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Procédure pénale
L’impartialité objective des juridictions pénales : équivalence des solutions de la chambre criminelle et de la Cour européenne des droits de l’homme
Mots-clefs : Impartialité, Procès équitable, Art. 6 § 1er Conv. EDH
Le simple fait qu’un juge ait pris, avant le procès, une décision relative à la détention provisoire ne peut, en soi, suffire à justifier que soit contestée son impartialité.
L’exigence d’impartialité posée à l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme se concrétise notamment par le biais des incompatibilités fonctionnelles qui s’analysent comme l’interdiction pour un juge de connaître d’une affaire dans laquelle il est déjà intervenu (par ex : un magistrat appartenant à la formation ayant rendu le 1er jugement ne peut siéger en appel dans la même affaire, Civ. 2e, 11 mars 2010). C’est également l’interdiction du cumul des pouvoirs de saisir, d’instruire et de statuer. Cela rejoint le principe de séparation des fonctions répressives du droit français mais aussi le bon fonctionnement du double degré de juridiction.
La Cour européenne des droits de l’homme ne retient pas un principe d’interdiction systématique du cumul de fonctions successives par un magistrat : « l’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de l’intéressé peuvent passer pour objectivement justifiées ». La Cour s’intéresse ainsi aux mesures adoptées par le juge avant le jugement :
– quand les mesures témoignent d’investigations sommaires, la Cour ne s’oppose pas au cumul de fonctions : un même juge peut ainsi statuer au provisoire puis sur le fond de l’affaire. En tout état de cause, il faut que les investigations menées n’aient pas conduit le magistrat à préjuger de la culpabilité de l’accusé ;
– quand les mesures témoignent d’investigations approfondies, la Cour s’oppose au cumul de fonctions parce que le juge s’est déjà fait une idée de l’issue du procès.
En l’espèce un individu, poursuivi et condamné pour agressions sexuelles par la cour d'appel de Fort-de-France, se plaignait du défaut d'impartialité du président et de deux conseillers de cette juridiction, qui avaient eu à connaître de son affaire antérieurement. Ces derniers avaient en effet composé la chambre de l’instruction qui avait confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire. Il allègue la violation de l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention.
La Cour de cassation ne fait pas droit à la revendication du demandeur au pourvoi estimant que « le grief de partialité des juges, formulé au moyen, et dont le bien-fondé ne saurait être établi par cette seule circonstance, demeure à l’état d’allégation ; Qu’en effet, le simple fait qu’un juge ait pris, avant le procès, une décision relative à la détention provisoire ne peut, en soi, suffire à justifier que soit contestée son impartialité ».
La chambre criminelle s’inscrit pleinement dans le prolongement de la jurisprudence européenne. Selon cette dernière, le simple fait qu'un juge ait déjà pris des décisions avant le procès, notamment au sujet de la détention provisoire, ne peut justifier en soi des appréhensions quant à son impartialité (CEDH 24 mai 1989, Hauschildt c. Danemark). En revanche, si les membres d'une chambre de l'instruction qui, pour se prononcer sur la détention provisoire d'une personne mise en examen, ont relevé des éléments de culpabilité à sa charge, ils ne peuvent ensuite, sans méconnaître l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention européenne, faire partie de la chambre des appels correctionnels saisie du fond de l'affaire (CEDH 22 avr. 2010, Chesne c. France).
Crim. 28 mars 2012, n°11-85.225, F-P+B
Références
[Procédure civile]
« Exigence déontologique et éthique inhérente à la fonction juridictionnelle : le juge doit bannir tout a priori, excluant pareillement faveur et préférence, préjugé et prévention, ne céder à aucune influence de quelque source qu’elle soit ; son obligation première est de tenir la balance égale entre les parties et de départager les prétentions en conflit uniquement par référence au droit, à l’équité, à la justice, sans autre considération.
Plusieurs mécanismes garantissent l’impartialité des juridictions civiles, en particulier, la récusation pour intérêt personnel, amitié, inimitié, les incompatibilités de fonctions avec les mandats politiques et autres professions, l’interdiction pour des époux de siéger dans le même tribunal, le renvoi pour suspicion légitime, le déport, l'inamovibilité des magistrats…
Selon la Cour EDH, l’exigence d’impartialité se dédouble. D’un côté, le tribunal doit être subjectivement impartial, aucun de ses membres ne manifestant de parti pris personnel; d’un autre côté, le tribunal doit être objectivement impartial, n’offrant aucune prise à un doute légitime. »
[Procédure pénale]
« Impératif procédural qui assure au justiciable le droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial. Il s’agit de garantir le droit à un procès équitable. La récusation d’un juge peut être réclamée et obtenue sur preuve de son manque d’impartialité.
Un magistrat ne peut siéger à la chambre d’accusation s’il avait précédemment examiné la valeur des charges qui pèsent sur “ l’inculpé ”; de même il ne peut participer au jugement des affaires dans lesquelles il a accompli un acte de poursuite comme membre du ministère public. À l’inverse, le juge de l’application des peines ayant fixé la peine de TIG peut siéger au sein du tribunal correctionnel qui doit statuer sur la violation de cette sanction; pareillement le juge des enfants peut dans la même affaire faire partie du tribunal pour enfants.
La chambre criminelle admettait avant une loi du 6 juillet 1989 le renvoi d’office d’une affaire devant une autre juridiction, et ce dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice; ainsi lorsqu’un juge d’instruction manifeste publiquement son hostilité à l’égard d’un “inculpé ”; depuis cette loi, la chambre criminelle retient la suspicion légitime dès lors qu’il y a un doute objectif sur l’impartialité d’un tribunal, par exemple, lorsqu’un magistrat du parquet d’une juridiction a été victime d’une infraction dont celle-ci est saisie.
Le président d’une cour d’assises ne peut manifester prématurément son opinion ni par des réflexions ni par des actes. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ Article 6 de la Convention européenne des droits de - Droit à un procès équitable
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
■ Civ. 2e, 11 mars 2010, n°08-19.320.
■ CEDH 24 mai 1989, Hauschildt c. Danemark, n°10486/83.
■ CEDH 22 avr. 2010, Chesne c. France, n° 29808/06, Dalloz actualité 7 mai 2010, obs. S. Lavric.
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