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Droit européen et de l'Union européenne
L’impossible effet direct vertical inversé pour les directives
Mots-clefs : Directive, Effet direct, Contentieux vertical, Acte de transposition, Sanction pénale, Invocabilité
Le droit de l’Union européenne pénètre toutes les branches du droit et s’impose comme un moyen classique de contestation d’une décision des juges du fond. La Cour de cassation a ainsi cassé et annulé un arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence pour avoir directement appliqué à un particulier une obligation issue d’une directive alors même que cette directive n’avait pas été correctement transposée. Or, au regard de l’article 288 TFUE et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE, il n’est pas possible d’invoquer une directive à l’encontre d’un particulier pour les autorités de l’État, notamment lorsque son application a pour effet de déterminer ou d’aggraver la responsabilité pénale. L’effet direct vertical inversé est ainsi écarté, plaçant la Cour de cassation dans la lignée de la jurisprudence européenne.
La directive adoptée au sein de l’Union européenne constitue une norme singulière dès lors qu’elle exige après son adoption, une mesure de transposition au sein de chaque État membre dans un délai imparti. Les États membres sont les seuls destinataires, les particuliers n’étant contraints que par l’acte de transposition. Dès lors, il est indispensable que la directive soit complètement et correctement transposée pour que les particuliers se voient opposer son contenu, toujours au travers de l’acte de transposition. En revanche, l’État peut être mis dans l’obligation de respecter la directive, indépendamment de la transposition, si la directive n’a pas été transposée dans le délai imparti et que les dispositions visées sont inconditionnelles et suffisamment claires et précises. De cette obligation découle la reconnaissance de l’effet direct vertical des directives par la Cour de justice dans l’arrêt Van Duyn (CJUE, 4 déc. 1974, Van Duyn, n° 41/74). La particularité de l’arrêt résidait dans l’invocabilité de la directive, non pas par un particulier à l’encontre de l’État (effet direct vertical), mais par l’État à l’encontre du particulier, en l’absence de transposition satisfaisante, c’est-à-dire de la mise en œuvre d’un possible effet direct vertical inversé.
A l’origine de ce pourvoi, un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui avait à se prononcer sur l’absence d’acquittement de droits sur les alcools par une pharmacie. La procédure a été initiée par l’administration des douanes poursuivant à la fois la pharmacie, personne morale, mais également le pharmacien. Relaxés devant le tribunal correctionnel, l’administration des douanes a interjeté appel. La cour d’appel a, cette fois, sanctionné les prévenus, d’une amende et de pénalités, en se fondant directement sur la directive 92/83/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur l'alcool et les boissons alcooliques qui subordonne l’exonération des droits sur l’alcool acquis par les pharmaciens au seul usage médical ou pharmaceutique dans les pharmacies. La cour d’appel s’est fondée exclusivement sur la directive, étant donné qu’elle a écarté l’article 27 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 précisant les conditions d’exonération des droits. L’incompatibilité de loi française résidait, selon la cour d’appel, dans la possibilité d’exonérer de droits l’alcool pur vendu aux clients alors que la directive prévoit seulement une exonération pour l’alcool pur utilisé au sein même de la pharmacie.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt pour méconnaissance des textes et des principes entourant l’invocabilité des directives. Dans le même temps, la Cour de cassation juge que la loi n’est pas incompatible avec la directive et qu’en tout état de cause le comportement des prévenus ne violait pas les dispositions en cause.
L’intérêt de l’arrêt porte essentiellement sur l’articulation du droit interne et du droit de l’Union dans l’hypothèse d’une invocabilité de la directive.
La chambre criminelle s’appuie expressément sur l’article 288 TFUE et la jurisprudence de la CJUE afin de démontrer l’incompatibilité du raisonnement des juges en appel. Les juges de cassation réaffirment qu’une directive ne peut pas créer des obligations à l’égard des particuliers, seul l’acte de transposition impose les obligations contenues dans la directive. Dès lors une directive ne peut être invoquée à l’encontre d’un particulier par les autorités d’un État membre, dont le ministère public, afin de déterminer ou d’aggraver la responsabilité pénale d’un particulier, y compris dans l’hypothèse où le prévenu a violé le contenu de la directive. Il n’est pas destinataire de la directive, elle ne peut en conséquence lui être opposable. La Cour de cassation s’appuie explicitement sur l’arrêt Kolpinghuis de la Cour de justice (CJCE, 8 oct. 1987, Kolpinghuis Nijmegen BV, n° 80/86). Aussi le fait d’écarter une loi incompatible avec une directive ne conduit pas à une substitution du droit interne par la directive, mais à un vide juridique, empêchant toute poursuite pénale sur ce fondement. Cette solution ne vaut que si l’État est à l’initiative de l’invocabilité de la directive. En effet, à l’inverse l’invocabilité est admise lorsque le particulier est à l’initiative et qu’il s’agit de faire prévaloir ses droits à l’encontre de l’État. La Cour de cassation retient une solution similaire à celle du Conseil d’État (CE 23 juin 1995, SA Lilly France, n° 149226).
Crim. 3 févr. 2016, Société Scepi pharmacie du Vallat, n° 14-85.198
Références
■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
Article 288 (ex-art. 249 TCE)
« Pour exercer les compétences de l'Union, les institutions adoptent des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis.
Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre.
La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.
La décision est obligatoire dans tous ses éléments. Lorsqu'elle désigne des destinataires, elle n'est obligatoire que pour ceux-ci.
Les recommandations et les avis ne lient pas. »
■ CJUE, 4 déc. 1974, Van Duyn, n° 41/74
■ CJCE, 8 oct. 1987, Kolpinghuis Nijmegen BV, n° 80/86.
■ CE 23 juin 1995, SA Lilly France, n° 149226, Lebon, AJDA 1995. 570 ; ibid. 496, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux ; RFDA 1995. 1037, concl. C. Maugüé ; RDSS 1997. 73, obs. J.-M. Auby et G. Viala.
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