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[ 8 mars 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Limites à la restitution des fruits en cas d’anéantissement du contrat

Bien que la restitution des fruits générés par le bien depuis la vente constitue une conséquence légale de l'anéantissement du contrat, sa subordination à la bonne foi du possesseur justifie que celle-ci ne puisse être prononcée d’office par le juge.

Civ. 3e, 11 févr. 2021, n° 20-11.037

Si la restitution des fruits générés par le bien est légalement consécutive à l'anéantissement du contrat, elle est subordonnée à la bonne foi du possesseur, condition qu'une société civile immobilière (SCI) ayant vendu un immeuble à usage d'habitation composé de deux appartements à un particulier vient d’apprendre à ses dépens. Ce dernier, invoquant une absence de raccordement de l’un des deux appartements au réseau d'assainissement collectif ainsi que la présence d'étais de chantiers dans les cloisons, assigne la SCI en résolution de la vente pour vices cachés et en indemnisation de ses préjudices. Les juges du fond ayant ordonné la seule restitution de l'immeuble vendu en conséquence de la résolution de la vente, la SCI se pourvoit en cassation à l’effet d’obtenir également le remboursement des loyers et des avantages fiscaux, fruits générés par le bien dont l'acquéreur a bénéficié durant l’exécution du contrat. 

Au soutien de son pourvoi, elle avance que la restitution des fruits tirés du bien vendu étant une conséquence légale de la résolution de la vente, le juge qui prononce cette résolution est tenu de condamner le vendeur à restituer à l'acquéreur, en même temps que l'immeuble, les fruits de ce dernier entre la date de conclusion de la vente et la date de résolution. Or, pour refuser à la venderesse la restitution par l'acquéreur des loyers et des avantages fiscaux perçus avant le prononcé de la résolution, la cour d'appel s'est contentée de relever que la SCI n'avait formé aucune demande à ce titre dans le dispositif de ses conclusions. Selon la demanderesse, elle aurait dû tirer les conséquences légales de la résolution du contrat qu'elle prononçait en ordonnant d'office la restitution des fruits perçus par l'acquéreur entre la conclusion de la vente et sa résolution. La Cour de cassation rejette son pourvoi : si la restitution des fruits générés par le bien constitue une conséquence légale de l'anéantissement de la vente, elle n’en demeure pas moins attachée à la démonstration de la bonne foi du possesseur laquelle ne pouvait pas, en l’espèce, être caractérisée, la SCI n'ayant pas formé de demande en ce sens devant la juridiction d’appel qui a par conséquent limité à bon droit les conséquences de la résolution de la vente à la restitution du bien vendu. 

La résolution d’un contrat produit, on le sait, un effet rétroactif. L’acquéreur est réputé n’avoir jamais été propriétaire du bien litigieux. Cependant, s’il doit rendre le bien, les fruits qu’il a produits et qu’il a perçus dans l’intervalle, sont conservés par ce dernier, à condition qu’il soit de bonne foi. Partant, si un possesseur de bonne foi doit toujours restituer la chose à son légitime propriétaire, il peut conserver les fruits qu’elle a générés (C. civ., art. 549).

Au-delà du simple rappel procédural du principe du dispositif, l’arrêt rapporté tire également la conséquence logique des règles qui précèdent : la restitution des fruits, en tant qu’accessoires du bien vendu et en principe conservés par le possesseur de bonne foi, n’est donc pas consubstantielle à la résolution de la vente elle-même, en sorte que leur demande en restitution doit faire l’objet d’une demande particulière. À défaut de demande expresse en ce sens, la cour d’appel n’était donc pas en l’espèce tenue d’ordonner la restitution des fruits civils (loyers) en même temps que celle du bien vendu. Reprenant le raisonnement des juges du fond, la restitution du seul bien vendu se justifie, selon la Cour de cassation, par l’application de l’article 954, alinéa 2 du Code de procédure civile, cantonnant l’office du juge à ne statuer que sur les prétentions exposées dans le dispositif des conclusions. Cette interférence de la règle procédurale dans le jeu des restitutions limite naturellement la portée de la disparition rétroactive du contrat. Si la restitution des fruits générés par le bien depuis la vente constitue bien une conséquence « légale » de l’anéantissement du contrat (C. civ., art. 1352-3 ; Civ. 3e, 29 juin 2005, n° 04-12.987), le demandeur reste néanmoins tenu de solliciter, au surplus, le retour des fruits que la chose a procurés. 

« Légalement » ne signifie donc pas, ici, automatiquement. La formulation peut surprendre mais elle se comprend en raison de l’entremêlement, en cette matière, du droit des biens et du droit des contrats. Si contractuellement, les restitutions consécutives à la résolution de la vente devraient inclure mécaniquement les fruits de la chose (V. C. civ., art. 1614 et 1615), la règle générale du droit des biens, énoncée à l’article 549 empêche cette automaticité en faisant dépendre la restitution des fruits de la mauvaise foi du possesseur. D’ailleurs, depuis la réforme de 2016, les règles relatives à la résolution du contrat, et notamment aux restitutions des choses autres que monétaires, confortent le texte précité en prévoyant que la restitution inclut les fruits de la chose à compter d’une date variable selon que la chose a été reçue de mauvaise foi ou de bonne foi (C. civ., art. 1352-7). C’est dire que la restitution des fruits n’est pas inhérente à la demande en résolution de la vente elle-même et doit, pour cette raison, faire l’objet d’une prétention distincte. Demander la restitution des fruits d’une vente résolue relève donc d’une prétention autre que la demande en résolution du contrat, prenant ainsi la forme d’une demande accessoire ou nouvelle à la résolution elle-même. 

De manière plus contestable, la solution ici retenue avait déjà été dégagée pour régler le sort des restitutions consécutives à l’annulation d’une vente et s’opposer, à défaut de demande expresse en ce sens, à la restitution du prix, pourtant au cœur du contrat considéré (Civ. 1re, 6 févr. 2019, n° 17-25.859 : « l’annulation d’une vente entraînant de plein droit la remise des parties en l’état où elles se trouvaient antérieurement à sa conclusion, la cour d’appel n’était pas tenue, à défaut de demande expresse en ce sens, d’ordonner la restitution du prix en même temps que la reprise de la chose vendue » ; adde ; Civ. 1re, 12 févr. 2013, n° 11-27-030). En revanche, la règle ne s’était jamais véritablement imposée aux restitutions consécutives à la résolution d’un contrat : la restitution des fruits était alors souvent ordonnée sans que la mauvaise foi de celui qui les a reçues ne soit démontrée (Civ. 3e, 22 juill. 1992, n° 90-18.667 ; Civ. 3e, 29 juin 2005, n° 04-12.987). C’est tout l’intérêt de la décision rapportée de rappeler l’importance de cette condition à la restitution et de saisir cette occasion pour préciser l’office du juge en la matière.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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