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[ 16 février 2015 ] Imprimer

Droit des obligations

L’impôt, objet de l’obligation de conseil du notaire

Mots-clefs : Responsabilité civile professionnelle, Responsabilité notariale, Obligation d’information, Obligation de conseil, Manquement, Perte d'une chance, Paiement d’un impôt, Préjudice indemnisable

Un préjudice peut découler du paiement d'un impôt auquel le contribuable est légalement tenu lorsqu'il est établi que le manquement du notaire à son obligation de conseil l'a privé de la possibilité de renoncer à l'opération et de rechercher une solution lui permettant d’obtenir un régime fiscal plus avantageux.

À la suite de la vente d'un bien immobilier situé en France, un couple de nationalité française, exonéré de toute imposition en France conformément à l'article 150 U, II, 2° du Code général des impôts, avait dû acquitter en Suède, où il résidait, une taxe sur la plus-value. Ils reprochèrent à leur notaire, qui les avait assistés lors de cette opération, d'avoir manqué à son obligation d'information et de conseil en omettant de les éclairer sur les conséquences fiscales de celle-ci, qu'ils n'auraient pas réalisée s'ils avaient eu connaissance de l'imposition à laquelle ils ont été soumis ; ils l’assignèrent alors en paiement d'une indemnité égale au montant de l'imposition qu'ils avaient acquittée.

Pour rejeter leur demande, la cour d’appel jugea que le paiement d'un impôt ne peut constituer un préjudice réparable.

Au visa de l’article 1382 du Code civil, cette décision est cassée par la première chambre civile de la Cour de cassation, au motif qu'un préjudice peut découler du paiement d'un impôt auquel le contribuable est légalement tenu lorsqu'il est établi que le manquement du notaire à son obligation de conseil l'a privé de la possibilité de renoncer à l'opération et de rechercher une solution lui permettant d’obtenir un régime fiscal plus avantageux.

En matière de responsabilité notariale, la perte d’une chance pour le client résulte souvent du manquement par le notaire à son obligation de conseil, celle-ci lui imposant d’alerter les clients tant sur le contenu que sur les conséquences, notamment fiscales, des engagements qu’ils souscrivent ou qu’ils envisagent de souscrire (v. Civ. 1re, 14 juin 2007 ; Civ.1re, 11 mars 2010).

La jurisprudence impose, en effet, au notaire, en sa qualité de rédacteur, de rédiger un acte produisant concrètement les effets voulus par les parties, ce qui inclut les incidences fiscales de l’opération.L’acte rédigé doit produire les conséquences que les parties pouvaient escompter compte tenu de leur situation et des techniques disponibles. À cette fin, l’obligation de conseil comporte les obligations accessoires de s’informer, de vérifier, d’expliquer, et de s’adapter à une situation donnée. (v. C. Biguenet-Morel).

L’acte doit donc être conçu de manière à ce que certains de ses effets ne soient pas partiellement manqués, atténués ou, au contraire, aggravés, notamment sur le plan fiscal, le paiement d’un impôt n’étant pas, par principe, irréparable (v. déjà Civ. 1re, 25 juin 2009 : viole l’article 1382 du Code civil la cour d’appel qui rejette les prétentions des héritières au motif que le paiement d’un impôt est irréparable, tout en énonçant « que le passif successoral a naturellement pour effet de diminuer le montant des droits de succession à payer, et en retenant que l'omission par le notaire d’une dette du de cujus dans le passif de la déclaration de succession avait eu pour conséquence directe une majoration des droits de succession que les héritières ont payés », après avoir révélé une faute du notaire de nature à engager sa responsabilité professionnelle pour ne pas les avoir informées de l'existence de la dette litigieuse, dont il avait connaissance, et des conséquences de son omission dans la déclaration de succession).

Aussi l’acte ne doit pas produire d’effets contraires aux attentes des parties, sauf à constater que ceux-ci ne pouvaient, malgré les conseils donnés, être évités (v. Civ. 1re , 16 janv. 2013 quoique valablement informés par leur notaire, les demandeurs, prétendant avoir perdu la chance de renoncer à l'opération, « n'auraient pu bénéficier d'une solution alternative, dans les délais requis, ce dont il résultait qu'ils auraient dû acquitter, en tout état de cause, l'impôt sur le revenu sur les sommes déduites, équivalent au montant de leur redressement fiscal », et n’avaient donc subi aucun préjudice).

À l’évidence, l’affaire rapportée correspond parfaitement à la dernière hypothèse : redressés, les vendeurs croyaient à tort que la plus-value réalisée à l’occasion de la cession serait exonérée d’impôt. Contraire à ce qu’ils pouvaient espérer de l’opération, cette conséquence fiscale caractérise, en l’espèce, le manquement à l’obligation de conseil qui incombait à leur notaire, cette carence leur ayant fait perdre la chance de renoncer à la vente, qu’ils n’auraient pas conclue s’ils avaient eu connaissance de l’impôt auquel ils furent assujettis.

Rappelons que la perte d’une chance se définit comme la disparition certaine d'une éventualité favorable (v. J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux). La certitude de la chance perdue rend le dommage réparable, à la différence du préjudice simplement hypothétique qui n’ouvre pas droit à réparation (v. notamment Civ. 1re, 1er juin 1999). En effet, en matière de responsabilité civile professionnelle, comme en droit commun de la responsabilité, la chance perdue, pour être considérée comme certaine et ainsi être indemnisable, doit être réelle et sérieuse (V. not. Civ. 2e, 23 juin 1993 Civ. 1re, 27 juin 2006).

Civ. 1re, 15 janv. 2015, n°14-10.256

Références

■ J. de Poulpiquet, Responsabilité des notaires 2009/2010, 2e éd., Dalloz, coll. « Dalloz Référence », 2009, n°31.00 s., 32.00 s (devoir de conseil) et n°41.131 (perte d’une chance).

■ C. Biguenet-Morel, Le devoir de conseil des notaires, Defrénois, coll. « Doctorat & Notariat », 2006, n°2, p. 2.

■ Article 150 U, II, 2° du Code général des impôts

« (…)

2° Au titre de la cession d'un logement situé en France lorsque le cédant est une personne physique, non résidente de France, ressortissante d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et à la condition qu'il ait été fiscalement domicilié en France de manière continue pendant au moins deux ans à un moment quelconque antérieurement à la cession (…) ».

■ Article 1382 du Code civil

« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

■ Civ. 1re, 14 juin 2007, 06-16.379.

■ Civ.1re, 11 mars 2010, n°09-13.047.

■ Civ. 1re, 25 juin 2009, n° 08-14.951.

 Civ. 1re , 16 janv. 2013, n° 12-13.014.

 J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil, Les obligations, t. 2, Le fait juridique, Sirey, 16e éd. 2014, n° 148.

■ Civ. 1re, 1er juin 1999, n°97-14.063, Bull. civ. I, n° 184, RTD civ. 2000. 121, note Jourdain.

 Civ. 2e, 23 juin 1993, n°91-20.728, Bull. civ. II, n° 233, RTD civ. 1994. 110, note Jourdain.

■ Civ. 1re, 27 juin 2006, n°04-14.937.

 

Auteur :M. H.


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