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[ 3 juillet 2020 ] Imprimer

Procédure pénale

L’impossibilité matérielle de prononcer un aménagement de peine, support de l’exigence de motivation

Entrée en vigueur le 24 mars dernier, la dernière rédaction de l’article 132-19 du Code pénal impose notamment d’aménager toute peine d’emprisonnement prononcée sans suris sauf impossibilité matérielle. Cet impératif s’accompagne d’une exigence de motivation qui impose aux juridictions de spécialement motiver sa décision. La Cour de cassation réduit la portée de ces impératifs en ce qu’elle considère que des éléments non actualisés, insuffisamment précis et non vérifiés suffisent à établir l’impossibilité matérielle et remplir par voie de conséquence, l’exigence de motivation. Cette décision dissimule la portée restrictive de ces dispositions sous le couvert d’une référence à l’application des lois de formes dans le temps.  

M. A. est poursuivi pour des faits de violences habituelles commis à l’encontre de M. C. alors qu’il était l’actuel ou l’ancien conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte de solidarité.

 Le tribunal correctionnel le déclare coupable et le condamne à quatre ans d’emprisonnement dont deux ans avec sursis et mise à l’épreuve. Conjointement avec le ministère public, M. A. interjette appel de cette décision. 

La Cour d’appel confirme le jugement de première instance et condamne M. A. 

Le pourvoi en cassation porte sur l’impératif de motivation tel qu’il résulte de l’article 132-19 du Code pénal résultant de la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019. Cette dernière tend à renforcer l’efficacité et le sens de la peine. A ce titre, elle cherche notamment à rendre l’emprisonnement exceptionnel ainsi qu’à promouvoir la probation. En ce sens, l’article 132-19 du Code pénal impose entres autres de ne prononcer une peine d’emprisonnement sans sursis qu’en dernier recours « et si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ». Dans un tel cas, il impose également l’aménagement de peine si la personnalité et la situation du condamné le permettent et sauf impossibilité matérielle. L’impossibilité matérielle de prononcer un aménagement de peine doit faire l’objet d’une motivation spéciale qui impose au tribunal de « motiver sa décision au regard des faits de l’espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale ». C’est cette exigence de motivation spéciale qui semble ici faire défaut selon le moyen du pourvoi. 

La Cour d’appel avait à ce titre considéré que les éléments en sa possession n’étaient « pas suffisamment précis, actualisés et vérifiés pour apprécier la possibilité de prononcer dès à présent […] une mesure d’aménagement de peine ». Elle relève que les éléments connus concernant la personnalité et la situation matérielle familiale et sociale du condamné ne sont pas suffisamment précis, actualisés et vérifiés pour apprécier la possibilité de prononcer une telle mesure. Le moyen au pourvoi développe l’argumentaire selon lequel cette seule assertion n’est pas suffisante à répondre à l’exigence de motivation spéciale lors même que la cour d’appel n’aurait pas plus interrogé le prévenu comparant sur ces points. Il revenait alors à la Cour de cassation de se prononcer sur le contenu et la teneur de l’impossibilité matérielle, objet de motivation spéciale. La Cour de cassation estime ainsi que la cour d’appel a apprécié au vu des éléments recueillis la possibilité d’aménagement « au regard des exigences de l’article 132-19 du code pénal, dans sa rédaction alors en vigueur, et conclu à l’impossibilité matérielle d’aménager la peine, a justifié sa décision ». 

Plusieurs remarques viennent à l’esprit. D’une part, la Cour de cassation par cette formulation semble estimer que l’impossibilité matérielle d’aménager la peine d’emprisonnement sans sursis peut résulter des éléments à sa disposition qui ne sont pas suffisamment précis, actualisés et vérifiés. Par ailleurs, et par voie de conséquence, elle semble estimer que cette impossibilité matérielle est suffisante à remplir l’exigence de motivation spéciale du prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme. Il semble possible, et cela est le second point, de ne pas s’élever contre cette formulation en ce qu’elle ajoute une référence à la loi dans le temps renvoyant à l’article 132-19 du Code pénal dans sa version en vigueur au moment des faits. 

Si ce rappel du régime d’application des lois de formes dans le temps est tout à fait opportun, il semble qu’il ne soit pas de nature à rassurer quant à l’avenir des exigences prévues par la nouvelle mouture de l’article 132-19 du Code pénal. En effet, bien que les modifications apportées soient les bienvenues, il n’en demeure pas moins que la version en vigueur au moment des faits de cet article prévoyait également l’impératif d’un aménagement de peine obligatoire pour les peines d’emprisonnement ferme sauf « impossibilité matérielle ». Encore, il était également fait référence à cette exigence de motivation. La Cour de cassation avait déjà considéré que l’impossibilité d’ordonner une mesure d’aménagement de peine peut être caractérisée dans l’absence du prévenu régulièrement cité et faute d’éléments lui permettant d’apprécier la situation personnelle du prévenu. L’exigence de motivation spéciale semble tenir à peu de choses … 

Crim. 17 juin 2020, n° 19-85.559

Références

■ M. Lena, « Faire et défaire, c’est toujours peiner ! », AJ pénal 2020, p. 101.

■ D. Goetz, « Choix de la peine et motivation : qu’est-ce que la personnalité de l’auteur des faits ? », Dalloz actu. 19 mai 2020. 

■ D. Goetz, « Refus d’aménagement d’une peine d’emprisonnement : quelle motivation ? », Dalloz actu., 17 avr. 2019. 

 

Auteur :Chloé Liévaux


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