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[ 12 février 2015 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

L’impossible rattrapage devant la Commission européenne pour une plainte rejetée par une autorité de concurrence

Mots-clefs : Abus de position dominante, Réseau européen de concurrence, Plainte, Rejet, Commission européenne, Autorité nationale de concurrence, Redevance

Le règlement n°1/2003 relatif à la mise en œuvre des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne instaure un réseau européen de concurrence comprenant la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence. La finalité de ce réseau est notamment d’organiser les interventions de ces autorités dans le but d’éviter des procédures parallèles aux solutions contradictoires. L’article 13, paragraphe 2, de ce règlement prévoit également la succession des interventions, dans l’hypothèse où l’autorité nationale a traité une plainte en choisissant de la rejeter. Le Tribunal précise que le rejet de la plainte n’impose pas à la Commission d’ouvrir une procédure, la plainte ayant déjà été traitée. En outre, le Tribunal rappelle qu’il n’a pas la compétence pour examiner la légalité d’une décision nationale, celle-ci relevant pour son contrôle des juridictions internes, il peut seulement être saisi des décisions des institutions, organes et organismes de l’Union.

La lutte contre les pratiques anticoncurrentielles est l’un des objectifs majeurs du droit de l’Union. Cependant afin que la lutte contre les ententes (TFUE, art. 101) et les abus de positions (TFUE, art. 102) soit efficace, il a été choisi au travers de l’adoption du règlement n°1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 de décentraliser l’application des règles de l’Union en imposant aux autorités nationales et aux juridictions nationales d’appliquer les articles 101 et 102 TFUE dans le cadre de contrôle a posteriori. Cependant cette habilitation oblige à organiser la mise en œuvre de ces dispositions pour éviter des procédures parallèles qui pourraient amener des décisions contradictoires.

C’est ainsi que le règlement instaure un réseau européen de concurrence pour définir les conditions d’intervention des autorités. L’article 13, paragraphe 2, du règlement précise, notamment, que la seconde autorité saisie par une entreprise peut rejeter la plainte à la condition qu’elle ait été effectivement traitée. La difficulté est de déterminer ce que recouvre la notion « a déjà été traitée ».

Le contentieux pendant devant le Tribunal de l’Union européenne prend naissance dans un État membre. En effet, l’entreprise EasyJet avait, dans un premier temps, saisi d’une plainte l’autorité nationale néerlandaise contre l’exploitant de l’aéroport Schiphol d’Amsterdam. EasyJet contestait le montant des redevances. Trois plaintes ont été déposées, toutes rejetées par l’autorité de la concurrence néerlandaise. L’entreprise a alors saisi, dans un second temps, la Commission européenne le 14 janvier 2011, cette dernière a, à son tour, rejeté la plainte le 3 mai 2013 en considérant qu’elle avait déjà été traitée par une autorité nationale conformément à l’article 13, paragraphe 2, du règlement n°1/2003. Dès lors EasyJet a saisi le Tribunal dans le but d’obtenir l’annulation de cette décision de rejet.

L’examen du Tribunal va se concentrer, tout d’abord, sur ce qu’il faut entendre par l’expression « a déjà été traité » figurant à l’article 13, paragraphe 2 et, ensuite, sur la décision de la Commission.

Sur le premier aspect, le Tribunal opère une interprétation systématique de l’article 13, c’est-à-dire qu’il replace dans son contexte et sa finalité la disposition étudiée, ne s’en tenant pas seulement à son contenu. Il apparaît pour le Tribunal que la Commission ne peut pas être obligée d’examiner une plainte qui a fait l’objet d’un rejet au niveau national. En effet, une interprétation contraire conduirait à imposer à la Commission de procéder systématiquement à l’examen des plaintes ayant fait l’objet d’un premier rejet. Une telle solution irait à l’encontre de l’efficacité recherchée par la mise en place du réseau européen de concurrence, qui confie aux autorités nationales le soin d’appliquer également le droit de l’Union en matière de pratique anticoncurrentielle. 

En outre, le Tribunal précise que le rejet d’une plainte est une forme de traitement de la plainte, le traitement ne pouvant se limiter aux décisions d’ouverture d’une enquête, d’une procédure ou encore à l’atteinte d’un résultat précis. La Commission ne constitue pas une voie de rattrapage.

Sur le second aspect, un préalable doit être intégré. Si la Commission dispose d’une large marge d’appréciation, elle doit examiner en toute impartialité tous les éléments pertinents de l’affaire. Le Tribunal a pour mission de contrôler si la décision de la Commission a été prise dans le respect de ces obligations et si l’institution n’a pas commis une erreur d’appréciation. Le Tribunal ajoute également qu’il ne peut pas contrôler la légalité d’une décision de l’autorité néerlandaise, les décisions nationales relevant exclusivement des juridictions nationales.

En l’occurrence, EasyJet se plaignait de l’absence de définition du marché pertinent pas l’autorité nationale, alors que cet élément est indispensable pour identifier une position dominante. Le Tribunal ne revient pas sur ce point, mais examine, en revanche, si la Commission a bien pris en considération tous ces éléments. Le Tribunal conclut que la Commission a eu une juste appréhension de la décision de l’autorité nationale qui a examiné le caractère proportionné de la redevance et comparé la redevance contestée avec celles pratiquées dans les autres aéroports. Le contrôle ainsi exercé sur la décision de la Commission est effectif mais se limite aux actes de l’Union.

TUE 21 janv. 2015, EasyJet Airline Co. Ltd c/Commission européenne, T-355/13

Références

 Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE).

Article 13 - Suspension ou clôture de la procédure

« 1. Lorsque les autorités de concurrence de plusieurs États membres sont saisies d'une plainte ou agissent d'office au titre de l'article 81 ou 82 du traité à l'encontre d'un même accord, d'une même décision d'association ou d'une même pratique, le fait qu'une autorité traite l'affaire constitue pour les autres autorités un motif suffisant pour suspendre leur procédure ou rejeter la plainte. La Commission peut également rejeter une plainte au motif qu'une autorité de concurrence d'un État membre la traite.

2. Lorsqu'une autorité de concurrence d'un État membre ou la Commission est saisie d'une plainte contre un accord, une décision d'association ou une pratique qui a déjà été traitée par une autre autorité de concurrence, elle peut la rejeter. »

■ Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

Article 101 (ex-article 81 TCE)

« 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à:

a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction,

b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement,

d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.

2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.

3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables:

- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,

- à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et

- à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées

qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans:

a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,

b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence. »

Article 102 (ex-article 82 TCE)

« Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à:

a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables,

b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,

c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. »

 

Auteur :V. B.


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