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[ 19 janvier 2016 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

L’imputation d’une infidélité ne suffit pas à caractériser une atteinte diffamatoire

Mots-clefs : Propos diffamatoires, Infidélité, Adultère, Droit au respect de la vie privée et familiale, Atteinte à l’honneur et à la considération (non)

L’imputation d’une infidélité conjugale n’est pas à elle seule de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération.

Lors de la parution en octobre 2012 de l’ouvrage intitulé « La Frondeuse » consacré à Mme Valérie T., le magazine Point de Vue a publié un entretien accordé par les auteurs de cet ouvrage dans lequel il est fait état d’une relation intime entre Mme T. et M. D. qui aurait duré plusieurs années alors qu’ils étaient à cette époque déjà engagés dans une autre relation. M. D., estimant que de tels propos étaient diffamatoires à son égard, assigna l’un des auteurs, le directeur de la publication du magazine Point de Vue et la société éditrice aux fins d’obtenir la réparation de son préjudice et la publication d’un communiqué judiciaire.

Les demandes du requérant furent rejetées par les juges du fond aux motifs que, d’une part, l’atteinte à l’honneur ou à la considération ne pouvait résulter que de la réprobation unanime qui s’attache soit aux agissements constitutifs d’infractions pénales, soit aux comportements considérés comme contraires aux valeurs morales et sociales communément admises au jour où le juge statue et, d’autre part, que ces notions devaient s’apprécier au regard de considérations objectives et non en fonction de la sensibilité personnelle et subjective de la personne visée.

Contestant cette décision, M. D. invoqua devant la Cour de cassation la violation de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, qui définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé », et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale.

Selon le requérant, l’allégation publique d’une liaison prêtée à un homme marié peut porter atteinte à l’honneur et à la considération de celui-ci et il importe peu que l’adultère ne soit plus une infraction pénale. Le demandeur considérait ensuite qu’en subordonnant l’atteinte à l’honneur et à la considération à l’allégation publique d’un fait unanimement réprouvé par une morale objective ayant le même champ d’application que la réprobation pénale, sans autrement rechercher si l’allégation litigieuse ne portait pas sur des manquements contraires à l’honneur et à la considération au regard d’obligations morales d’ordre strictement civil, la cour d’appel a privé son arrêt de toute base légale au regard de l’article 29 de la loi de 1881 et de l’article 8 de la Conv. EDH. Enfin, M. D. affirmait au soutien de sa demande que l’allégation diffamatoire pouvait être réalisée par voie d’insinuation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi du demandeur en jugeant que « la cour d’appel, loin de se borner à relever que l’adultère était dépénalisé depuis quarante ans, a retenu à bon droit que l’évolution des mœurs comme celle des conceptions morales ne permettaient plus de considérer que l’imputation d’une infidélité conjugale serait à elle seule de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération » et que « par ces seuls motifs, elle a légalement justifié sa décision ».

La Cour de cassation devait ici déterminer si l’atteinte diffamatoire était caractérisée. La diffamation doit réunir quatre éléments: une allégation ou une imputation, un fait déterminé, une atteinte à l’honneur ou à la considération, une personne ou un corps identifié. L’atteinte à l’honneur consiste à toucher à l’intimité d’une personne, en lui imputant des manquements à la probité ou un comportement moralement inadmissible. L’atteinte à la considération consiste à troubler la position sociale ou professionnelle d’une personne et d’attenter à l’idée que les autres ont pu s’en faire. Selon la jurisprudence, le propos incriminé doit énoncer ou viser un fait précis et déterminé. Il doit pouvoir faire l'objet d'un débat sur la preuve de la vérité (Crim., 14 févr. 2012, n° 11-81.264). Il faut ainsi distinguer la diffamation de l'injure, qui est une appréciation péjorative non susceptible de preuve (Crim., 2 juin 1980, n° 78-93.482), et ne pouvant faire l'objet d'un débat probatoire. 

La Cour rappelle ici que pour qu’il y ait atteinte à l’honneur ou à la considération du requérant, le comportement doit soit se rapporter à un agissement constitutif d’une infraction pénale, soit être considéré comme contraire aux valeurs morales et sociales communément admises au jour où le juge statue. Dans cette affaire, l’adultère n’étant plus une infraction pénale depuis la loi du 11 juillet 1975, la Cour considère que c’est à bon droit que le juge a tenu compte de l’évolution des mœurs et des conceptions morales pour considérer que l’imputation d’une infidélité n’était plus de nature à constituer une diffamation. 

Civ. 1re, 17 déc. 2015, n° 14-29.549 P

Références

■ Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse 

Article 29.

« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. »

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8

« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

■ Crim., 14 févr. 2012, n° 11-81.264, D. 2013. 457, obs. E. Dreyer.

■ Crim., 2 juin 1980, n° 78-93.482.

 

Auteur :A. D.


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