment du Code de la propriété intellectuelle, sont applicables en matière de cession du droit à l'image, convention relevant de la liberté contractuelle pour la définition des conditions et limites dans lesquelles l'autorisation d'exploitation est consentie et pour la détermination d'une éventuelle rémunération.
Or en l’espèce, les termes de la lettre d'autorisation d'utilisation d'image – qui prévoyait qu'à défaut de pouvoir visualiser préalablement la ou les séquences retenues lors du montage de l'émission, aucune prise de vue de l'entretien ne saurait être diffusée – ont été méconnus, la réalisatrice ne le lui ayant pas fait visionner l’entretien avant sa diffusion, ce dont il résultait nécessairement que son droit à l'image avait été également méconnu.
Le pourvoi est rejeté. La Cour déduit des constatations des juges du fond que le demandeur n'avait pas été filmé à son insu, qu'il avait accepté de répondre aux questions de la réalisatrice destinées à connaître sa position sur l'ouvrage, objet de l’entretien, publié dans la revue qu'il dirigeait, et que cet entretien s'inscrivait dans un débat d'idées d'intérêt général sur le retentissement actuel dudit ouvrage, ainsi que sur la remise en cause par les milieux négationnistes de l'inauthenticité de ce document. Ainsi l'implication du demandeur dans ce débat justifiait-elle d'illustrer son témoignage par la diffusion de son image, qui n'avait pas été détournée du contexte dans lequel elle avait été fixée, sans qu'il y ait lieu de recueillir son autorisation et peu important, dès lors, que les stipulations de la « lettre d'autorisation d'utilisation d'image » aient été méconnues.
Ainsi la Cour commence-t-elle par relever que le demandeur n’avait pas été filmé à son insu, autrement dit, que son image n’avait pas été exploitée sans qu’il n’y ait préalablement consenti. En effet, il reste extrêmement difficile d'utiliser commercialement l’image d’une personne sans en avoir obtenu le consentement préalable. La tolérance ne concerne que des images largement propagées ou obtenues dans un cadre public. À défaut, une autorisation expresse demeure nécessaire (Civ. 1re, 9 juill. 2009: l'utilisation de l'image d'une personne pour en promouvoir les œuvres doit avoir été autorisée par celle ci, et la reproduction de la première, au soutien de la vente des secondes n'est pas une « information » à laquelle le public aurait nécessairement droit au titre de la liberté d'expression).
Or les reportages, écrits ou filmés, les documentaires ou, encore, les émissions télévisées font généralement appel à des attributs de la personnalité d'autrui, tels que l’image ou la voix. Cependant, et quels que soient leurs mérites informatifs, les nécessités de l'information ne peuvent être satisfaites que par la fixation d'images autorisées et par celles de clichés pris régulièrement, ce qui était en l’espèce le cas.
Cependant, la prohibition de l'exploitation de l'image d'autrui connaît des limites de plus en plus nombreuses, nées de la nécessaire mise en balance entre les droits de la personnalité, dont le droit à l’image, et le droit à l'information du public, nouveau droit subjectif, ces droits ayant une identique valeur normative.
Ainsi l’atténuation du droit à l’image a-t-elle, en partie, été causée par la naissance, sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 24 juin 2004, Van Hannover c/ Allemagne : « l’élément déterminant, lors de la mise en balance de la protection de la vie privée et de la liberté d’expression, doit résider dans la contribution que les photos et articles publiés apportent au débat d’intérêt général »), de la notion de débat d’intérêt général, laquelle, couplée à celle d’«événement d’actualité », conduit à rendre légitimes des comportements pourtant attentatoires à la vie privée ou à l’image.
La jurisprudence justifie ainsi maintenant la publication, même non autorisée, d'informations ou d'images dès lors qu’elles sont susceptibles de satisfaire l'intérêt légitime du public.
En l’espèce, l’absence d’autorisation par le demandeur à la diffusion de son image est considérée par la Cour de cassation comme légitime dès lors qu’elle permettait d’illustrer son témoignage, qui s’inscrivait dans un « débat d’idées d’intérêt général ».
En outre, l’image, en l’espèce, utilisée n’avait pas été détournée de son contexte. En effet, la publication d'une image sans rapport direct avec le débat d’intérêt général, révélant un détournement de l'usage pour lequel la photographie a été prise, ni une dénaturation de l'image de ceux qui y sont représentés, est dans tous les cas prohibée.
Civ. 1re, 9 avril 2015, n° 14-13.519
Références
■ Code civil
« Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
■ Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 07-19.758, RTD civ. 2009. 695, note J. Hauser.
■ CEDH 24 juin 2004, Van Hannover c/ Allemagne, aff. n° 59320/00, RTD civ. 2004. 802, note J. P. Marguénaud ; D. 2004. 2538, obs. J.-F. Renuci ; ibid. 2005. 340, note J.-L. Halpérin.
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