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[ 17 mai 2019 ] Imprimer

Droit pénal général

L’impératif de motivation attachée à la période de sûreté n’est pas rétroactif

Cette décision est l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler à la fois l’exigence de motivation attachée à la période de sûreté, ainsi que le caractère non rétroactif des lois de procédure accompagnées de leurs dispositions interprétatives. 

M. K est poursuivi pour infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment. Il est condamné le 7 mai 2018 par la cour d’appel de Paris des deux premiers chefs à l’exclusion de l’infraction de blanchiment à dix ans d’emprisonnement, assortis d'une période de sûreté fixée aux deux tiers de la peine. Il fait notamment grief à l’arrêt d’appel d’avoir rejeté plusieurs demandes en nullité notamment relatives à l’irrégularité de la saisine de la cour d’appel ainsi qu’à l’exception de nullité du mandat d’arrêt et des actes subséquents. Les cinq premiers moyens sont rejetés par la Cour de cassation. 

Le sixième moyen, bien qu’il soit également rejeté par la Cour de cassation, présente un intérêt particulier et justifie le lettrage (PBRI) de l’arrêt. Il se fonde sur la question de la motivation de la période de sûreté attachée à la peine, automatiquement mise en œuvre sans qu’il soit besoin de la prononcer expressément. Il était plus précisément question de la motivation de l’élévation de la période de sûreté aux deux tiers de la peine qui, en vertu de l’article 132-23 du Code pénal, doit faire l’objet d’une décision spéciale. 

En application des dispositions de l’article 132-23 du Code pénal, la cour d’appel avait assortie la peine de dix ans d’emprisonnement d’une période de sûreté des deux tiers. Pour justifier leur décision, les juges du fond se fondaient sur différents éléments qui leur permettaient d’établir la nécessité d’une peine d’emprisonnement ferme afin « de sanctionner de façon appropriée les délits commis à l’exclusion de toute autre sanction qui serait manifestement inadéquate ». Il était notamment fait référence à la nature des faits et à la personnalité de l’auteur, en état de récidive légale, ayant témoigné par son refus de s’exprimer devant les juges, une absence de volonté d’amendement ou de réinsertion sociale. L’on mesure à la lecture des arguments développés par la juridiction d’appel, une absence de référence expresse à la motivation de l’élévation de la période de sûreté, mais une argumentation seulement articulée autour de la nécessité de prononcer une peine d’emprisonnement ferme. 

Le pourvoi était alors fondé sur une exigence spéciale de motivation dès lors que le prononcé de la durée de la période de sûreté dépasse les prévisions de l’article 132-23 du Code pénal. En effet, celui-ci énonce que la durée de la période de sûreté est de la moitié de la peine ou, s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans. En l’espèce, la période de sûreté prononcée par les juges du fond dépassait ce quantum. Or, en vertu de l’article 132-23 du Code pénal, la période de sûreté peut être portée jusqu’aux deux tiers de la peine « par décision spéciale ». Il était donc reproché aux juges du fond de n’avoir pas, par décision spéciale, motivé « au regard des circonstances particulières de l’espèce, l’élévation de la période de sûreté ». 

La Cour de cassation rappelle l’interprétation de ces dispositions telle qu’issue de deux QPC à l’occasion desquelles le Conseil constitutionnel a dégagé plusieurs principes. Il est d’abord fait référence à la décision n° 2017-694 QPC du 2 mars 2018, postérieure à la décision de la Cour d’appel, en vertu de laquelle « la juridiction qui prononce une peine d’emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l’infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction ». Cette exigence de motivation d’une peine sans sursis est respectée par la Cour d’appel. Il est ensuite fait référence au point 9 de la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-742 QPC du 26 octobre 2018, postérieure à l’arrêt rendu par la Cour d’appel. Il résulte de cette décision que la période de sûreté constitue une modalité d’exécution de la peine. A ce titre, elle « présente un lien étroit avec la peine et l’appréciation par le juge des circonstances propres à l’espèce ». La Cour de cassation énonce à ce titre que, « faisant corps avec elle, elle doit faire l’objet d’une décision spéciale et motivée lorsqu’elle est facultative ou excède la durée prévue de plein droit », ce qui était le cas en l’espèce. Pourtant, pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation prend le soin de rappeler que ces textes sont des textes de procédure dont l’objectif est celui d’une bonne administration de la justice. Dès lors, la nouvelle interprétation qui les accompagne telle qu’issue des décisions rendues par le Conseil constitutionnel n’est pas d’effet rétroactif mais s’appliquera seulement aux décisions prononcées à compter du présent arrêt. 

Crim. 10 avril 2019, n° 18-83.709

Références

■ Cons. const. 2 mars 2018, n° 2017-694 QPC AJ pénal 2018. 192, note A.-G. Robert ; AJDA 2018. 1561, note M. Verpeaux ; D. 2018. 1191, note A. Botton ; ibid. 1611, obs. J. Pradel ; ibid. 2259, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire ; Constitutions 2018. 261, chron. A. Ponseille ; RSC 2018. 981, obs. B. de Lamy

■ Cons. const. 26 oct. 2019, n° 2018-742 QPC : D. 2018. 2091 ; AJ pénal 2018, p. 589, note L. Grégoire. 

 

Auteur :Chloé Liévaux

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